« Je vais tout te raconter sur les sept bonshommes que ma mère a zigouillés les uns après les autres. »
C’est en ces termes que Martine entame le récit morose de sa vie familiale. Des mots durs, adressés sans ménagement et sans effets à Marianne, la narratrice, une cousine qu’elle avait perdu de vue pendant quelques années. Les deux femmes se sont retrouvées lors de l’enterrement de la mère de Marianne.
Leurs familles ont longtemps été intimement liées. Marianne admirait la grâce de Martine, son aisance, ses formes. Mais bien des années plus tard, que reste-t-il d’elle? Martine a sombré. Alcoolisme, violence, perversion. Elle a abouti dans un logement de quinze mètre-carrés, où elle vit avec un homme toqué de ses bizarreries.
Marianne elle est devenue graphiste, avant de perdre son travail. La voici désœuvrée, et lorsqu’elle retrouve Martine, elle éprouve une sorte de fascination bizarre, un mélange de pitié, de curiosité, d’amour peut-être. Marianne décide d’écrire un livre sur elle, peut-être sur elles-deux. Mais rien n’est décidément simple, dans cette famille enracinée dans la violence et la promiscuité…
Nous voici plongés au sein d’un chancre familial, mais plonger n’est peut-être pas le mot… .
L’auteure nous a fabriqué un monolithe, qui semble tout droit sorti d’un haut-fourneau, avec toutes ses scories, ses aspérités. On aurait pu prendre les poussières, tout de même… Le style semble façonné dans une usine proche de l’explosion sociale. Les mots sont bruts, rocailleux, l’écriture semble n’avoir même pas été relue. Le bouquin tout entier a l’air d’avoir été moulé dans une seule nuit de cauchemar !
Peu d’étincelles d’espoir, peu de lumière sort de ce bloc, à part les souvenirs, et encore, ils sont teintés d’amertume… L’auteur semble avoir coulé en mots toute la douleur du monde…
Si Martine est primaire, glauque, comme une rate dans un trou, Marianne ne s’en sort pas mieux. Elle oscille entre phases dépressives et se met à boire au goulot, à l’instar de sa cousine. Le lecteur a envie de casser ce bloc de rancœur, et de secouer ces familles de tourmentés qui tournent en rond. Mais rien ne vient améliorer leur quotidien qui consiste à se morfondre, en se souvenant, parfois, du temps jadis, où l’on se chamaillait, le temps où les deux filles faisaient la course à la nage.
Obscur en général, avec quelques lueurs de tendresse, de rire peut-être, mais propice à la réflexion, ce roman ressemble à un psychodrame joué à corps perdu dans un lugubre cabinet de psychiatrie, devant nous, lecteurs médusés. Je suis sorti de ce livre perplexe et songeur, pour peu que j’y sois jamais entré. Peut-être vaut-il mieux attendre la fin de la dépression d’hiver, pour se glisser dans ce mètre-cube de sentiments et ressentiments.
« Je note que les larmes viennent lorsqu’elle évoque sa mère, mais que ses yeux restent secs quand elle parle de sa fille. La haine fait obstacle à la tristesse, et puis sa fille a le privilège d’être encore en vie. Les morts prennent l’avantage, c’est certain. Martine junior a pris ses distances avec Martine, laquelle a fait pleurer sa p’tite Chiasse parce qu’un enfant n’est beau que lorsqu’il pleure, et c’est cette beauté-là qu’il faut saisir sur le vif. Les photos en noir et blanc d’enfants pleurant sont de véritables œuvres d’art »
Les raisons de mon crime – Natalie Kuperman. Éditions Gallimard
Date de parution : 05/01/2012