Un conte de Sigla Mundcan

Publié le 09 février 2012 par Balatmichel

Conte à rester éveillé assis ou petite chronique du futur antérieur.

En ces temps là, en 2043, les « Faillites des Aptitudes à Devenir Autonome » (FADA) constituaient un trouble au spectre très large puisqu'il incluait les aussi bien les « Troubles des Apprentissages de la Propreté Élémentaire » (TAPÉ), les « Troubles du Rangement de la Caisse à Jouets » (TRCJ), les « Troubles de la Googlelisation » (TGoog), les « Troubles Vestimentaires Adaptés » (TVA) et les « Troubles de la Vie Avec les Autres » (TVAA) que l'on appelait encore avant la réforme du DSM7 : « Trouble du Spectre Autistique » (TSA). Un trouble apparenté au TVAA fut identifié mais il resta heureusement très rare : le « Trouble de la Vie Avec les Autres Auvergnats » (TVtripleA) Notons aussi que figurait dans cette nomenclature les « troubles du départ de sa famille » (TDF), que l'on ne diagnostiquait toutefois qu'à partir de 30ans, et les « troubles des aptitudes à devenir autonome acquises trop précocement » (TADAATP) spécifiant ainsi ce que l'on nommait avant les enfants « surdoués ». (Pour plus d'informations, se reporter à la version du DSM 8 consultable sur internet et dans toutes les mairies)

Ces troubles faisaient l'objet d'une rééducation remboursée par les assurances (privées puisque la sécurité sociale avait été supprimée en 2022) pour peu que l'on ait souscrit avant la naissance un contrat ANTI-FADA se prémunissant ainsi contre tous ces vices de développement normal. Ces méthodes de rééducation étaient administrées dans des établissements spécialement mis en place dans chaque département sous la responsabilité du préfet qui devait rendre compte au ministère de l'intérieur (un des derniers qui n'avaient pas été privatisés) de l'efficacité des mesures de redressement des comportements inadaptés. Les personnels de rééducation formés aux techniques de récupération en tous genres des FADA répertoriés dans le DSM8 étaient d'ailleurs directement rattachés à ce ministère.

Signalons au passage que la pédopsychiatrie ayant été interdite en 2023 (juste après la suppression de la sécu), les psychiatres (ceux qui restaient puisque cette spécialité avait été supprimée des études de médecine cette même année) avaient été renvoyés dans les centres de rétention des malades dangereux (CRMD) qui avaient remplacé les anciens hôpitaux psychiatriques. Ceux-ci avaient en effet largement fait la preuve de leur inefficacité à solutionner le problème de la folie meurtrière des enfants dont les « troubles prédictifs des conduites potentiellement dangereuses pour la société » (TPCPDS) n'avaient pas été diagnostiqués suffisamment tôt (avant bien sûr que les tests ne deviennent obligatoires !)

Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'au jour où un grain de sable vint se loger dans cette belle mécanique ? Venu de Chine (qui était depuis longtemps la première puissance mondiale) une nouvelle approche de ces troubles se répandit dans le monde entier. Remettant en cause la notion de FADA et ses méthodes de rééducation, les savants chinois imposèrent une autre explication de ces troubles. Pour eux, il s'agissait non de troubles adaptatifs pour l'autonomie par des défauts d'apprentissage mais d'une mauvaise interaction entre le dedans et le dehors et réciproquement, (ce qui n'était pas sans rappeler une très ancienne notion qui considérait la peau un peu comme une sorte de modèle pour expliquer le fonctionnement psychique et qu'un mentaliste français nommé Didier Anzieu avait proposé – ndlr)

Mais ces théories fumeuses étaient complètement ignorées des chinois, il se référait plutôt à deux sources, d'abord leur tradition du T'ai-Chi-Chuan qui consiste à effectuer des mouvements du corps dans un ordonnancement précis sous la conduite d'un maître et la parfaite connaissance qu'ils avaient acquis sur les neurones miroirs dans leurs expériences visant à améliorer l'unité du peuple chinois où tout le monde devait se ressembler.

Ce dont était atteints ces enfants se résumait à un trouble du « chez soi ne correspondant pas au pas chez soi et inversement » (自己,而不是另一個 en chinois)

La techniques consistait donc à mettre au devant des enfants atteints par ce syndrome du « pas comme moi-même et pas comme les autres » un maître qui effectuait des mouvements précis qu'ils devaient imiter. Cette méthode fut appelée « Mimesis Inside Also Outside » (MIAOu). Les observations scientifiques menées dans le cadre d'une recherche internationale portant sur 7 enfants présentant ce problème montrèrent qu'ils intégrèrent les mouvements dans leur intériorité corporelle et donc furent plus aptes à se retrouver eux-mêmes dans leur corps et dans leur esprit et qu'ils furent très vite aptes à reproduire ces gestes au point qu'ils purent les transférer à d'autres gestes de la vie quotidienne. Une publication dans la revue « Scientific Investigation Corporation » (SIC) du professeur Li-Chuong fit grand bruit. Il faut ajouter que ces techniques se doublaient de médications traditionnelles chinoises à base de produits dont la composition restait secrète et dont une société basée à Shanghaï détenait les droits pour le monde entier. Les tenants des techniques de rééducation des comportements basées, elles, uniquement sur le « comme les autres » mirent très sérieusement doute doute cette idée qu'il pourrait aussi y avoir un « dedans » avec un « comme soi » et que de plus, ces deux instances pourraient être liées. Pour eux soit on était du dehors par ses comportements, soit du dedans comme le prônait autrefois une vieille idéologie appelée « psychanalyse » heureusement depuis longtemps interdite. De plus il s'élevèrent contre la prescription de médicaments d'origine incertaine, dont la caractère scientifique n'avait pas été prouvé et qui de plus, n'étaient pas produits par des laboratoires pharmaceutiques qui avaient depuis longtemps fait leurs preuves notamment dans le traitement des troubles de l'hyperactivité chez l'enfant (nommés dans le DSM8 « troubles adaptatifs générés antérieurement au développement de l'autonomie » (TAGADA). Non seulement on ne savait pas ce qu'il y avait dans ces médicaments mais en plus ils coûtaient fort cher.

Mais, soutenu par la puissance chinoise dont les scientifiques avaient acquis une renommée mondiale (au point de rafler la plupart des prix Nobel) cette approche était en passe de devenir majoritaire dans l'aide aux enfants que l'on dénommait avant les FADA même si cette terminologie n'était plus guère utilisée dans les revues spécialisées voire même décriée comme un archaïsme d'une pensée révolue. Penser que l'on pouvait de l'extérieur modifier le comportement d'un enfant FADA était même considéré comme un mauvais traitement puisque cette approche privilégiait une seule face de la personne en niant totalement ses liens avec l'intériorité que la méthode MIAOu avait démontré. L'imitation devenait ainsi la seule méthode reconnue par la communauté des professionnels de l'aide aux enfants atteints de自己,而不是另一個 (troubles du « dedansdehors » en français). Mais des résistances se firent jour, les méthodes de modifications extérieures des comportements qui avaient, soutenaient ses défenseurs, largement fait leurs preuves, continuaient à se pratiquer malgré les réprobations des familles qui voyaient dans ces nouvelles théories chinoises du trouble de leur enfant une solution enfin crédible à leurs tourments. Ces familles regroupées en lobby mirent toute leur énergie à discréditer les anciennes méthodes de rééducation comportementale et les idées des pionniers de ces approches, Watson, Skinner, Lovaas... Des manifestations eurent lieu devant les centres départementaux de rééducation et les préfets durent faire remonter au ministère de l'intérieur la grogne grandissante. On assista même à des mises en scène montrant des rééducateurs comportementaux grimés comme des officiers des GI américains qui intimaient aux enfants l'ordre de répondre « yes sir » à chaque injonction. Bien sûr, le caractère caricatural de ces mises en scène n'échappa à personne mais elles eurent quelques effets sur des personnes non averties. Quelques images tournées en caméra cachée de ces manifestations laissèrent croire que cela se passait réellement ainsi et cela ne fit que renforcer le rejet de ces archaïsmes par des familles que leur difficulté à avoir un enfant FADA avaient rendues crédules. Le préfet du département x.... (l'enquête étant encore en cours nous préférons garder l'anonymat – ndlr) fit l'objet d'une plainte pour non application des dernières connaissances scientifiques en matière de troubles du « chez soi ne correspondant pas au pas chez soi et inversement » (自己,而 不是另一個 en chinois). Au ministère de l'intérieur, dans la section « rééducation des comportements qui empêchent de devenir autonome », on était bien embarrassé. Le ministre mit en place une commission de spécialistes, procédé connu depuis longtemps pour enterrer un problème. Le temps qu'elle rende ses conclusions, les élections seraient passées car le pouvoir craignait que cette affaire ne lui porte la poisse pour conserver sa majorité. En effet, les lobbyistes de la méthode MIAOu s'affairaient dans les milieux politiques, un député fut même sollicité pour déposer un projet de loi visant à interdire les méthodes de rééducation des comportements. De vives protestations s'élevèrent, ceux qui avaient en leur temps milité pour l'interdiction de la psychanalyse crièrent à l'attaque contre les idées, chose que l'on avait pas vu depuis les régimes les plus totalitaires que notre histoire a connu.

Des familles allèrent s'installer en Chine pour bénéficier de la méthode MIAOu directement auprès des maîtres de l'imitation, mais seuls les plus aisés pouvaient se le permettre. Les familles les plus modestes exigèrent que ces méthodes fussent proposées en France. On assista même à un marché noir des médications chinoises qui se vendaient à des prix prohibitifs sur internet, sans aucune garantie quand à leur qualité, exploitant honteusement la faiblesse des familles plongées dans le désarroi.

On en était là en 2043 au plus fort de l'affrontement des « tout dehors » et des « dedans-dehors » lorsque un sage africain goûtait la fraicheur du soir sous un baobab. Il observait un enfant qui ne voulait pas aller se coucher (dans le DSM8 : Trouble de l'Adaptation au Coucher à l'Heure de l'Enfant – TACHE). Sa mère lui disait : « mais dis donc Doudou qu'est-ce-que t'as donc dans la tête ? » (l'enfant s'appelait Doudou – ndlr.) Le sage eut soudain la vision de ce qui se passait dans la tête de l'enfant, il y vit des pensées, des idées, des songes, des peurs, des machins... et même quelque part de vilaines pensées envers sa mère qui l'em... à lui demander d'aller se coucher alors qu'il voulait continuer à jouer. Le sage prit alors son smartphone pour le dire à son copain professeur de méthodologie humaine à l'Université de Saint Florian le Bénéfou (les universités françaises avaient été fortement décentralisées – ndlr) : « il y a quelque chose dans le tête des enfants ». Cette nouvelle, relayée par des sommités intellectuelles mondiales allait faire grand bruit et l'investigation du « dedans » se répandit comme une trainée de dynamite. Déjà les tenants des approches « dedans-dehors » se mobilisaient pour dénoncer cette imposture qui consistait à ne considérer que le « dedans » tandis que les défenseurs du « dehors » avaient depuis longtemps disparu.

Sigla Mundcan (ceci est bien sûr un pseudonyme !)