Sélection du Grand prix des lectrices de ELLE 2012
Dans son dernier roman, Olivier Frébourg cite François Nourissier : «Faire des livres ou des enfants ». Si l’antagonisme entre création et procréation a souvent été évoqué pour le cas des artistes féminines, il est plus rare que cela le soit pour des hommes. Pourtant, l’auteur est déjà père quand il apprend la grossesse gémellaire de sa femme, Camille. C’est parce qu’un seul enfant survivra à un accouchement précoce, que cette question s’impose à lui. Il la développe dans un très beau roman.
Quand, pendant plusieurs mois, Olivier Frébourg, accablé de culpabilité, rend visite à son fils Gaston, soigné dans le service néonatal de l’hôpital de Rouen, il est quotidiennement accueilli par la statue de Flaubert, un auteur pour lequel il entretient, depuis son adolescence, une quasi-dévotion. Celui-là même avait décidé de sacrifier sa vie à la littérature : l’accusé est donc tout trouvé, c’est certain : « la littérature a tué mon fils ». Et l’auteur n’aura de cesse de mettre à jour des indices marquant l’évidence de la culpabilité de la littérature. Lui, évidemment, est grand complice. D’abord parce que la littérature est son métier, éditeur passionné, c’est ce qui l’éloigne de sa famille mais aussi et surtout parce que, dit-il, «je mets la littérature entre la réalité et moi », son pouvoir à la fois magique et impuissant de rendre la vie plus supportable.
C’est cette expérience que fait l’auteur. Comme si la littérature signifiait ce refus de grandir, un refus de la compromission propre aux enfants, « ils sont dans la vérité », et la volonté de persévérer dans un imaginaire salvateur et idéaliste parce qu’elle fonctionne comme un refuge à l’imperfection de la vie, parce qu’elle ne cesse jamais de « rêver d’un autre monde, d’une autre vie, ne pas se satisfaire du corset du quotidien ». Finalement, Olivier Frébourg pose la question de la vitalité de la littérature, se demande si, à force d’idéalisme, elle n’empêcherait pas toute action et ne se dresserait pas à l’inverse de la vie : Flaubert ne quittera jamais sa mère, refusera d’aimer et d’avoir des enfants, une infécondité qu’il estime nécessaire à la création littéraire.
Puis, Gaston sort de l’hôpital, grandit et Camille part. De cette rupture, Olivier Frébourg fera le départ d’un voyage en Bretagne, sur les pas de Flaubert. Pour exorciser son chagrin, il se met en mouvement comme pour exorciser la réalité, il s’était plongé dans la littérature. Mais il y trouve aussi une réconciliation entre la vie et la littérature.
"Gaston et Gustave" Olivier Frébour, Mercure de France