Mélenchon, un soir de février
09 Février 2012 Par olivier perriraz (source)
Tranche de vie… Il en fallait de la volonté pour affronter le vent et le froid intense au soir de ce mardi 7 février. Pourtant, quelque chose me poussait, comme les 10 000 personnes qui se sont déplacées à Villeurbanne, au meeting du Front de Gauche avec Danielle Obono, Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon. Passé l’épreuve du froid, pas si terrible il faut bien le dire, pour qui a la chance de posséder un toit chauffé, une assiette de soupe de légumes bio et le confort assuré d’un salaire me permettant de ne souffrir de pas grand-chose.
Je me dirigeais vers ce meeting le souvenir chargé d’un certain à priori, datant d’une autre époque. Comment ne pas penser à ces dimanches, ou à ces 1er mai des années 70, quand les parents nous menaient en famille aux meetings du PCF. Comment oublier ces ambiances ? Ces réunions désuètes et souvent poussiéreuses où l’argument politique n’était fait que de références nostalgiques du passé et affirmées de façon péremptoires. Ce genre d’ambiance qu’aujourd’hui je retrouve encore trop souvent dans certains rassemblements de la CGT. Arguments et postures d’initiés compréhensibles que par d’autres initiés avec un langage et une syntaxe codés. Malheur à l’ignorant qui n’a pas eu le courage de lire Marx ou Lénine. Honte à toi petit fils de résistants si tu ne suis pas les pas fléchés de tes ancêtres. Comment le pourrais-je ?
Ma génération qui n’a souffert de rien, ne s’est battu pour pas grand-chose. 20 ans dans les années 80, nous étions totalement inconscients. Cette génération n’a eu qu’à profiter des acquis gagnés par les ainés qui n’ont, malheureusement pas su nous éduquer politiquement. Autant d’incrédulités, autant de méfiances ne m’ont pourtant pas dissuadé ce soir là. J’y suis allé, mes vers de Victor Hugo en poche et ses pensées humanistes en mémoire. J’y suis allé, après avoir nettoyé le disque dur de ma matière grise encore pleine d’images et de slogans d’un autre temps. J’y suis allé, comme un ignorant se croyant paumé après m’être perdu, peu de temps au sein du PS et m’apercevoir que ce parti n’est rien d’autre qu’une machine à pouvoir. Un parti sans sincérité, où le nouveau militant n’est même pas accueilli avec le sourire.
Ce 7 février, dans le métro de Lyon, dans le tramway bondé en route vers le « double mixte » de Villeurbanne, il y avait des jeunes, des centaines de jeunes. Les vrais ! Ceux qui ont moins de 25 ans. Des étudiants, des salariés. Des jeunes tout neuf dans leur tête. Bruyants, souriants, chantants des trucs que je ne connais pas ou des trucs que je connais trop bien, mais qui résonnent différemment. Des jeunes qui m’appellent monsieur. Ça calme ! Ils demandent autour d’eux si les gens savent pourquoi ils vont à ce meeting. Eux, ces jeunes, ils ne savent qu’une seule chose… « Avec Mélenchon nous sommes sûr de comprendre ce qu’il raconte. Il parle de nous. Nous donne des arguments. Il nous respecte et ne se laisse pas faire par les beaux parleurs de la télévision… » M’explique un étudiant la barbichette naissante. Il ajoute ; « je suis aux jeunes socialistes, mais je voterai pour Mélenchon ». Ses amis rigolent et le charrient gentiment. A côté de lui, les questions fusent. Une jeune fille m’interpelle sans me laisser l’occasion d’en placer une ; « vous faites quoi dans la vie ? » Journaliste, waouh, génial pour qui ? La Vie ouvrière, c’est quoi ça ? C’est proche de l’extrême gauche ? J’me trompe ! s’cusez m’sieu… La CGT ? Waouh, ça j’connais, mais pourquoi vous avez choisi ce journal ? Moi j’veux travailler dans l’humanitaire, je suis à la fac en science politique… Mélenchon c’est le seul qui ne nous entourloupe pas. J’voterai pour lui ! Vous aussi m’sieu ? ».
Comme la majorité des voyageurs de ce tramway bondé, tout le monde se rend au meeting et a déjà choisi son bulletin de premier tour. Les générations se croisent autant que les styles, plus vraiment visibles sous les couches successives de vêtements. Le « double mixte » de Villeurbanne est à deux pas d’un campus universitaire. Cette salle coupée en deux étages, oblige les orateurs à une drôle de gymnastique. Le meeting officiel sera en haut, alors ceux du bas auront droit aux écrans géants. Jean Luc Mélenchon, Pierre Laurent et Danielle Obono, ont tout de même tenus à faire une halte dans la salle du bas.
Il faut bien caser tout le monde. 10 000 personnes dans un espace prévu pour la moitié. 4000 en haut et 6000 en bas et autant de connexions internet sur le site de campagne.
L’ambiance est incroyable, nous sommes quelques uns, la cinquantaine naissante au milieu de centaines de jeunes qui sont venus là par curiosité, mais aussi parce qu’ils ont le sentiment de ne pas être jugé. Chacun a le droit à une première fois. Ils ne demandent qu’à apprendre et le candidat du Front de Gauche l’a bien comprit et déroule ses arguments et ses informations dans un esprit d’éducation populaire. Il explique le véritable contenu des accords de compétitivités allemands dans ce pays où la pauvreté augmente et où le salaire minimum n’existe pas. Voici ce qui nous est promis si nous ne résistons pas.
Baisse des salaires, augmentation du temps de travail et surtout le projet de réforme du contrat de travail, dans lequel la « négociation » supplanterait le droit. Une remise en cause du principe de droit et de justice sociale pour tous, également proposée par François Hollande… « Expliquez autours de vous ! » encourage « Méluche ». « Il faut sortir la classe ouvrière des griffes du FN » poursuivra plus loin le candidat. C’est dingue, il parle de lutte des classes… et ça passe… ça ne sonne pas vieux, ça résonne chez les jeunes. Je n’en reviens pas. Il se paye même le luxe de lire Victor Hugo :
« Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares, ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la vie.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudées à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du Moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quand à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares… » Cet extrait des misérables résonne dans la salle comme un miroir sonore à l’actualité d’aujourd’hui alors qu’il fut écrit il y a 150 ans. L’éducation populaire est en direct, en plein meeting politique. C’est gonflé et heureux.
Les jeunes réagissent à chaque propos de ce candidat qui affirme que ce sont les idées qu’il porte qu’il faut mettre en avant. Pas de gourou, pas de personnalisation du débat. Des idées, pas un chef. Ça fait mouche ! A ma droite une jeune fille d’à peine vingt ans relève le propos en se tournant vers sa copine « tu vois ? C’est le seul qui ne roule pas pour lui-même. Et puis c’est vachement clair tout ce qu’il raconte, c’est pas que du slogan… » Sa copine un peu timide à un large sourire ; « en tout cas j’ai tout compris ! ».
Tous ces jeunes arrivés ici comme à la fête foraine finiront le meeting en levant le poing et en chantant l’internationale et la marseillaise. Pour beaucoup, ils ne connaissent pas les paroles. Ils font lalala et répètent en lisant sur les lèvres des plus vieux. Ils ont le temps pour apprendre. Une chose est sûre, il se passe quelque chose dans ce pays… Rendez vous le 18 mars place de la Bastille à Paris.
A voir le discours de Jean Luc Mélenchon sur: http://www.placeaupeuple2012.fr/discours-de-jean-luc-melenchon-a-villeurbanne/