Lecture (littérature mauricienne).

Par Ananda

POINT BARRE – Numéros 11-12 : « COURT TOUJOURS » - Editions Vilaz Métis, octobre 2011.

Ce numéro fera date dans l’histoire de la revue littéraire mauricienne : préfacé par un auteur français connu (et même médiatisé), Daniel PICOULY, il se distingue en sus en nous offrant quelque chose d’inestimable : un « cahier spécial » de 17 pages constitué de poèmes complètement inédits du grand Malcolm DE CHAZAL.

Côté présentation : 80 élégantes pages de poésie ponctuées de quatre magnifiques illustrations en couleur signées du bédéiste mauricien Laval NG ; autant dire un petit bijou, qui n’a rien à envier à bien des revues de poésie francophones de l’hémisphère nord.

Au menu (outre ce géant de la poésie et de l’art mauriciens qu’est l’inimitable Malcolm de Chazal), trente trois auteurs de tous les horizons du monde parmi lesquels une « pointure », le Tunisien Tahar BEKRI, deux poétesses aux talents particulièrement précoces, Lisa DUCASSE et Ameerah ARJANEE, toutes deux mauriciennes et la poétesse bengalie Mandakranta SEN ; des textes en français, en anglais, en créole mauricien, en bhojpuri, en grec et en italien.

Comme le titre, au travers d’un plaisant jeu de mots qui n ‘aurait pas déplu à Chazal, l’indique, le numéro est, ici, pleinement dédié au poème court, avec tout ce qu’il recèle de fulgurance, de séduction instantanée, avec cette faculté de dire « l’indicible » et d’échapper à toute analyse qui est, aux yeux de Daniel Picouly,   l’essence même du verbe et de la démarche poétiques.

Jugez-en :  Le monde est un pétale de rose / Entouré d’épines / Prends-le sans courber l’échine (Tahar BEKI, Tunisie) ; édouard […] peux-tu encore / nous tailler des mots / dans les cristaux de sel […] tes mots couleur sel noir (Vinod RUGHOONUNDUN, Maurice) ; HAÏTI […] L’avenir sans trembler remontera le temps / pour rapiécer tes ailes de malfini (Daniel MAXIMIN, Guadeloupe) ; […] Rien // ne s’interpose / comme l’éclat (Yusuf KADEL, Maurice) ; Le fragile des îles (Francine MINGUEZ, Québec) ; Toujours cette incertitude / qui confère à la vie / son goût de miel (Daniel LEDUC, France) ; Détester veut dire / aimer / l’autre face / des choses (Nikos BAZIANAS, Grèce) ; la poésie enchevêtre / les sangs mêlés / l’intuition de la beauté / aux / archives / de l’absence (Umar TIMOL, Maurice) ; Mo nepli kapav viv san twa / mo detest twa (Qurayshiyah DURBARRY, Maurice) ; Les mots s’engouffrent dans le manque / aspirés par / tout ce qui bée (Patricia LARANCO, Maurice/France) ; Muet, tu marches / les collines s’endorment / la terre est un cercle (Georges SOLEILHET, France) ; Cale sèche / Port de pêche / Où le soleil s’étale // Couleurs écaillées / Voiles démâtées / En ruptures d’escales (Michel DUCASSE, Maurice) ; nous sommes de ces hommes / qui ruons notre vie / dans les rafales du tambour (José LE MOIGNE, Martinique) ; angélus – un vol de pigeons emporte / la lumière du soir (Damien GABRIELS, France) ; Something swims in your eyes / a dark fish (Ameerah ARJANEE, Maurice) ; Sous le ciel visqueux / L’odeur de la chair à pâté roulait comme un tambour (Sylvestre LE BON, Maurice) ; je revendique cette part d’Inde / qui me fut donnée / désormais mémoire rangée aux rites du métissage / m’érige en homme de mer et   de voyage / en homme de terre et   de lignage (Patrice TREUTHARDT, La Réunion) ; Tes lignes courront dès demain mes mondes inhabités / mes océans d’encre de seiche dézouritée (Ariana CZIFFRA, Maurice) ; Demain au bord de mes yeux secs / se posera un autre jour (François MAUBRE, France) ; Quand un chien voit une étoile filante / il voudrait la ramener, mais // il ne sait pas à qui (Fabrizio CARAMAGNA, Italie) ; Malcolm […] Cette île […] Maintes fois elle t’a offert la fulgurance / dans l’étroite gangue des verbes (Khal TORABULLY, Maurice).

Le dossier Chazal, quant à lui, est « proposé par la Fondation Malcolm de Chazal » à Maurice et donc, introduit par son président, Robert FURLONG. « document précieux » s’il en est, cet HUMOUR ROSE s’accompagne de fac-similés de la main même du grand poète ainsi que, page 75, de deux illustrations de la peinture chazalienne, très colorée. Robert Furlong nous invite à voir en ces textes autant de « clefs du merveilleux ». Et, ainsi qu’il fallait bien s’y attendre, nous nous y régalons.

Véritable virtuose du poème court, « Malcolm » y étincèle. Il « ose » (pour reprendre le terme de Daniel Picouly) faire à plein son métier de poète, c'est-à-dire « ordonner du rien ». Ses séries de vers semblent pétiller, monter dans l’air comme de petites bulles. L’apesanteur chazalienne, c’est l’oxygène intact de l’enfance ; c’est la mordorure d’un perpétuel émerveillé qui émerveille…et nous voici désarçonnés !

La source / Donnait / Des baisemains / Au vent / Dans ses clapotis ;

L’automate / Eut un oubli / Il s’était / Mis / A penser.

Chazal au mieux de sa forme, de sa magie malicieuse, subtile et délicieusement déroutante !

Nous ne pouvons que remercier Point barre de nous gratifier d’un tel cadeau.

Un numéro très centré sur la poésie mauricienne ; plein, riche.

A tout prendre, un de ces précieux petit livres que chaque bibliothèque privée sera fière de conserver jalousement dans ses rayonnages…

PL