Tout spécialement écrit à l'intention de celles et ceux qui se prétendent journalistes et qui ne sont pas plus journalistes que je suis banquier moi-même.
Car voici maintenant ± 24 heures que le scoop a été publié, et j'avoue que les échos dans la presse donnent de sérieux indices sur la déliquescence du journalisme actuel !
Il n'est que de voir les résultats dans Google, une cinquantaine de journaux de langue française en ont parlé, mais à part quelques tièdes exceptions, seul le titre change. Sinon c'est partout la même soupe : pratiquement un copier-coller où sont mis en opposition de façon subreptice, d'un côté le "journal de gauche" qui a sorti l'info, de l'autre le Vatican qui qualifie ladite info de "délirante et ne correspondant à aucune réalité" !
Romeo lui-même a timidement tenté de démentir la teneur de ses propos (mais on ne voit pas comment il pourrait confirmer avoir prédit la mort du pape avec un an d'avance, sauf à devoir s'en expliquer devant l'opinion et, probablement, devant les juges), tout en reconnaissant dans un communiqué officiel qu'il a bien effectué un voyage privé en Chine à cette époque, d'une durée de cinq jours, et plus précisément à Pékin. Voyage qui serait probablement resté secret sans cet éclairage inattendu...
Donc avec un tel postulat de départ, il est clair que le soit-disant scoop c'est du n'importe quoi, encore un coup de complotistes-conspirationnistes à la con ! Entre de minables gauchistes et Sa Sainteté, y a pas photo messieurs-dames. Emballez, c'est pesé, à la prochaine...
Attitude commode, surtout, qui évite de devoir approfondir le sujet pour ne pas effrayer le lecteur si facilement influençable - ce à quoi ledit lecteur serait au contraire en droit de s'attendre si un zeste de déontologie journalistique animait encore ces scribouillards pisse-papier !
Car le porte-parole du Vatican a beau se gargariser avec son expression "délirante et ne correspondant à aucune réalité", il a quand même dû revenir sur ses pas dans la journée en précisant que le document était bien authentique !
Non sans ajouter dans la foulée que même si la note était vraie elle n'était pas sérieuse, et que donc elle n'avait pas été prise au sérieux : nous n'en sommes plus à une pirouette près...
Ces gens-là sont aussi menteurs que Berlusconi (ça doit d'ailleurs être pour ça que la soutane et lui ont tant d'atomes crochus).
Car si une telle note, "strictement confidentielle", est délirante et pas sérieuse, alors pourquoi la faire remettre en mains propres au pape par un cardinal ? Et le journaliste auteur du scoop, Marco Lillo (qui a reçu pas plus tard que la semaine dernière l'un des prix journalistiques plus prestigieux d'Italie...), s'interroge dans l'édition d'aujourd'hui :
Surtout pourquoi accompagner la note des annotations manuscrites suivantes :Oui pourquoi ? N'était-ce pas une note "délirante et ne correspondant à aucune réalité" ?
- Avec qui Romeo a-t-il parlé ? (Con chi ha parlato?)
- Qu'a-t-il réussi à obtenir ? (Cosa è riuscito a ottenere?)
- Quelles informations a-t-il communiqué sur le Vatican et le gouvernement chinois ? (Che cosa ha informato con riguardo al Vaticano o al governo cinese?)
- Quels sont les intérêts des chinois en Sicile ? (Che interessi hanno i cinesi in Sicilia?)
- Où logeait-il en Chine ? (Dove ha loggiato in Cina?)
Et Lillo de conclure qu'il sait de source sûre que non seulement la note en question n'a pas été mise à la corbeille, mais que le mois dernier elle a été discutée en audience privée entre le pape et le cardinal Dario Castrillón Hoyos, destinataire - sinon auteur - de cette lettre "strictement confidentielle".
Donc pourquoi le lectorat francophone ne peut-il trouver ne serait-ce qu'un putain de journaliste sérieux qui s'empare de l'enquête pour essayer d'y voir plus clair ?
C'est bien gentil les faux aspirants Albert Londres de continuer à déléguer aux blogueurs la tâche d'informer sérieusement le public, comme toujours, mais pourquoi ne pas essayer de temps en temps de faire correctement votre boulot ?
Je suis persuadé que la démocratie y gagnerait, même s'il est probable que la chose ne vous touche guère. Vous me gonflez, tiens !
Jean-Marie Le Ray