Artcurial propose, le mardi 14 février, dans le cadre de la vente « Dessins d’écrivains » Collection Pierre et Franca Belfond, des
œuvres visuelles de poètes des XIXe et XXe siècles.
Photographie 1 : Ce portrait-charge (caricature) d’Alexandre Dumas (1802-1870) met en scène
le dandysme romantique du personnage avec ses origines antillaises d’une manière savoureuse. « Dessin original. [Probablement 1848]. Encre, plume et lavis, rehauts de brun et rouge à l'aquarelle,
traits préparatoires à la mine de plomb, 34, 5 x 25 cm sur un f. réglé de papier à musique, bords un peu effrangés avec restaurations, doublure au verso, encadrement sous verre. Superbe
caricature de Dumas Père au plus haut de sa gloire : fort du succès de ses romans Le Comte de Monte-Cristo et La Reine Margot, Dumas était en outre à la tête du
Théâtre-historique voué à la représentation de ses œuvres... Portraituré ici par un contemporain, Alexandre Dumas est représenté de profil, la chevelure crépue dressée en pointe. Il porte
un manteau sur lequel ont été représentés des héros de cape et d'épée inspirés de ses œuvres : en pose, au combat, faisant une révérence devant une femme... Sa haute stature, qui s'encadre dans
sa galerie d'ancêtres noirs, domine le bâtiment d'un théâtre dont la façade rappelle vaguement celle du Théâtre-historique, qu'il fit construire en 1847. Des cheminées du théâtre sortent des
fumeroles auxquelles se mélangent les titres de plusieurs de ses pièces : Christine à Fontainebleau (1830), Charles VII chez ses grands vassaux (1831), Don Juan de Marana,
ou la Chute d'un ange (1836), Le Marquis de Brunoy (1836), Kean (1836), Lorenzino (1842), La Reine Margot (1847), Hamlet (traduction de
Shakespeare, 1847) et Monte-Cristo (1848). " Cette popularité de mon visage " (Dumas père). Alexandre Dumas est un des auteurs qui inspira le plus de portraits et caricatures à son
époque : portraits idéalisés des années 1830, photographies des années 1850-1860, et innombrables caricatures sur l'ensemble de la période : " offensives en apparence, elles défendent en fait la
position littéraire de Dumas, elles renforcent sa popularité en soulignant son caractère extraordinaire. Elles représentent déjà une forme de publicité " (Claude Schopp, préface à
l'Iconographie d'Alexandre Dumas père). Dumas lui-même en était conscient et savait parfaitement en jouer, par exemple écrivant faussement modeste dans Histoire de mes bêtes
(1867) : " Un jour, je l'espère, quelque sorcier m'expliquera comment il se fait que mon visage, un des moins répandus qu'il y ait par la peinture, la gravure ou la lithographie, soit connu aux
antipodes, de façon que, partout où j'arrive, le premier commissionnaire venu me demande : - Monsieur Dumas, où faut-il porter votre malle ? Il est vrai qu'à défaut de portrait ou de buste, j'ai
été grandement illustré par mes amis Cham et Nadar ; mais alors les deux traîtres me trompaient donc, et, au lieu de faire ma caricature, c'était donc mon portrait qu'ils faisaient ?... Outre
l'inconvénient de ne pouvoir aller nulle part incognito, cette popularité de mon visage en a encore un autre : c'est que tout marchand [...] ne me voit pas plus tôt approcher de son magasin,
qu'il prend la vertueuse résolution de vendre trois fois plus cher à M. Dumas qu'il ne vendrait au commun des martyrs. " »
Photographie 2 : Autoportrait-charge d’Alfred de Musset (1810-1857). « Dessin original. Mine de plomb, 16 x 10, 5 cm, pâles rousseurs,
encadrement sous verre. Plaisante caricature où il se représente en dandy romantique, le visage imberbe avec moustache tombante et nez démesuré, en pied avec redingote, col relevé, canne et
chapeau à la main. Musset s'est plu à se dessiner dans ses albums et plusieurs de ses autoportraits sont connus ; sur deux d'entre eux au moins, il apparaît comme ici portant seulement la
moustache : un légendé " Alfred " dans son album du début des années 1830 et un de 1842 (date proposée par Maurice Clouard dans ses Documents inédits sur Alfred de Musset, 1900, pp. 9-10), ce
second dessin correspondant probablement à celui présenté par la BnF sous le n° 354 dans son exposition Alfred de Musset en 1957. " Un jeune homme de taille ordinaire " (Alexandre Dumas). Dans
Mes Mémoires (1852-1854) Dumas père décrivit l'impression que fit l'apparition du jeune poète dans le salon de Nodier : " Un jeune homme de taille ordinaire, mince, blond, avec des
moustaches naissantes, de longs cheveux bouclés rejetés en touffe d'un côté de la tête, un habit vert très serré à la taille, un pantalon de couleur claire, entra, affectant une grande
désinvolture de manières qui n'était peut-être destinée qu'à cacher une timidité réelle. " " Mon propre
visage [...] me regardait avec étonnement " (Alfred de Musset). Avec La Confession d'un enfant du siècle, Alfred de Musset s'est attaché à livrer en 1836 un premier autoportrait moral,
une autobiographie identifiant le " mal du siècle " dont souffrait sa génération. Ce " sentiment de malaise inexprimable " y nourrit un récit désabusé et angoissé mêlant le tragique et
l'autodérision : " Mon propre visage, que j'apercevais dans la glace, me regardait avec étonnement.
Qu'était-ce donc que cette créature qui m'apparaissait sous mes traits ? Qu'était-ce donc que cet homme sans pitié qui blasphémait avec ma bouche et torturait avec mes mains ? [...] Était-ce lui
qu'autrefois, à quinze ans, parmi les bois et les prairies, j'avais vu dans les claires fontaines où je me penchais avec un cœur pur comme le cristal de leurs eaux ? " " Sur mes portraits "
(Alfred de Musset). Dans ses dessins, il ne se représenta d'ailleurs qu'à travers des autoportraits-charges, irrévérencieux pour ses sentiments profonds et pour cette beauté nonchalante qui
séduisit George Sand. En définitive, ses autoportraits caricaturaux livrent une vérité plus intime sur lui-même - sur sa délicatesse à ne pas arborer le masque des tensions intérieures -, que les
portraits d'artistes faits de lui, limités à de simples tentatives de ressemblance. Un poème de 1854, " Sur mes portraits ", illustre son regard ironique sur ces tentatives : " Nadar, dans un
profil croqué, / M'a manqué ; / Landelle m'a fait endormi / À demi ; / Biard m'a produit éveillé / À moitié ; / Le seul Giraud, d'un trait rapide, / Intrépide, / Par amour de la vérité /
M'a fait stupide ; / Que pourra pondre dans ce nid / Gavarni ? " " Delacroix [...] m'a parlé d'Alfred [...] et m'a dit qu'il aurait fait un grand peintre, s'il eût voulu " (George Sand). Musset,
habité par l'idée d'une communauté des artistes, croyait en une correspondance profonde entre les arts. Critique d'art, il se fiait à son sentiment, à une approche empirique et immédiate des
œuvres, et n'échafauda pas de théorie personnelle structurée. Son goût le portrait plus particulièrement vers les époques anciennes, notamment la Renaissance, et il consacra même un drame à la
vie du peintre Andrea del Sarto (publié en 1834 dans le troisième volume d'Un Spectacle dans un fauteuil). Comme dessinateur, en revanche, il exécuta presque exclusivement des
caricatures, laissant libre cours à une ironie parfois féroce (par exemple contre Paul Foucher), à l'exception de quelques portraits de George Sand, d'une joliesse inspirée par l'amour. C'est
elle d'ailleurs qui, dans son Journal intime (édition posthume, 1926), révéla l'admiration de Delacroix vers 1834 pour les qualités artistiques de Musset : " Delacroix [...] m'a parlé d'Alfred
[...] et m'a dit qu'il aurait fait un grand peintre, s'il eût voulu. Je le crois bien. Il veut copier, lui, Delacroix, les petits croquis de l'album d'Alfred. " »