A en juger par leurs images dans les temples et les tombes, à dénombrer les types qui en sont passés dans l'écriture hiéroglyphique, à feuilleter les savants ouvrages où des spécialistes classent chronologiquement, selon les types, les originaux, intacts ou brisés retrouvés dans les villes et les nécropoles, les vases, dans l'Égypte ancienne, étaient de formes diverses et spécialisées.
Jean YOYOTTE
Vases
dans POSENER, SAUNERON et YOYOTTE,
Dictionnaire de la civilisation égyptienne
Paris, Hazan, 1959,
p. 295
Au terme de notre dernier rendez-vous, nous nous sommes séparés sur la promesse de vous expliquer comment les Egyptiens des premières époques, en parallèle avec une vaisselle quotidienne faite de terre cuite, réalisèrent à très grande échelle des récipients en pierre, tendre ou dure, qu'ils destinèrent essentiellement à des fins funéraires.
Quand, au terme de l'année 1997, forts de l'apport d'espaces nouveaux - quelque 2500
mètres carrés -, les Conservateurs du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre
nous dévoilèrent le redéploiement des collections qu'ils avaient imaginé pour les ailes est et sud de la Cour
Carrée, beaucoup d'entre nous furent subjugués par l'idée qui avait été leur non seulement de distinguer deux axes de visite - un parcours thématique, dans lequel, vous et moi amis lecteurs, nous
évoluons régulièrement en nous attardant ces derniers mois dans la salle 5 du rez-de-chaussée devant les fragments peints provenant du mastaba de Metchetchi et, à l'étage, un circuit
chronologique - mais, également, et il fallait l'oser !, des galeries d'étude : comprenez d'immenses "murs-vitrines" remplis à ras bord, disposées en parallèle, formant ainsi une sorte
de couloir, qui donne à découvrir, dans plusieurs salles successives, quantité d'objets entreposés avec une volonté perceptible d'accumulation, telles ces deux-ci, traversant le côté gauche de la
salle 21, au devant de laquelle je vous avais conviés à me retrouver ce matin ...
Vous vous souvenez assurément que mardi, à propos du fragment E 25530, j'avais attiré votre attention sur un récipient vraisemblablement en calcite qu'un porteur d'offrandes s'en venait présenter à Metchetchi.
Pour l'heure, de part et d'autre, vous pouvez constater de visu ce que je vous expliquais alors, à savoir : la grande diversité et de forme, et de taille, et de pierre de ces récipients des premiers temps égyptiens. (Ceux-ci datent de l'époque thinite).
Comment, voici près de sept millénaires, des hommes qui étaient loin de disposer des mêmes réflexes techniques, des mêmes instruments performants que nous, mais qui judicieusement profitèrent de la richesse pétrographique tant de la vallée du Nil que du désert oriental, s'y prirent-ils pour travailler la pierre et en faire, in fine, un art d'éternité ?
Il subsiste, sur le mur est de la chambre A3 de l'imposant mastaba de Mererouka, à Saqqarah, proche de la pyramide du roi Téti, premier souverain de la VIème dynastie dont il fut un des vizirs, - tombeau que, cadeau appréciable, vous pouvez découvrir sur l'excellent site OsirisNet - (Merci Thierry) -, un bas-relief extrêmement intéressant présentant des artisans à l'ouvrage.
Et parmi ceux-ci, au troisième registre, juste en dessous d'une série de vases rangés sur une étagère, deux d'entre eux accroupis se faisant face.
Si vous vous en approchez, vous remarquerez qu'ils s'ingénient à réaliser une coupe pratiquement semblable à celle que nous avons vue mardi entre les mains d'un porteur d'offrandes de Metchetchi,
en maniant un foret constitué d'un axe en bois dont la partie supérieure, sous ce qu'il est convenu d'appeler la "manivelle", est lestée de petits sachets contenant soit du sable, soit des galets (ce lest peut même être parfois une pierre hémisphérique), les trois servant de poids, et dont, malheureusement, la partie inférieure, fichée dans le bloc à creuser, n'est bizarrement jamais représentée. Ce qui, vous en conviendrez, réduit fortement notre connaissance de la composition de l'outil en question.
Qu'à cela ne tienne ! Tournons-nous, comme souvent, vers le corpus hiéroglyphique constitué dès le début de la civilisation : quelques signes guideront notre réflexion, tels, respectivement, U 24, U 25 et U 25A ci-après, de la liste de Gardiner,
et ainsi nous permettront de visualiser sa partie térébrante : soit une tige d'un seul tenant se terminant par une fourche bifide à l'écartement variable que traverse une petite pièce, peut-être de bois, soit une constituée de deux morceaux en décalé.
Nonobstant, quelques points d'interrogation entravent encore notre compréhension quant à la manière d'utiliser cet instrument, les techniques du forage des vases lithiques faisant toujours partie des discussions sur lesquelles les égyptologues ne parviennent pas encore à s'accorder.
Ainsi en est-il de la présence de la petite barrette transversale, diversement définie. D'aucuns en effet la considèrent comme le simple symbole de la mèche en silex qui perforera la pierre, alors que d'autres y voient un "martyr" de bois, c'est-à-dire, technologiquement parlant, un élément que l'emploi répété de l'outil finira par détruire et qui, ici, servirait de protection aux dents de la fourche, leur évitant d'être trop vite abîmées par les arrêtes coupantes du croissant en silex.
De plusieurs types, selon que l'on désirait une attaque étroite et profonde de la pierre - pour réaliser un vase, par exemple -, ou un évidement plus large et moins enfoncé - comme pour la coupe apportée à Metechetchi que j'évoque depuis le début de la présente intervention -, ces mèches de silex ont été retrouvées en grand nombre par les fouilleurs.
D'autres ont également été exhumées : faites le plus souvent de roches dures, les différentes traces comme des stries encore visibles laissent supposer un emploi "secondaire" mais tout aussi important, à tout le moins au niveau de la finition : le polissage des produits manufacturés.
Que ce soient avec mèches perforantes ou polissantes, qu'il y ait "martyr" ou non, il est compréhensible qu'utilisées à grande échelle, les tiges en bois des forets s'usaient ou se brisaient très vite. Et comme, inévitablement, la fourche et l'écartement de ses dents se devaient d'être adaptés à l'utilisation qui en était requise, certaines d'entre elles furent, comme l'indique le hiéroglyphe U 25A ci-dessus, constituées de deux pièces assemblées : ce qui indéniablement facilitait le remplacement de la seule partie inférieure.
Principe avant la lettre que nous rencontrons de nos jours avec les foreuses électriques et les différentes mèches que nous pouvons intervertir à notre guise suivant le travail à effectuer ...
Un autre, parmi les points d'interrogation subsistants : le métal composant les différents outils manipulés par les carriers et autres artisans de la pierre.
Même si l'on affirme péremptoirement que ce sont les Hyksos, à l'aube du Nouvel Empire, qui introduisirent le bronze en Egypte, il est indiscutable que ce métal était bel et bien connu des Égyptiens avant
leur incursion dans le Delta oriental : en effet, le British Museum n'expose-t-il pas, mis au jour en Abydos, dans la tombe V de Khâsekhemoui, souverain de la IIème dynastie, des
récipients en bronze ?
Or, dans la littérature spécialisée, et je pense évidemment à l'excellent ouvrage de
J.-C. Goyon et alii concernant La construction pharaonique, les renseignements ne se bousculent guère quant à la chronologie.
Ainsi, par exemple, peut-on lire, p. 380, concernant les ciseaux utilisés en percussion pour tailler la pierre :
Au cours du temps, le cuivre arsénié remplace le cuivre, à son tour supplanté par le bronze. Aux temps pharaoniques, l'usage des métaux ferreux, s'il a existé, reste confidentiel.
On ne peut, vous en conviendrez, amis lecteurs, être scientifiquement plus imprécis pour ce qui concerne l'apparition dans le temps des métaux convoqués, tout en laissant supposer une succession dans l'histoire de leur emploi !
Bien que non encore complètement explicitées car il reste, comme je l'ai signifié tout à l'heure, de grandes zones d'ombre, les techniques de manufacture des vases, coupes et autres bols en pierre peuvent dans leur ensemble, à la lumière des documents lithiques en notre possession, être en partie énoncées.
Il faut d'abord, dans un premier temps, distinguer ceux taillés dans des pierres tendres - grès, calcaire, calcite (que, très souvent encore, les catalogues nomment "albâtre égyptien") de ceux en pierre dure - schiste, granite, quartzite, par exemple. En effet, suivant le cas, l'instrument d'évidement était différent : percuteurs en dolérite et ciseaux de cuivre suffisaient pour les premiers, tandis que forets avec mèche en pierre encore plus dure se révélaient nécessaires pour les seconds.
De multiples récipients brisés ou abandonnés en cours d'exécution furent mis au jour par les archéologues : ils nous permettent de mieux appréhender les étapes successives du travail. Quel que soit le matériau de base, il fallait obligatoirement dégrossir le bloc choisi de manière à en délimiter plus ou moins la forme puis, entamer l'opération de creusement.
Quand l'on observe, provenant de l'excellent album de photos de Kairoinfo4u, un exemple inachevé tel ce bloc trouvé parmi d'autres à Saqqarah et dans lequel subsistent quelques traces de forage, l'on se rend compte que creuser se faisait en pratiquant des trous successifs, proches les uns des autres de manière que, ce geste préparatoire terminé, il ne restait plus qu'à délicatement briser les cloisons internes pour qu'apparaisse le trou désiré ; la dernière manipulation consistant à polir l'intérieur - les coupes notamment, plus que les vases -, tout autant que l'extérieur avec une mèche idéalement en grès silicifié, roche principalement composée de sable de quartz.
Force m'est de reconnaître que bien plus hypothétique se révèle le procédé d'évidement des vases pansus ; et plus conjecturelles encore semblables réalisations en pierre dure, paradoxalement beaucoup plus susceptibles de rapidement se briser que les tendres ...
Aussi, quand on prend conscience de la quantité phénoménale de récipients lithiques exhumés des
sépultures égyptiennes ; quand, comme ici dans cette galerie d'étude de la salle 21, l'on reste confondu par tant de maîtrise technique des artisans de l'Ancien Empire et, bizarrement, tant de
désinvolture de la part des visiteurs qui la traverse quasiment au pas de charge en n'y jetant qu'un regard peu intéressé, une évidence s'impose : cet artisanat ne bénéficie nullement de toute la
considération que pourtant il mériterait.
(Goyon/Golvin/Simon-Boidot/Martinet : 2004, 380 ; Simon-Boidot : 2008, 37-46)
Avant de prendre congé de vous, amis lecteurs, il m'est plaisir en cette fin de semaine de vous annoncer la création, depuis peu, sur le Forum qu'il m'arrive de fréquenter, d'un agenda listant les manifestations égyptologiques telles expositions, colloques, conférences, visites guidées tant en France qu'en Belgique et, pourquoi pas, dans une avenir proche, en tous lieux où l'histoire de l'Égypte antique s'inscrira en lettres d'importance.
Certes existaient déjà, sur le Net comme au sein même du Forum, des parutions d'annonces semblables. Nonobstant, la grande nouveauté réside ici dans l'ouverture à tous, membres comme non membres, inscrits comme non inscrits. Entendez donc : opportunité à vous aussi amis lecteurs qui auriez connaissance dans votre région, dans votre ville, à la librairie de votre quartier d'un événement à l'égyptologie consacré et de le signaler à tous.
Vous pour qui les seules interventions d'EgyptoMusée ne constituent qu'une première approche, vous qui désirez maintenant en savoir plus encore que ce que vous apportent nos deux rendez-vous hebdomadaires au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, une seule adresse : l'agenda du Forum de ddchampo, désormais VOTRE propre calendrier des futures nouvelles rencontres égyptologiques.
Aux fins d'informer et d'être informés, rendez vous donc
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