Il détestait leur œuvre de damnation.
Il méprisait leurs corps de perdition.
À son avis Dieu n’avait crée les femmes
Que pour tenter
Les hommes et les régenter.
Une nièce vivait à ses côtés.
Il voulait en faire une sœur de charité.
Elle était jolie, moqueuse, écervelée.
Quand l’abbé la sermonnait,
Elle ricanait,
Quand il se courrouçait,
Elle l’embrassait.
Un matin,
Le sacristain
Apprit au célébrant
Que sa nièce avait un amant.
Il en ressentit une vive émotion.
Et resta un instant oppressé,
Avec du savon
Plein la figure car il se rasait.
Quand il se retrouva en état
De parler, il marmotta :
-Ce n’est pas vrai, tu mens !
-Que le Seigneur me juge si je mens.
J’vous dis qu’elle va le voir
Tous les soirs.
Ils se r’trouvent le long de l’Eure
Jusqu’à point d’heure.
Le prêtre demeura gonflé d’indignation.
À sa fureur
S’ajoutait l’exaspération
Du père moral, du tuteur,
Du chargé d’âme trompé,
Joué, volé, dupé.
Quand dix heures sonnèrent,
Il prit sa canne à pointe de fer,
La regarda en souriant,
Et la fit tourner en des moulinets menaçants.
Mais dehors, il fût surpris par la beauté
Du clair de lune, exalté
Par la grandeur de cette nuit estivale
Baignée de lumière pâle,
Étonné par la frémissante verdure
Des arbres, et saisi par les ramures
Exhalant leurs souffles parfumés.
Il respira l’air embaumé,
Et se remit en marche, buvant l’air
Comme les ivrognes boivent de la bière.
Il allait à pas lents,
Contemplant
La plaine inondée de lueurs caressantes,
Noyée dans la douceur languissante
De cette nuit sereine
…Qui lui fit oublier sa nièce, sans peine.
Des rossignols vocalisaient
Des chants qui font rêver sans faire penser.
L’abbé avait envie
De s’asseoir ici
Et d’admirer l’œuvre divine :
-J’hallucine.
Pourquoi Dieu a-t’il destiné
La nuit au sommeil ?
Pourquoi l’a-t’il rendue plus
Jolie que la journée ?
Et pourquoi la lune était-elle plus
Poétique que le soleil ?
Pourquoi avoir crée tant de séductions la nuit
Alors que les hommes sont en leurs lits ?
À qui sont destinés ces spectacles choisis,
Cette abondance de poésie ?
Je ne comprends pas.
Mais voilà que là-bas,
Deux ombres étendues sous les arbres,
Telles des gisants de marbre,
S’enlaçaient tendrement.
Toutes deux semblaient un seul être
Et s’en venaient vers le prêtre.
Celui-ci restait debout, le cœur battant.
Il croyait assister à une scène biblique
Et entendre le Cantique des Cantiques :
-Pourquoi Dieu interdit-il l’amour
Puisqu’il l’entoure
D’une splendeur aussi sacrée ?
Alors il s’enfuit, presque honteux
Comme s’il eût pénétré dans un saint lieu
Où il n’avait pas le droit d’entrer.
Signé du pseudo : Rosa des Aipines
Cette histoire, racontée en vers libres, est extraite du tome III (à paraître prochainement) consacré aux contes de Guy de Maupassant.
Les deux premiers volumes parus chez Edifree sont :
Tome I (34 contes) : Quel est cet imbécile qui ose mettre en vers des nouvelles de Guy de Maupassant ?
Tome II (40 contes) : Quel est donc ce cornichon qui persiste à mettre en vers des contes de Maupassant ?