Cent fois oui à la solidarité. Cent fois oui au fait de n’abandonner aucun de nos pauvres, de nos faibles, de nos malades sur le bord du chemin. C’est cela qui fait de nous des hommes et un pays. Mais non à la bêtise. Non à la démagogie économique, et non aux mauvais raisonnements.
Par Charles Sannat
L’État-providence, un héritage
Le sujet brulant est sans conteste celui de la dette de l’État à la limite du soutenable, ce qui est reconnu par presque tout le monde. La dette est indissociable de la notion de dépenses.
À l’issue de la deuxième guerre mondiale, notre pays a mis en place ce que l’on appelle l’État-providence. L’essentiel de nos dépenses est constitué d’aides sociales héritées de l’histoire et d’un pacte républicain.
Je fais partie de ceux qui sont très attachés à notre « modèle social » et qui souhaite défendre non pas ce système, car un système doit forcément changer, évoluer et s’adapter mais je pense qu’il faut défendre une idée essentielle, qui consiste à dire que de façon générale « les forts doivent prendre soin des faibles ». C’est d’ailleurs fondamentalement le rôle de la cellule familiale où les parents protègent et s’occupent de leurs enfants… jusqu’à ce que l’âge faisant les rôles s’inversent.
Cette structure « naturelle » et « instinctive » a, peu à peu, été brouillée dans nos sociétés par la modernité et l’apparition très récente de l’État-providence.
Dans le cadre de la campagne électorale en cours, beaucoup se demandent quel impôt augmenter. Où trouver de nouvelles ressources ? Sur la base de quelle assiette ? De la TVA sociale à l’augmentation de la CSG, la créativité et l’insécurité fiscale atteignent leur paroxysme.
Dans les cinq dernières années, il y a eu une nouvelle règle fiscale tous les 10 jours soit 150… Une telle agitation est à la hauteur et à la mesure d’un emballement général. Emballement de la dette, emballement des coûts liés aux aides sociales, emballement des dépenses, et finalement l’incapacité de poser les bonnes questions sur notre situation.
Ces questions sont dérangeantes. Ces questions sont troublantes. Mais comment poser un diagnostic sérieux et apporter des réponses adaptées nous permettant de sauver l’idée à laquelle beaucoup d’entre nous tiennent sans les évoquer ? Ce n’est pas forcément politiquement correct, c’est même gênant, mais pourtant, il faut aborder ces sujets dans leur totalité. C’est à ce prix que nous pourrons sauver et faire vivre l’idée que les forts ont une responsabilité morale à l’égard des faibles, les biens portants envers les malades, et que la solidarité et l’intérêt que nous portons à l’autre est ce qui nous distingue de l’état animal.
Lundi soir, France 2, chaine de télévision nationale, diffusait un reportage sur deux femmes « habitant » dans leurs voitures respectives à Paris. La première est âgée de 36 ans. Plutôt jolie, parlant et s’exprimant bien. Elle nous explique, les larmes aux yeux, « je n’arrive pas à réchauffer mon corps, j’ai froid, j’ai tellement froid ». Mots simples pour une réalité douloureuse. La deuxième, 60 ans, bénéficiaire d’une pension d’invalidité de 850€ montrait un visage de « jeune » mamie digne. « Je ne veux pas aller dans un centre d’hébergement. Les gens crient, sont sales, ils sont pleins de poux… » Hélas, on la croit volontiers.
Le froid aidant, ce reportage a ému une grande partie de la population française. De nombreuses propositions d’aides sont arrivées chez France 2. Des mails par centaines. Proposant hébergements ou travail. Un élan de solidarité tel, que mardi soir, France 2 faisait au JT de 20 heures un reportage sur le reportage de la veille.
Aller au-delà des images
Tous autant que nous sommes nous ne pouvons pas rester insensibles à la détresse humaine. Mais ne faisons nous pas collectivement fausse route ? Parlons-nous des vrais problèmes ? Et si nous allions au-delà des images ?
Reprenons. La dame qui gagne 850€ net de pension d’invalidité est-elle « obligée » de rester couchée et de vivre dans sa Saxo dans Paris ? La réponse est non. Donc il y a d’autres raisons qui la poussent à ce (non) « choix ». Un smicard gagne en France 980€ net/mois en travaillant à temps plein soit seulement 130€ de plus que cette SDF. Je concède que se loger à Paris sur le Champs-de-Mars avec vue sur la Tour Eifel est coûteux. Mais les possibilités de logement ne se limitent pas à Paris. J’invite tous les lecteurs à effectuer une recherche de logement, digne, à 250€/mois en location en faisant une recherche nationale. De Charleville Mézières, à Tulle, vous aurez le choix. Il resterait donc à cette victime 600€ pour finir le mois.
Combien de famille terminent-elles le mois avec 600€ une fois leur charges fixes payées ? Beaucoup. Vraiment beaucoup. Qui osera expliquer à cette dame que rien ne la retient dans sa voiture à Paris ? Qu’après le périph se trouve le reste du pays ? Que le logement n’est pas un marché unique mais très différent d’une ville et d’une région à l’autre ? Qui osera lui dire qu’elle se trompe sans doute ? Qui osera lui dire que la collectivité, la solidarité nationale (qui est indispensable) lui verse chaque mois, toute sa vie durant 850€ net (sans qu’elle soit productive) et que cela lui permettrait de vivre dignement comme des milliers de nos concitoyens au minimum vieillesse (qui est inférieur à cette somme) ? Doit-on d’ailleurs le dire ? Est-ce interdit de poser la question de la limite de l’assistanat et du commencement de la responsabilisation individuelle ?
Cent fois oui à la solidarité. Cent fois oui au fait de n’abandonner aucun de nos pauvres, de nos faibles, de nos malades sur le bord du chemin. C’est cela qui fait de nous des hommes et un pays. Mais non à la bêtise. Non à la démagogie économique, et non aux mauvais raisonnements.
Tous ceux qui veulent l’aider se trompent-ils également ? Cet élan de générosité va t-il se fracasser sur la réalité de l’aide à la réinsertion des SDF dont parlent très bien certains acteurs comme la Fondation Abbé Pierre qui sont des professionnels reconnus sur ce « secteur » de la grande misère. Cette femme a les moyens (financiers) de s’en sortir seule avec les revenus dont elle dispose. Il y a bien sûr certainement d’autres raisons à sa détresse. Certainement d’ordre psychologique. C’est peut-être choquant. Peut-être à contre courant de l’émotion. Mais c’est la réalité factuelle.
Ce qui amène un individu à la rue est une succession de ruptures et de souffrances, c’est plurifactoriel et généralement très complexe. Les bons sentiments ne font pas les bonnes solutions.
L’autre femme est âgée de 36 ans. Ses enfants ont été placés. Néanmoins, je pose la question qui fâche. Pourquoi cette femme « bien propre sur elle » car si elle ne l’était pas elle n’aurait ni passé le casting de France 2, ni ému la France entière, ne travaille-t-elle pas ? Les bonnes âmes sensibles me trouvent sans doute trop cynique, trop dur. Alors je leur demande quelle est la capacité d’émotion face à un grand bonhomme « issu de la diversité » (comme on dit pudiquement) à la tête de repris de justice ? Bien sûr personne n’est raciste… mais franchement, vous lui donneriez les clefs de votre maison pour être solidaire ?
Mac do recrute. KFC recrute (y compris des « seniors », comprenez que sur le marché du travail français on est senior à partir de 40 ans). Il existe des postes. Il y a du travail. Même pendant la crise. Surtout à Paris. De la distribution des journaux gratuits le matin, au portage de publicités dans les boites aux lettres, il existe des centaines de postes très, très accessibles. Pourquoi ? Parce que ce sont de « mauvais » boulots. Durs, mal payé (le smic) et à temps partiel. Les gens les prennent en attendant mieux. Dès qu’ils trouvent mieux ils partent. Le « turn over » y est très important. Il y a donc en permanence des postes à pourvoir. Alors pourquoi ne travaille t-elle pas pour pouvoir retrouver un logement, une dignité, et peut être un jour… ses enfants ? Parce qu’il y a sans doute d’autres raisons. Peut-être psychologiques ou autre, je ne connais pas leurs situations personnelles.
Ce qui est sûr, c’est que notre politique d’assistanat doit être revue pour être efficace et que son coût reste sous contrôle (il semblerait que nous ayons un léger problème de dettes).
Ce que nous sommes devenus
Cette vague de froid est très riche d’enseignement sur la société française et sur les limites évidentes de notre modèle social.
Tel ce reportage sur l’hébergement d’urgence et les hôtels appelés pudiquement les hôtels « préfecture » parce qu’ils ne louent leurs chambres que pour du relogement d’urgence à la Préfecture qui paie la note. Niveau de qualité de ces hôtels ? S’il y avait des étoiles négatives, ils seraient à -15 étoiles. Des taudis insalubres dont certains brulent de temps en temps avec 15 ou 20 personnes dedans. Ils sont payés au prix fort (2000€ par mois) par la collectivité pour une chambre de 10m². Certaines personnes y logent depuis 5 ou 6 ans alors qu’elles travaillent. Un reportage de France 2 toujours à ce sujet est édifiant…. la fiche de paie de Monsieur est de 1700€ net… et l’État, c’est-à-dire chacun d’entre nous, paie 2000€ pour loger dans un hôtel cette famille, à qui aucune contribution n’est demandée. On marche sur la tête. Peut-on en parler ? Peut-on même le penser ? A-t-on le droit de l’exprimer même lorsque l’on est de gauche ?
Encore un autre reportage. Au Mirail cette fois. Quartier de 11 000 habitants. Une canalisation de chauffage urbain vient de céder. Il fait très froid dans les appartements. On nous montre une famille avec des enfants. Tous avec 96 pulls (c’est une exagération bien sur) et 10 doudounes chacun pour se tenir au chaud. Il n’y a plus de chauffage central, mais EDF signale, soit dit en passant, qu’il y a aucune pénurie d’électricité. Il n’y a donc personne pour dire au père de famille qu’il existe des magasins qui vendent des radiateurs électriques d’appoint. Juste de quoi au moins chauffer une pièce pour tenir ses gamins au chaud ? Personne pour lui expliquer que lorsque l’on a un bel écran plat dans son salon, on se doit (c’est un devoir) de tenir ses gamins au chaud au moins dans la pièce la plus petite avec le système « D » ? Non, personne, on va collectivement s’émouvoir, et attendre la création d’un droit opposable au radiateur électrique d’appoint livré par la commune et mis à disposition gratuitement par des associations.
Doit-on le dire ? Doit-on pointer du doigt que manifestement nous ne pensons plus de façon raisonnable, simple, avec du bon sens ? Peut-on dire que nous sommes face à un emballement de l’assistanat et de la déresponsabilisation collective ?
Cette vague de froid est riche d’enseignements sur notre société. Sur ce que nous sommes devenus. Nous sommes des enfants gâtés. Incapables de réfléchir par nous mêmes, râleurs, cherchant en permanence des coupables, mais surtout pas nous. Nous sommes des assistés, nous sommes un peuple de déresponsabilisés.
Les riches aussi sont des assistés qui coûtent cher
Mais il n’y a pas que les « pauvres » qui soient déresponsabilisés. Nos « riches » aussi le sont. D’ailleurs les riches bénéficient d’un « assistanat de riches » extrêmement coûteux.
Il n’y a donc personne pour poser la question de savoir si les niches fiscales sont autre chose qu’un simple assistanat pour « bourgeois » ?
Lorsque la Télé nous passe un reportage sur « les Robiens de la colère », il ne se trouve personne pour se poser les questions de fonds. Ce reportage de M6 concernait de pauvres victimes, qui ayant trop d’argent sur leur compte bancaire et qui ne voulant plus payer d’impôts sont allés acheter de mauvais appartements, dans de mauvaises résidences, pour lesquels ils ne trouvent pas de locataire ou alors avec des loyers très très bas (de là à conseiller à notre dame de tout à l’heure de se rapprocher de M6 pour avoir l’adresse de ces propriétaires à la recherche désespéré d’un locataire, il y a un pas que je ne franchirai pas).
Le titre même de l’émission est scandaleux car il fait référence à l’ouvrage « les raisins de la colère » parlant des souffrances endurées par la population américaine lors de la grande crise de 1929. Nos « petits bourgeois » qui ne veulent pas payer d’impôts endurent-ils la même souffrance ? Peut-on et doit-on poser la question ? Alors que font-ils ? Ils se regroupent en association. Portent plainte contre les vendeurs, promoteurs, qui les ont forcés avec une arme à signer 300 pages de papier à « l’insu de leur plein gré » chez un notaire pour ne pas payer d’impôt. Ils font pression sur l’État pour avoir des aides et des aménagements. Peut-on poser la question de la responsabilité personnelle lors d’un investissement ? Pauvre riche devenu la propre victime de son argent ? La collectivité doit-elle l’aider ? Sans doute pas.
Riche ou pauvre, tout ne peut pas être attendu de l’État, des collectivités ou des associations. Il arrive un moment où certaines grandes lois de la nature doivent être rappelées. La nuit le soleil se couche. L’hiver il peut faire froid. Une belle BMW ou une Mercedes à propulsion arrière ne fonctionnent pas sur la neige. On peut vivre ailleurs qu’à Paris. On peut chercher un travail et en trouver.
Nous sommes un peuple d’enfants attendant le salut de sa maman l’État. C’est pour cela que la France va mal. Nous devons être inventifs et courageux. Nous devons préserver notre système de solidarité. Mais plus je regarde la télé et plus je me dis qu’il ne faut pas confondre solidarité et absurdité.
Notre système ne pourra pas être sauvé si nous continuons comme cela. De plus en plus d’économistes parlent à demi-mots de la fin de l’État-providence. Aucun d’entre nous souhaite que la fête ne s’arrête, aucun d’entre nous ne pose la question de la redéfinition du rôle de l’Etat dans notre économie. C’est le sujet essentiel des prochaines années. Quel rôle pour l’État ? Quel degré de dépenses et donc d’impôt ? Quel pacte social ? L’aide, c’est quoi? Aider signifie quoi ? Quelle est la limite à l’assistanat ?
Car il faut en être conscient, quelle que soit notre émotion, nous n’aurons plus les moyens très rapidement de verser les retraites à nos ainés avec en 2010 1,42 actif pour un retraité. Un système économique fonctionne sous contrainte. La principale contrainte est la richesse disponible. Tout le reste n’est que de la littérature.
Mais personne n’ose le dire.