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UN SI POLLUÉ PETIT VILLAGE, Marie Claire, IV-08

Publié le 07 mars 2008 par Caroline Rochet
UN SI POLLUÉ PETIT VILLAGE, Marie Claire, IV-08 MARIE CLAIRE Champlan : Enquête sur un si pollué petit village Avril 2008 Ca fait quoi d'habiter au-dessous d'un couloir aérien, près des lignes THT, à deux pas d'incinérateurs ? Champlan cumule tant de nuisances que le gouvernement y a lancé une étude, et les habitants jouent les cobayes verts. Nous avons, nous aussi, mené notre enquête. "J'ai toujours vécu ici et pourtant regardez, ma main n'a pas six doigts !", plaisante un Champlanais, lassé de voir débarquer des journalistes dans sa paisible retraite. C'est que cette commune de 2400 habitants traîne une sacrée réputation. Autrefois surnommée "La poubelle de l'Essonne" et récemment qualifiée d'"enfer" par le journal Le Monde, elle semble pourtant loin du cauchemar : verdoyante, plus campagne que cité, peuplée de pavillons sans tour HLM et proche du RER (à 20 mn de Paris), elle apparaît comme un parfait paradis "rurbain". Alors, qu'est-ce qui cloche ? Simple : l'endroit a l'insigne honneur d'être classé village le plus pollué d'Ile-de-France. Situé sous les couloirs aériens d'Orly (400 vols quotidiens à basse altitude), entouré d'un réseau routier particulièrement dense (A6, A10, N20, soit près de 500.000 véhicules par jour), et bordé de lignes à très haute tension (desservant le sud de Paris en électricité), il abrite également deux usines d'incinération d'ordures ménagères et un centre de broyage de béton. Plus "village dans les nuages" que "petite maison dans la prairie", donc. UNE PREMIÈRE MONDIALE Ce cocktail de pollutions diverses, qui inquiète depuis longtemps ses habitants, a attiré l'attention des politiques. Dont Nathalie Kosciusko-Morizet, députée de l'Essonne et Secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, qui s'est démenée pour lancer une étude multicritère sur ces nuisances environnementales et l'impact de leur "mélange" sur la santé des habitants. Ce qui constituerait une première mondiale. "C'est une enquête pilote, où différentes agences d'expertise environnementale (l'ADEME(1), l'Afsset(2), l'InVS(3) et Airparif(4)) travaillent main dans la main : une rareté", indique François Moisan, directeur scientifique à l'ADEME et coordinateur du projet. Et qu'étudie-t-on sous le microscope ? Qualité de l'air, champs électromagnétiques, bruit, et même ressenti personnel des habitants, tout a été passé au crible. Les résultats ont parfois confirmé les craintes, comme en ce qui concerne la pollution sonore - une vraie catastrophe. Mais il y a aussi eu des surprises : l'air n'y serait finalement pas plus pollué qu'à Paris. Ironie du sort, le scoop le plus effrayant concerne la France entière : l'étude a en effet permis de remettre en relief la piètre qualité de l'air ... intérieur ! Maisons, bureaux ou écoles sont minés de polluants présents dans les revêtements de sol, les peintures ou la colle. POURQUOI C'EST INTÉRESSANT L'utilité de cet examen multiple ? Marc Loué, maire de la commune, explique : "Le pire, c'est de ne pas savoir. Une fois tombées les idées reçues, on passera à l'action. Bien sûr, on ne va fermer Orly ou les autoroutes suite aux résultats ! Mais il y a des solutions". Qui nécessitent de l'argent. Enfouissement des lignes à haute tension, mesures aéroportuaires, couvertures et murs anti-bruit pour les autoroutes, constructions HQE  ... "Ce n'est pas tout. L'étude va permettre de mettre en relation les différents types de pollution et leur impact sanitaire, et servir de base pour d'autres études en France ou ailleurs", ajoute François Moisan. Ou comment une petite bourgade du 91 se fait pionnière du combat mondial du XXI° siècle. DES HABITANTS DIVISÉS ... Résultat des courses après deux ans d'étude : le village a beau pulluler d'émissions nocives, la concentration n'en serait pas si effrayante. Mais la polémique monte. D'un côté, les optimistes, comme le maire : "L'étude sociologique a démontré que notre qualité de vie champêtre à deux pas de la capitale séduit toujours. Le seul vrai souci, c'est le bruit. Mais il existe des aides à l'insonorisation des particuliers". Cédric, barman au Village Café, sourit : "Les avions ne volent pas la nuit, l'air n'est pas plus pollué que chez les Parisiens, et personne ne planque les pylônes électriques quand quelqu'un vient visiter une maison à vendre ... Malgré quelques inconvénients, on est bien ici. Et l'été, ma terrasse est toujours pleine !". Mais un client réplique, agacé : "Moi, j'habite juste à côté de l'autoroute. Et je ne peux pas ouvrir mes fenêtres la nuit, à cause du bruit". Il n'est pas le seul à être sceptique. Christian Leclerc, président de l'Association de défense de l'environnement champlanais, s'étonne : "Les résultats de mesure d'Airparif ont étrangement diminué de moitié en quatre ans. Et l'étude a été faite en plein hiver, quand la pollution de l'air ou le bruit sont beaucoup moins importants ... Je ne souhaite pas accuser qui que ce soit, mais j'ai l'impression qu'on a peur de faire peur, et qu'on n'assume pas les vrais résultats. Je suis sûr que d'ici quelques années, quand la science aura progressé et qu'on sera plus objectifs, on découvrira que ce cocktail de pollutions a des conséquences dramatiques sur la santé." … ET MOTIVÉS Et les Champlanais dans tout ça ? Plutôt contents que les pouvoirs publics prennent leur cas au sérieux, ils sont régulièrement informés des avancées de l'enquête et invités à participer activement : réunions de bilan, suggestions, volontariat pour porter les capteurs ... Ce qui, selon François Moisan, n'est pas banal dans ce genre de travaux. Pour mieux comprendre, nous avons rencontré deux de ces cobayes verts, actrices volontaires d’une étude pas comme les autres. (1) (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie), (2) (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail), (3) (Institut de veille sanitaire), (4) (Réseau de surveillance de la qualité de l'air en Île de France) ◊ Nathalie, 42 ans, mère au foyer, un fils de 7 ans, volontaire pour l'étude sur les champs électromagnétiques Je vis à Champlan depuis dix ans et j'adore sa verdure, sa convivialité, mon grand jardin ... C'est pour ça, et pour mon fils, que j'ai tenu à participer. Être volontaire pour porter un appareil de mesure, c'est comme de témoigner pour Marie Claire : un moyen de faire avancer les choses ! Il faut dire aussi que nous sommes plutôt concernés : notre maison est la plus exposée du village, avec d'énormes lignes à haute tension juste au dessus du toit, deux usines en face et l'autoroute en contrebas ! Ceux qui viennent nous rendre visite ont toujours un peu peur. Nous, non : j'attends de voir les résultats pour juger. Mon fils a du mal à dormir, mon mari et moi sommes un peu nerveux, mais qui sait si c'est la faute aux câbles ou juste une question de tempérament ? Idem pour la disparition progressive des vers luisants, des grillons, des plantes : est-ce particulier à Champlan ou généralisé sur certaines régions ? Cette étude est une très bonne chose, on a besoin de réponses concrètes. Mais je suis consciente, hélas, de sa complexité - il va falloir du temps (et des progrès) pour obtenir des certitudes. Et puis, si l'on pense aux conséquences que cela pourrait avoir, par exemple, sur les compagnies d'électricité, il y a un risque qu'on atténue volontairement les résultats ... Tout ceci est très délicat. Mais je suis consciente de vivre quelque chose d'important, et plutôt très heureuse de m'y impliquer ! ◊ Sandrine, 37 ans, attachée commerciale, deux enfants, secrétaire de l'Association de défense de l'environnement champlanais L'écologie me passionne, je milite pour le WWF et fais des animations bénévoles dans les écoles pour sensibiliser les enfants à l'environnement. Alors forcément, cette étude me parle ! Comme je ne travaille pas au village, je n'ai pas été retenue pour les tests de mesure, mais j'ai trouvé d'autres moyens de m'impliquer : présence à toutes les réunions, rencontre avec Nathalie Kosciusko-Morizet, porte à porte pour faire signer la pétition contre la station d'épuration ... Quand j'ai acheté cette maison, je ne savais rien du tout. Depuis, j'ai remarqué les odeurs d'hydrocarbures, la nervosité des gens, les enfants asthmatiques ... Cette étude ne nous fera pas revenir en arrière, mais elle est utile pour tirer le signal d'alarme : les Champlanais doivent réagir, dire stop. On a beau en parler beaucoup, l'écologie reste encore marginale, les gens n'ont pas le temps ou l'envie de s'y intéresser. Mais il ne faut pas désespérer : j'ai bien réussi à mettre en place les écogestes à mon bureau, convertir mes amies à la cosmétique bio, et mon compagnon, responsable d'une société de transport, aux véhicules propres ... Il suffit d'y croire ! ENCADRÉ : PÉRIL EN LA DEMEURE ? Nous passons plus de vingt heures par jour en environnement clos, dont une bonne partie dans notre home sweet home. Et celui-ci a beau reluire de propreté et sentir bon la lavande, des polluants physiques, chimiques ou biologiques d'origines diverses en font un véritable bouillon de culture. Meubles, matériaux de construction, déco, bricolage (colle, vernis, laque), équipement, bureautique, produits d’entretien … L'air qu'on respire peut entraîner de nombreux troubles de la santé (encore mal connus), tels que somnolence, irritation des yeux ou de la peau et allergies respiratoires - sans parler des substances cancérigènes comme le tristement célèbre formaldéhyde. Bien entendu, cette pollution affecte particulièrement les plus fragiles, âgés ou très jeunes. L'Observatoire de la qualité de l'air intérieur*, créé en 2001 par les pouvoirs publics, tente d'établir une réglementation dans ce domaine et d'apporter des solutions adaptées à sa prévention. Leurs conseils ? D’abord ventiler à tout va ! Surtout en cas de ménage, bricolage, humidité ou tabagisme (et ce, même s'il gèle dehors…). Pensez aussi à réparer les fuites, n’abusez pas des parfums d'ambiance et tombez amoureuse de votre aspirateur. Bref, boutez l’ennemi hors de vos foyers. *Plus de conseils sur www.air-interieur.org ENCADRÉ : INTERDITES DE TÉMOIGNAGE Trois enseignantes de l'ecole de Champlan, porteuses de capteurs pour la pollution de l'air, devaient témoigner dans nos pages afin de raconter leur engagement et les réflexions des enfants. Problème : l'inspectrice d'académie le leur a interdit. On ne saura jamais pourquoi. *** Photos Grégoire Korganow

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