Ainsi, il est beaucoup question de référendum depuis quelques heures.
Comme je n’ai jamais eu trop de scrupules à poser mon coude sur le vaste comptoir virtuel où l’on fait concours de ces opinions, voici quelques remarques sur l’un des sujets du moment :
D’abord faire le pari du scrutin référendaire n’est en rien iconoclaste et s’inscrit au contraire dans une assez longue tradition, plus ancienne encore que la geste gaullienne dont le parti du président candidat se réclame encore il me semble.
Prévu par la Constitution de l'an I (soit 1793) comme par celle rédigée par Napoléon le petit, le référendum puise sa source et donc sa légitimité dans la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leur représentants à sa formation. »
La Cinquième République - dont l’origine même se confond avec un référendum, voire deux - passe du ou au et (« la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Article 3, alinéa 1 de la constitution du 4 octobre 1958). Manière, selon René Capitant de faire disparaitre l’opposition entre la souveraineté nationale et la souveraineté populaire.
Pour autant, la voie de la représentativité reste l’ordinaire de la production législative. Il n’en est pas moins vrai qu’après une absence totale sous la Troisième république, une application limitée à la seule matière constitutionnelle sous la Quatrième, la Constitution Debré met (un peu) à mal, sur le plan des principes, le monopole de fait des assemblées.
Comme cette dernière remarque le suggère, la légitimité du référendum ne se soutient pas que de sa seule ancienneté, elle peut aussi trouver quelques appuis sur le plan des principes.
Selon le juriste Raymond Carré de Malberg : « seul le référendum apparait comme un complément suffisant à l’idée de représentation. […] Il y a une relation immédiate et inéluctable entre les concepts qui ont servi à fonder la puissance parlementaire et les institutions démocratiques permettant à la communauté des citoyens de faire entendre leur voix. »
Il n’est pas non plus interdit de penser que l’appel direct aux électeurs pour la prise de décisions serait propre à secouer l’apathie découlant du filtre ronronnant de la représentativité, laquelle tend à rendre virtuelle ou lointaine la souveraineté du peuple en principe au fondement du gouvernement des hommes et des choses.
Idée défendable mais que la pratique ne valide pas toujours : sur les dix référendums nationaux organisés sous la Ve, la participation oscilla entre 85% en 1958 et… 30% en 2000.
Autre argument pro référendum : il serait tout à fait possible de le concevoir comme un contre-pouvoir en face de la (presque) toute puissance présidentielle.
Mais il faudrait pour cela occulter le fait que, depuis le départ tonitruant de son fondateur en 1969, aucun président de la Cinquième République n’a engagé sa responsabilité lors de telles consultations. Le non de 2005 venant confirmer qu’un président en place peut ne voir aucun désaveu personnel dans l’échec de sa proposition.
Du côté des réserves maintenant.
La plus évidente vient du fait que le référendum sacralise la volonté populaire au risque d’y perdre les libertés fondamentales sans lesquelles la démocratie n’est plus grand chose d’autre que le prête-nom d’une tyrannie, toute majoritaire qu’elle puisse être.
Le 8 avril 1962, le référendum sur la ratification des accords d’Evian organisant l’indépendance de l’Algérie habilitait le Président de la République à « arrêter, par voie d’ordonnance ou, selon les cas, de décrets pris en Conseil des ministres, toutes mesures législatives ou réglementaires relatives à l’application. »
Alors, certes, il ne s’agit pas d’une violation flagrante des libertés publiques, mais nous avions quand même le cas d’une augmentation conséquente des pouvoirs de l’exécutif qui peut, dans la pratique, se réduire à l’homme aux commandes, avec l’aval de la population française.
Une autre objection pourrait s’appuyer sur la manière dont il structure le débat public. A réduire les enjeux de société à la binarité, le risque existe d’une radicalisation des camps.
On peut du coup s’interroger sur la pertinence de sa banalisation dans un contexte déjà tendu, lourd de violents conflits potentiels, une France que l’ancien médiateur de la République Jean-Paul Delevoye décrit comme "à la limite de la rupture. Au bord de la crise de nerfs."