La danseuse
de Mori Ôgai
Eds du Rocher (2006)
85 pages
Traduit du japonais par Jean- Jacques Tschudin
Maihime (1890)
Roman, Nouvelle, Japon
Résumé
«Ce jour-là, j'aperçus, appuyée contre le portail clos de l'église, une jeune fille en train de sangloter d'une voix étouffée. Elle devait avoir seize ou dix-sept ans. Vêtue très proprement, sans trace aucune de saleté, elle portait un fichu qui laissait s'échapper une chevelure d'or pâle. Surprise par le bruit de mes pas, elle se retourna : mais comment décrire son visage sans un pinceau de poète ? Il lui suffit - je ne sais pourquoi - d'un seul regard de ses yeux bleus, limpides, emplis d'une tristesse implorante, de ses yeux à moitié dissimulés sous de longs cils embrumés de larmes, pour pénétrer au plus profond de mon coeur, un coeur pourtant sur ses gardes.»
Mon avis
Très célèbre au Japon, ce court roman/nouvelle est l'un des textes emblématiques de la nouvelle littérature japonaise qui commence à se mettre en place dans les années vingt de l'ère Meiji (1868, 1922). Son auteur , Mori Rintarô (1862-1922), passé sous le nom de [Mori] Ôgai , un des ses nombreux noms de plume , est incontestablement avec Natsume Sôseki l'une des figures majeures du roman moderne.
Ce récit , se base sur l'expérience allemande de l'auteur qui fit un séjour d'études en Allemagne alors qu'il avait 19 ans et était un étudiant précoce. De la même façon, le personnage central de ce livre, Ôta Toyotaro est un jeune homme élevé de façon très stricte et extrêmement brillant dans ses études. Engagé par un ministère, il est envoyé en Europe pour y mener une mission d'enquête. C'est ainsi qu'il va se retrouver à Berlin et se trouve frappé et émerveillé par cette ville. En parallèle à sa mission, il s'inscrit en science politique à l'université.. Trois ans passèrent. Mais " Tôt ou tard vient l'heure où l'homme ne peut plus continuer à dissimuler sa véritable nature" . Ôta sent peu à peu un certain malaise l'envahir et se rend compte que jusqu'à présent il n'avait vécu que pour respecter les volontés des autres : de sa mère qui voulait le transformer en encyclopédie vivante , de son chef qui avait visé à faire de lui une incarnation de la loi, une sorte de mécanique fabriquée afin de pouvoir l'utiliser à son gré. Ôta sent son Moi authentique faire surface pendant que les doutes l'envahissent " Certes je donnais l'impression d'avoir une grande force de travail et d'être persévérant, mais je me trompais moi-même, et je trompais les autres également , car je ne faisais que suivre sans détour le chemin qu'on m'avait tracé. Si je ne me laissais pas troubler par les autres choses, ce n'était pas parce que j'avais le courage de les rejeter sana hésitation, mais simplement parce que, terrifié devant ces éléments venus d'ailleurs, je m'étais recroquevillé, me liant moi-même pieds et poings". Et un jour, adossé au portail d'une église, il voit une jeune fille Elise, en train de pleurer. Elle lui raconte que on père est mort et que sa mère et elle n'ont pas d'argent pour l'enterrer. Elle lui demande de l'aide. Élise est une danseuse, et va bouleverser peu à peu à la vie d'Ota. MAis l'appel du Devoir va le rattraper et il va finalement rejoindre le Japon, abandonnant lâchement cette pauvre fille désespérée et enceinte.
On discerne dans ce roman certains aspects du roman d'initiation , genre qui apparut en Allemagne au XVIIIeme . On y trouve aussi certains stéréotypes de l littérature romantique : l'attention su le Moi, le tourment, le froid et la neige, un certain exotisme (le héros est japonais, la jeune fille est allemande)
J'ai beaucoup apprécié cette lecture. Le style est classique., le langage est soutenu mais très accessible .
Une très belle découverte .
L'auteur
Médecin, haut fonctionnaire, traducteur, historien et écrivain, Mari Ôgai (1862-1922) est l'un des grands auteurs de l'ère Meiji, après un séjour d'études en Allemagne, il publie à son retour au Japon son premier texte, La Danseuse (1890).
Ce récit aux résonances autobiographiques est considéré comme un texte fondateur de la littérature moderne japonaise. Marie Ogai est également l'auteur de Vita sexualis (Gallimard), Le Jeune Homme (Editions du Rocher), L'Oie sauvage (Picquier) et L'Intendant Sanshô (Picquier), adapté au cinéma par Mizoguchi Kenji.