“Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère
Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ?
- Ami, je suis la solitude.”
De mémoire, la trame narrative est relativement fidèle au drame romantique.
Les premières planches s’ouvrent sur le carnaval à Florence où règne en tyran Alexandre de Médicis, bâtard illégitime. Ce dernier se conduit comme un Dom Juan au rabais : il collectionne les conquêtes féminines que lui procure Lorenzo, son cousin, héritier légitime du trône.
Lors de la fête, un homme proche d’Alexandre manque de respect à Louise Strozzi. C’est l’élément déclencheur de la guerre entre les Strozzi et le clan d’Alexandre. Ils veulent profiter de l’insulte faite à leur famille pour mettre fin à la tyrannie.
Lorenzo incarne un personnage assez complexe : il ne cesse d’être un agent double et renseigne tour à tour son cousin et les Strozzi, est le protégé d’Alexandre, refuse de se battre, est souvent l’objet de railleries. Il est d’ailleurs surnommé “Lorenzina” (l’appellation de Lorenzaccio est péjorative également). D’un point de vue graphique, c’est un personnage androgyne, parfois même très efféminé. Il apparaît comme celui qui a “débauché les filles et fait exiler les fils des Républicains.”
La corruption de la bonté initiale de Lorenzo est bien mise en valeur : “J’étais pur comme un lys et pourtant je l’ai fait. Je suis devenu vicieux, lâche, un objet de honte et d’opprobre.” Il incarne par excellence le type de l’acteur, du comédien, voire de l’hypocrite. Il est très souvent représenté avec un masque… Masque qui perdurera jusqu’au bout, même après la décision du meurtre d’Alexandre qui lui seul pourra lui faire retrouver un peu de son intégrité.
Mais, Lorenzo est aussi l’archétype du héros romantique, celui qui a découvert la Vérité : “J’ai vu, moi, ce qu’ils sont. J’ai vu la pourriture sous le socle des statues. J’ai soulevé les défroques et arraché les masques.” Son désenchantement ne semble pas pouvoir finir puisque “rien ne changera” et que “rien n’a changé”.
Les planches sont pour certaines assez remarquables, surtout les plans resserrés sur le personnage de Lorenzo à la fin de l’album. Le changement de couleurs (couleurs vives jusqu’au trio rouge-blanc-noir) est assez significatif et met bien en lumière le dernier acte.
J’ai beaucoup aimé les citations extraites de “La Nuit de décembre” (poème de Musset) que l’on retrouve régulièrement au fil des pages et qui souligne l’ombre qui accompagne Lorenzo “cet étranger vêtu de noir qui me ressemblait comme un frère”.
Il ne me reste plus qu’à relire le texte source puisque cette adaptation m’a réconciliée avec cette intrigue politique !
Régis Penet, Lorenzaccio, éditions 12Bis ,15 euros.