Une première fois victime des avances de Tartuffe, elle l’a d’abord repoussé. Mais elle comprend elle aussi qu’elle a touché au point névralgique du personnage. Alors, très adroitement, elle y revient. Ne serait-ce d’abord que pour annuler l’odieux mariage prévu avec sa fille... Comment faire ? Le vieux lion naguère éconduit se méfie... La mise en scène de Lacascade exploite astucieusement le langage du corps qu’autorise le texte à cet endroit de la pièce (acte 4, scène 5). « On a des secrets à vous y révéler »... Daria Lippi, comédienne au charmant accent italien, ne ménage pas les moyens... Elle dégrafe son soutien-gorge, retrousse sa jupe, défait son chignon, ébouriffe sa chevelure. Sous « l’étoffe moelleuse de la robe et le velours de la voix, elle sort les griffes, elle devient femme fauve.
Alors la bête se déchaîne. Orgon, stoïque, abruti, transparent, reste installé sous la table, table ronde qui devient un ring sur laquelle saute la furie de l’Amour. Va-t-il enfin admettre ses erreurs et reconnaitre l’imposteur ? Va-t-il enfin sortir de sa cachette et libérer sa jeune épouse de l’étreinte animale du fringant défroqué ? Tous les beaux discours de vertu, les prétextes célestes et les appels à Dieu sont jetés en boule sous la table, la table divan, la table clic clac, qui s’est mise à tourner dans tous les sens. C’est le sommet de la pièce. Les trépidations de la folie et les abois du criminel assoiffé de vengeance... Orgon ne sort pas vainqueur de l’embuscade : il s’égare, comprend brutalement qu’il a tout perdu, que les choses lui échappent et que plus rien ne peut désormais arrêter la fureur du scélérat. Il tourbillonne dans l’escalier, va, vient, monte et descend, menace de se pendre d’en haut du balcon. Personne ne sort plus de cette maison dont les portes se sont fermées. Ils n’y a plus qu’à attendre la détonation finale.