Mon cœur, si mal blotti dans notre solitude,
L’un à l’autre attachés, nourris d’un même sang,
Mon cœur et mon cerveau, mes ramiers sous le vent,
Retenus à leur toit par une corde rude,
Le toit c’est encore moi et même la maison,
Et même les ramiers qui sont à naître encore
Mais devinent déjà les couteaux de l’aurore,
Palpitants et peureux dans un sommeil sans fond
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État des lieux
Ô rides de l’aridité
Visage cent fois dévasté
Par des batailles clandestines
Et le coup de dent des ruines.
L’aube fait son état des lieux,
Nous sommes nus sous ses grands yeux
Et voilà qu’elle nous assume
Est-ce ainsi qu’on devient posthume ?
Autrefois en nous attendant
L’avenir était un géant.
Quand il tournait vers nous sa face
L’espace emplissait nos terrasses.
Pressé de devenir passé,
Moitié sombre moitié glacé,
Plus maigre d’aurore en aurore
L’avenir voûté nous ignore.
Le présent l’imite et le fait
Si bien qu’il en est contrefait.
Même quand nous fermons les yeux
Pour le retrouver quelque peu,
Il est si distrait, si peu nôtre,
Qu’il nous confond avec un autre.
Ou bien visage sans paupières,
Pour que son œil soit plus perçant
Il fait main basse sur le sang
Lui qui sait le rendre de pierre.
Il plante ses secrets drapeaux
Qui restent là jusqu’à pourrir
Sur le corps chantant du poète
Hanté de mots qui lui font fête
Profonde, jusqu’à l’abolir
Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes, édition publiée sous la direction de Michel Collot, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, pp. 281 et 577.
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