Ce pourrait être un livre parmi tant d'autres. Soit. Mais ce n'est pas un livre comme les autres. Il en va de même du premier tome de cette trilogie pour laquelle Le Projet Shiro tient une place charnière. Pour se rendre compte du phénomène et de la singularité de ces livres là, il faut faire un petit retour en arrière. Revenir sur une histoire, une belle histoire, comme il arrive que le monde de l'édition et de la littérature nous en réserve parfois l'apanage.
Cette aventure – on aurait pu tenter la majuscule pour ce mot tant il se révèle au centre même des parcours, des envies et des lignes même de ceux qui la constituent, la font vivre encore – cette aventure est, si l'on peut dire, une histoire de passion et de rencontres. N'allez pas chercher là une quelconque connotation sentimentheàleaumièvrifique. L'affaire ne se joue pas dans cette catégorie.
En 2009, après presque dix ans de bons et loyaux services rendus en terme de prescriptions littéraires, la librairie Critic se lance dans l'édition. Le pari est alors simple, ne publier que des coups de coeur, de vrais coups de coeur, de la littérature populaire et de qualité que ce soit en fantasy, en science-fiction, en fantastique, science-fiction ou policier, et de tout mettre en œuvre pour assurer à la fois leur visibilité et leur portée. Une portée revendiquée, assumée : divertir.
Le résultat ne se fait pas attendre. La Volonté du Dragon de Lionel Davoust et Le Sabre de sang de Thomas Geha voient le jour. Les échos, certes confidentiels dans un premier temps, ne tardent pas à montrer que le travail entrepris porte ses fruits. Puis vient le Projet Bleiberg d'un certain David S. Khara, un nom que certains auront peut-être aperçu sur la couverture des Vestiges de l'Aube paru chez Rivière Blanche*.
Petit tirage initial. Pour autant la machine s'emballe très vite. Un mot de Gérard Collard à son sujet mais aussi un bouche-à-oreille constant, exponantiel. Les ventes s'envolent, le succès est là, bien là, s'étend même au-delà de la simple sphère des amateurs de polar. Car derrière cet ouvrage, il y a tout ce qui fait le sel de la littérature populaire : du souffle, du rythme, de l'action, de l'aventure (on en revient donc là !), du suspense, du mystère. Qui plus est, David. S. Khara pousse son envie d'écrire jusqu'à associer, combiner, imbriquer ces éléments qui ont déjà fait leur preuve – le tout étant de savoir les utiliser, comme c'est le cas présentement - avec plusieurs pans de L'Histoire, alternant le récit entre notre époque et des événements ancrés au cœur ou au lendemain de la seconde guerre mondiale. Un héros est né. Son nom : Eytan Morgenstern.
Il serait possible, pas forcément facile, de résumer Le Projet Bleiberg et Le Projet Shiro, de dévoiler tout ce qui fait la singularité du personnage atypique, aux facultés redoutables, qui habite ces deux romans. Seulement, ce serait priver le lecteur du plaisir de la découverte. On ne va donc pas s'aventurer trop loin sur les pistes narratives que David s. Khara a eu la bonne idée d'ouvrir pour nous. Cependant, il convient de noter qu'il a su maintenir le cap des deux premières histoires du « Projet... », ne pas tomber dans l'écueil du « deuxième tome », celui qui s'avère parfois plus faible que son prédécesseur – dont la barre a déjà été placée très haute - , pour la simple et bonne raison qu'il recèlerait moins de surprises pour un lecteur alors en terrain plus ou moins connu, balisé. Non, dans le Projet Shiro, David S. Khara dévoile d'autres cartes autour de son personnage, suscite la curiosité autant que l'engouement, dévoile des pans obscurs de l'Histoire, sans non plus verser dans un manichéisme simpliste. Sans compter qu'il termine même sur un suspense redoutable...
A travers l'évocation du passé, il parle de nous, aujourd'hui. On pourrait penser que l'exercice a un air de déjà vu. Qu'on ne s'y trompe pas, David S. Khara ne s'adonne à aucun exercice. Il écrit avec plaisir, cela se sent jusqu'au bout des neurones et ce plaisir là est proportionnellement évident pour le lecteur. C'est en tout cas le genre de contagion dont on ne se lasse pas et pour lequel on est prêt à lever tout principe de précaution...
Voyez, c'est réellement une belle histoire que celle de David S. Khara et de son « Projet... ». Dans le milieu de l'édition, ces success-story n'ont pas toujours bonne presse. Pour peu que vous vendiez beaucoup d'ouvrages, une certaine forme de suspicion se fait jour. Elle n'a pas lieu d'être dans le cas présent. Ce succès est amplement mérité, sans doute parce qu'il s'est fédéré autour de passionnés passionnants.
Aussi, pour ne pas vous laisser totalement dans l'ignorance quant à ce que vous allez trouver dans Le Projet Bleiberg et le Projet Shiro - et en attendant le Projet Morgenstern - nous avons le plaisir de vous inviter à lire l'interview de David S. Khara réalisée pour Blabla (et au passage, on en profite pour remercier l'auteur pour sa gentillesse, sa patience... et sa disponibilité... il fallait que ce soit souligné, il nous comprendra...) :
BlaBla : Dans tous les éléments biographiques à notre disposition, on lit que vous avez été sportif de haut niveau, ancien chef d'entreprise, journaliste sportif et que vous avez subitement tout laché pour vous consacrer à l'écriture. Quand on connaît la difficulté d'une telle entreprise et le nombre d'auteurs qui vivent réellement de leur plume, une question s'est imposée d'elle-même : Vous êtes fou ?
David s. Khara : Fou ? Certainement ! Mais en toute franchise, je n'ai pas tout lâché subitement. J'ai créé mon entreprise très jeune et à l'aube de la quarantaine, je ressentais le besoin de passer à autre chose. Mon entrée en écriture n'est liée qu'à une série d'invraisemblables hasards, je n'ai jamais envisagé d'en vivre. Ce ne devait être, et ça n'est toujours dans mon esprit, qu'une expérience dans un parcours de vie. Mais je parie qu'au détour de vos prochaines questions, je vous démontrerai que j'ai quand même un "grain" !
B: Est-ce que c'est l'Histoire avec un grand H qui sert votre récit ou bien est-ce que c'est le récit qui vous sert de prétexte à revisiter l'Histoire ?
DSK : Aie… C’est difficile à dire tant l’ensemble s’imbrique naturellement dans mon esprit. En fait, ce qui naît en premier, ce sont les personnages. Mais ils m’apparaissent directement situés dans une certaine période historique. Je fais donc des recherches poussées sur ladite période, et c’est à partir de là que le scénario prend forme. Derrière chaque livre, chaque aventure, puisque je me réclame du roman d’aventure bien plus que du polar ou du thriller, il y a un propos. Prenez Le Projet Bleiberg par exemple. Et bien, sans trop en dévoiler, sachez que le livre tout entier a été conçu pour amener au chapitre 37.
B : Qu'est-ce qui a motivé l'écriture de votre trilogie, dont nous le rappelons, il reste encore un livre à paraître?
DSK : Ma motivation première tient dans l’envie de présenter les conséquences du passé sur le présent, et plus encore, sur le futur. A ce titre, la citation de Churchill servant d’ouverture au livre synthétise ma démarche profonde. Ensuite, je voulais raconter une histoire dont le héros n’est pas celui que l’on croit, mais se dévoile tardivement dans le livre. Et je voulais que ce héros soit perçu par les yeux d’un pauvre type embourbé dans son mal-être. De cette observation, et de sa confrontation à la grande Histoire, que symbolise Eytan, Jeremy va tirer des leçons et quitter sa léthargie.
Le choix de la trilogie en découle. Un premier roman pour dévoiler le héros et son contexte, un second pour mieux le cerner, et un ultime volet pour…je ne vais pas vous le dire, tiens ! (Rires).
B: Au coeur de cette histoire, il y a l'incontournable Eytan Morgenstern, personnage époustouflant. Qu'est-ce qu'il représente pour vous ce bonhomme, que vous dévoilez d'ailleurs petit à petit dans le Projet Bleiberg ?
DSK : Et que je dévoile plus encore dans les autres opus ! Eytan est une déchirure, un cri. Il incarne tout à la fois des valeurs et des contradictions qui me tiennent à cœur. Au rang des valeurs, je citerai l’altruisme, le courage, le dépassement de soi, l’irrépressible envie de survivre. Mais il reste un homme en équilibre précaire sur une ligne morale fragile. Tout pas de côté aurait des conséquences dramatiques.
Eytan incarne à mes yeux la capacité d’un être humain à dire « Non » et à se dresser face à la folie. C’est d’ailleurs une constante de l’Histoire que d’être jonchée de ce type de personnages. Et ce sont ces êtres qui nous manquent cruellement aujourd’hui, dans une époque où la grande majorité préfère courber la tête pour ne pas rater une part du gâteau, si petite soit-elle…
B : On a pu lire ou entendre à droite et à gauche cette phrase toute faite comme quoi vous n'aviez rien à envier aux anglo-saxons, et nous dans Blabla, on n'est pas vraiment d'accord. Au contraire, on a bien l'impression que vous écrivez de la belle et bonne littérature populaire, intelligente, et puis après tout peu importe les étiquettes. Vous en pensez quoi, vous ?
DSK : J’en pense que vous êtes trop bons envers moi… (Rires). J’écris avant tout des histoires que j’aimerai lire et je pense en permanence aux lecteurs lorsque je travaille. Je fais des romans d’aventure. C’est la seule étiquette que je considère légitime concernant mes livres. J’essaye de prendre le lecteur par la main et de l’emporter ailleurs en tenant de lui épargner l’ennui. Il y a toujours un ou plusieurs propos derrière le divertissement, mais je ne cherche pas à asséner des messages. Certains perçoivent mes volontés profondes, d’autres pas, mais prennent plaisir à se plonger dans l’histoire avec les personnages. Cela me convient. Je ne cherche aucune reconnaissance particulière.
En toute franchise, je ne sais pas si je fais de la bonne littérature, mais je la fais honnêtement. Ce n’est déjà pas si mal. Maintenant, d’une façon générale, nous avons tout de même en France des auteurs qui n’ont effectivement rien à envier aux anglo-saxons ou aux nordiques. Mais un certain snobisme intellectuel qui consiste à penser qu’un roman est forcément meilleur s’il vient d’ailleurs…
B : Après un tel succès que celui rencontré pour le Projet Bleiberg, on n'a pas une pression supplémentaire au moment de se lancer dans l'écriture du second tome ?
DSK : Bizarrement, je n’ai pas ressenti de pression autre que celle du délai pour rendre mon texte. Vous savez, je crois que je commence seulement à mesurer ce qui s’est produit ces quatorze derniers mois. Mais quand je me suis lancé dans Shiro, je ne me suis laissé polluer par aucune pression à par celle, très personnelle, de tenter de faire un meilleur roman. C’est ma seule ambition : que chaque nouveau livre soit meilleur que le précédent. Sinon, toute cette aventure ne rime à rien. Quant au succès, il est très relatif, et je reste un débutant…
B : Quelles sont vos influences littéraires ou cinématographiques, si tant est que vous vous revendiquiez de certaines ?
DSK : J’en revendique, en effet. Je vais vous citer celles qui ont pu jouer un rôle pour la série des Projets. Sur le plan cinématographique, le film « Un élève doué » de Bryan Singer a joué un rôle réel. D’une façon générale, je suis un fan absolu de son travail. La scène d’introduction du premier X-Men, en Pologne, est saisissante. Quant à Usual Suspect, je ne m’en suis toujours pas remis.
D’un point de vue littéraire, Dennis Lehane est mon maître absolu dans le genre polar-thriller, et le titre d’un de ses romans (Un dernier verre avant la guerre) m’a étrangement inspiré pour le scénario de Bleiberg. Mais comme je lis peu ou pas de polars ou de thrillers, je suis influencé par les lectures plus classiques. Dumas pour l’aventure, Shakespeare pour les dilemmes. Mais, je vous rassure, je ne me prends pas pour eux !
B : Alors forcément, hein, on ne peut pas finir cette interview sans vous parler de l'adaptation cinématographique à venir. On imagine que vous ne pouvez pas encore tout dévoiler, mais on tente le coup... Attention, lâchée de questions ! Quel est votre degré d'implication dans cette adaptation ? Avez-vous un droit de regard ? Qui scénarise ? Est-ce qu'on aborde l'écriture d'un scénario différemment que celle d'un livre d'autant que les vôtres sont déjà très cinématographiques. Quel est le studio impliqué ? Le réalisateur est-il déjà connu ?
DSK : Mes réponses sont à prendre « sous réserve que la production aille à son terme » car c’est un long processus et les étapes et embûches sont nombreuses. Donc, c’est signé, le projet avance, mais rien n’est encore gagné.
Ceci dit, je suis consultant auprès du scénariste, du réalisateur et des acteurs. Je vais assurer une cohésion entre les ajustements que nécessite un passage vers le grand écran et la suite de la série. En effet, des éléments ou des personnages anodins en apparence dans un tome peuvent prendre une importance capitale par la suite. Le film sera tourné en langue anglaise avec un casting international. Je ne peux, hélas, pas vous révéler quoi que ce soit sur le nom du producteur, ni sur aucun élément du casting, sinon, des hommes en noir vont sonner chez moi, ce qui serait mauvais signe… Dans le cinéma, les contrats sont signés avec votre sang !
Pour ce qui est de l’écriture d’un scénario, je m’y suis frotté l’an passé en travaillant avec Alain Berbérian sur un script qu’il avait conçu et sur lequel je suis venu « en renfort ». C’est une écriture très différente du roman, mais qui m’a parut plus ludique, ce qui est sans doute une conséquence de ma passion pour le cinéma.
B : On attend avec impatience cette adaptation mais c'est vrai que nous avons aussi des craintes quand on connaît le passif en la matière (Grangé, Dantec...). Comment appréhendez-vous la chose?
DSK : Sans appréhension, justement. Et je répondrai à une de vos questions précédentes par la même occasion. Mes romans sont cinématographiques. J’assume totalement d’écrire des films. Et du coup, la vision qui m’a été présentée par la production était parfaitement en phase avec la mienne. Après, personne n’est à l’abri de surprises, bonnes comme mauvaises. Mais, franchement, j’écris depuis peu, je suis publié depuis moins de deux ans, et j’ai déjà trois livres classés dans les best-sellers de la Fnac, plus des traductions à l’étranger, et mon autre série « Les Vestiges de l’Aube » intéresse aussi le cinéma et une adaptation BD est en route.
Me faire des nœuds dans la tête maintenant serait totalement indécent… (Rires).
B : Quel acteur verriez-vous incarner Eytan (on a bien des petites idées ici et là dans l'équipe de Blabla...) ?
DSK : Inversion des rôles : envoyez les noms, et je vous dirai ce que j’en pense. Chiche ? [ndlr : noms transmis...]
En ce qui me concerne, j’ai découvert après l’écriture de Bleiberg un acteur qui serait parfait pour incarner Eytan. Nous allons voir si il figure dans votre liste.
Mais quoi qu’il en soit, il est trop tôt pour qu’un casting soit arrêté.
B : Après la trilogie, qu'envisagez-vous, déjà des idées de prochains livres ?
DSK : Oh oui ! Je vais écrire les tomes 2 et 3 des Vestiges de l’Aube, puis un roman d’aventure qui se déroulera sous Louis XIV. Et je réserve à mes lecteurs quelques surprises…
* Le roman Les Vestiges de l'Aube a été remanié par la suite puis réédité aux éditions Michel Lafon