Que faire du relativisme ?

Publié le 10 février 2012 par Anargala


"Tout est relatif", "C'est vous qui le dites", "Ça dépend", "C'est mon opinion", "Chacun sa vérité", "Si vous le dites...". Autant d'expressions banales qui expriment... quoi ? Le relativisme ? Souvent, oui. C'est-à-dire, un refus d'assumer ce que l'on pense, et la contradiction. Évidemment, c'est aussi une protection contre le fanatisme. Mais il est clair que c'est, tout aussi bien, une arme qui peut être employée par les fanatiques. "Le darwinisme, après tout, n'est qu'un mythe, qui n'est pas foncièrement différent du récit de la Genèse", se réjouissent les créationnistes (y-compris musulmans, ou hindous). 
Pourtant, il est également clair que la prise de conscience du caractère relatif de nos opinions, cultures, civilisations, croyances, etc. recèle une puissance libératrice à laquelle ce serait folie de renoncer.Alors, comment penser le relatif pour qu'il reste un outil de libération à l'abri de toute récupération ? Ou encore, comment poser des limites au relatif, pour s'assurer que les hommes de bonne volonté n'en n'useront pas pour donner l'apparence d'une justice à leurs caprices ?
A mon sens (mais tout est une question de point de vue, et ce n'est que mon opinion, etc.), il faut faire une distinction entre relativité et relativisme.
La relativité est un fait de la connaissance. Les qualités sont relatives les unes aux autres. Le grand n'est pas grand en lui-même, mais relativement au petit, et vice-versa. Nous apprenons ainsi que les choses sont et ne sont pas, sont ainsi et autrement, selon le contexte, le point de vue, la perspective. Nous prenons ainsi conscience que les choses ne sont pas des objets donnés, mais des images construites. Et surtout, nous apprenons que nous en sommes, en grande partie, responsables. 
Mais le relativisme, quant à lui, consiste à absolutiser la relativité. Comment ? En affirmant que "tout", absolument tout, "est relatif". Ce qui revient à affirmer, sans le dire explicitement, que tout est relatif à quelque chose. Et là est le problème, au fond. Que "tout" soit relatif, soit. Mais il faut réfléchir à quoi. La matière ? L'esprit ? La raison ? Le temps ? Les nombres ? Une loi mystérieuse ? Le Soi ? La conscience ? La lutte des classes ? 
Faute de faire ce travail d'explicitation, on est absolutiste, mais sans le dire. Le relativisme, c'est la relativité dogmatisée, car non questionnée. "Tout est relatif" devient alors une vérité sacrée qu'il convient de ne pas interroger sous peine d'ostracisme.
Je crois donc que la posture juste consiste à admettre que tout est relatif à quelque chose qui, lui, ne l'est pas. C'est la doctrine de Platon, sur la forme. C'est aussi celle d'Abhinavagupta. Donc, au lieu de nous assener mutuellement du "mais c'est vous qui le dites" comme si cela était la plus sacrée des vérités - ce qui est en réalité une façon de clore tout dialogue - discutons pour nous approcher de ce principe sans principe, de cette condition qui conditionne tout, sans elle-même être conditionnée par rien.
La relativité nous sauve du dogmatisme.L'absolu nous sauve du relativisme.Et les deux nous sauvent du fanatisme.
L'extrait des Noms divins cité il y a quelques jours était une suggestion allant dans ce sens. La théorie de la relativité générale, également. Tout est relatif, oui. Mais tout est relatif à la vitesse de la lumière qui, elle, n'est relative à rien. L'ironie est que l'on invoque Einstein pour arroser le relativisme le plus vulgaire de l'eau pure de la science.
Et le dharma du Bouddha ? N'est-il pas un relativisme, puisqu'il refuse toute essence, tout fondement ? La question est subtile, complexe. Il faut lire les textes. Qu'en pensez-vous ?