Comment les libertariens peuvent-ils convaincre et influencer les électeurs ?

Publié le 08 février 2012 par Copeau @Contrepoints

Les libertariens aujourd’hui ne pèsent rien en politique. Comme aux Etats-Unis il y a quelques décennies. Pourtant aujourd’hui Ron Paul attire à lui 20% des suffrages dans les primaires républicaines et bien plus encore chez les jeunes. S’il n’y a pas de méthode miracle, nous proposons toutefois à nos lecteurs une piste.

Par Josiah Schmidt, publié en collaboration avec l’Institut Coppet.

Nous sommes à un carrefour de l’histoire. Les gens sont de plus en plus mécontents de l’Etat et perdent confiance en sa capacité à résoudre les problèmes majeurs. Pourtant, en même temps, ces Américains qui disent qu’ils veulent un gouvernement réduit sont aussi ceux qui voient la sécurité sociale et médicale (NdT : « Medicare ») comme intouchable. Le soutien aux dépenses gouvernementales de défense, aux soins de santé, aux mesures anti-pauvreté et aux subventions masquées pour son district d’origine est tout aussi élevé qu’il l’était il y a dix ans et dans certains cas même plus élevé. (voir ici)

Les libertariens ont là une réelle opportunité, mais nous devons reconnaître que nos stratégies actuelles ne sont carrément pas à la hauteur. Le mouvement pour la liberté a fait de grands progrès ces dix dernières années, en grande partie grâce à Ron Paul et au Ludwig von Mises Institute. Néanmoins, quand on observe la croissance effrénée de l’administration sur le siècle passé, qu’avons-nous en tant que libertariens à exhiber de nous-mêmes ? Nous disposons aujourd’hui de plus d’économistes autrichiens que jamais auparavant, pourtant pouvons-nous citer un seul programme gouvernemental dont nous avons réussi à obtenir la réduction ou la suppression ? Une liberté importante pour laquelle nous avons combattu et gagné ?

Nous avons un problème de marketing.

La première étape pour améliorer notre stratégie consiste à admettre que nos tactiques actuelles ne sont vraiment pas efficaces.

Nous sommes devenus très bons pour nous livrer à de nobles débats universitaires et à la rédaction d’articles et de traités verbeux, mais nous avons totalement échoué à rendre les idées de la liberté populaires et accessibles à l’individu moyen.

J’offre quelques suggestions dans cet article et beaucoup de ce que j’exprime s’inspire d’un livre classique intitulé How to Win Friends and Influence People  (Comment se faire des amis) de Dale Carnegie. Je suis arrivé à la conclusion que ce seul livre pourrait être l’œuvre littéraire la plus importante pour le mouvement libéral.

Je crois que c’est un changements fondamental de paradigme que le mouvement libéral exige : nous avons besoin de considérer tout le monde – et je dis bien tout le monde, y compris les Glenn Beck et Keith Olbermann de ce monde (NdT : deux journalistes de télévision célèbres aux USA, G. Beck animateur sur Fox News, ancré à droite et se déclarant depuis peu libertarian, et K. Olbermann animateur sur la chaîne d’info MSNBC, ancré à gauche) – comme amis potentiels. Plutôt que d’être vu comme un mouvement en colère, cynique et râleur, il nous faut être un mouvement qui tend la main et donne envie d’être libertarien.

1. Etre compréhensif, ne pas critiquer

Nous autres libertariens avons la fâcheuse habitude de critiquer les gens et de les amener à se taire. Mais tout cela ne fait que les pousser à la défensive et à lutter plus encore pour se justifier. Au bout du compte, nous ne produisons que du ressentiment en faisant cela.

Au lieu d’appeler les personnes qui profitent de l’aide gouvernementale des « travestis du bien-être » (« welfare queens »), ou de qualifier celles travaillant pour l’administration de « sangsues bureaucratique » (« bureaucratic leeches »), il nous faut comprendre que ces individus sont des gens, exactement comme nous. Ils ont véritablement le sentiment de faire du mieux qu’ils peuvent. Les gens vivant du chômage ou de tickets de rationnement sont des pères et mères tentant de faire vivre leurs enfants via un revenu limité – un revenu qu’ils pourraient augmenter en grappillant sur de multiples emplois et de longues heures de travail.

Il est de notre droit de reconnaître le fait que l’État-providence est un mécanisme tout à fait contre-productif pour aider ceux qui luttent pour subvenir à leurs familles, mais reconnaître cela peut se faire sans traiter ces personnes comme des moins-que-rien.

En cas de désaccord avec des gens que nous rencontrons, au lieu de les qualifier de « collabos » ou « moutons », essayons de comprendre pourquoi ils pensent comme ils le font. La grande majorité des personnes qui soutiennent la guerre en Irak ou qui pensent que la sécurité sociale fut une bonne idée ne pensent pas ainsi parce qu’ils adorent détruire la vie des autres. Ils le font parce qu’ils croient honnêtement qu’ils sont dans le vrai et recherchent le meilleur intérêt de tous. Au lieu de leur opposer notre colère, faisons un effort sincère pour vraiment comprendre l’origine de leur point de vue avant d’avancer notre position sur ces questions.

Nous autres libertariens nous rengorgeons d’être un groupe intelligent, mais il faut bien plus d’intelligence pour comprendre et exprimer de l’empathie envers les gens qu’il n’en faut pour les prendre de haut et les sermonner. Nous devons nous faire connaître comme le clan politique qui entend les gens et les comprend et non comme celui qui reste dans sa tour d’ivoire et se contente de prêcher pour eux.

2. Nous avons besoin d’un message qui rende les gens fiers d’eux

Au lieu d’amener les gens à se sentir stupides ou paresseux ou mauvais, faisons plutôt appel à leur sens du respect de soi. Au lieu d’essayer d’inciter les gens à faire ce que nous voudrions qu’ils fassent en soulignant toutes leurs erreurs, soulignons plutôt quand ils vont dans la bonne direction, avec des éloges quand la louange est due.

Trop souvent, je rencontre quelqu’un qui se réclame « conservateur » et si je lui demande d’expliquer sa philosophie politique, cela donne quelque chose comme ceci : « Je suis fatigué de toutes les subventions et de la protection sociale, et il nous faut une force militaire solide, bien financée, et il faut s’assurer que les politiciens ne trancheront pas dans notre sécurité sociale ou assurance-maladie, et nous devons cesser de commercer avec les producteurs de produits bon marché comme la Chine ». Clairement, les trois derniers sujets qu’ils soutiennent (un complexe militaro-industriel coûteux, pleins de droits et le protectionnisme commercial) sont tous des formes de « protection sociale » à laquelle ils prétendent s’opposer.

Mais plutôt que faire la remarque d’un sarcasme agacé, nous devrions pousser nos points communs et les congratuler de comprendre qu’une grande partie de l’argent que le Congrès dépense sur divers projets ne vise qu’à gagner leur réélection et non pas vraiment à profiter aux contribuables ; que des programmes comme l’assurance-chômage ne servent qu’à favoriser la pauvreté et que les gens ont vraiment besoin, non pas d’une main tendue, mais de lever la main. Il s’agit là de principes importants que tout le monde ne comprend pas forcément et plutôt que demander en colère pourquoi quelqu’un est trop « attardé » pour appliquer ces mêmes principes à d’autres domaines, nous devrions abondamment louer leur respect de ces principes dans les domaines où ils le font et les encourager à continuer à les appliquer de manière cohérente dans tous les domaines.

3. Donnons ENVIE aux gens d’être libertariens

Dans « Comment se faire des amis » Dale Carnegie fait remarquer que même si les fraises à la crème sont sa nourriture préférée, ce n’est pas des fraises qu’il met sur l’hameçon quand il va à la pêche. Il attire les poissons en mettant des vers sur l’hameçon, car c’est ce qu’aime le poisson. Comme libertariens, nous devrions apprendre cette leçon par cœur. Au lieu des sujets qui nous semblent les plus importants, nous devrions nous appliquer à discuter selon ce que l’interlocuteur attend.

Souvent, nous libertariens agressons les gens au sujet de la Réserve Fédérale et de l’inflation, des bulles obligataires et que sais-je encore. Mais le citoyen moyen ne se préoccupe d’ordinaire guère de tels sujets. Et peut-on le lui reprocher ? La plupart des gens ne comprennent probablement même pas de quoi on parle. Mais ce que tout le monde comprend c’est la hausse des prix à la pompe, celle des produits alimentaires à l’épicerie, ou le fait que ce qu’on pouvait acheter pour vingt-cinq cents comme gamin peut désormais coûter cinq à dix dollars. Voilà des choses auxquelles les gens peuvent s’identifier, en termes que les vrais gens peuvent comprendre.

Un maître absolu pour ce qui est de parler aux gens avec leurs propres mots est le juge Andrew Napolitano. Un des exemples les plus célèbres fut le 12 Juin 2010 lorsque le juge reçu Sarah Palin à son émission sur FOX Business, Freedom Watch. Il a passé toute l’émission à construire un terrain d’entente avec la gouverneur Palin sur des sujets comme la responsabilité personnelle, la discipline budgétaire et un gouvernement amaigri.

Il a ensuite évoqué avec Sarah Palin l’expérience qu’elle subit durant la campagne 2008, quand un pirate infiltra son compte e-mail et dévoila toutes sortes de messages personnels, à son insu et sans permission. Il lui fut compatissant et tomba d’accord combien il doit être terrible de voir son intimité bafouée ; puis il lui a alors demandé si elle pensait que le Patriot Act devrait permettre au gouvernement fédéral de faire la même chose. « Non, bien sûr que non,» répondit-elle. Badaboum. Simplement en abordant la question de façon qu’elle s’applique à elle personnellement, le juge Napolitano avait obtenu de Sarah Palin qu’elle critique un élément clé du Patriot Act – une des vaches sacrées des politiciens républicains. (Il fit aussi la même chose avec la prohibition de la marijuana, lui faisant de-facto faire appel à la dépénalisation ! (voir ici)

Le juge Napolitano aurait pu critiquer la gouverneur Palin et se disputer avec elle toute la journée sur le Patriot Act et elle n’aurait probablement jamais bougé de la ligne type des néo-conservateurs. En fait, elle aurait probablement été encore plus loin sur le ton des néo-conservateurs pour tenter de se défendre et aurait probablement quitté l’émission pleine de ressentiment envers le juge Napolitano et ses questions exaspérantes. Non, au lieu de cela, il attira l’attention sur ses positions incohérentes de manière indirecte et réussit ainsi à lui faire prendre des positions libertariennes que beaucoup d’autres grandes figures républicaines n’auraient  pas été prêtes à franchir.

En consacrant toute la première moitié de l’entretien à louer son engagement envers la liberté individuelle et la responsabilité fiscale, il lui donna une bonne réputation à porter – et elle a préféré tenter de tenir cette bonne réputation qu’il lui avait ainsi construite, même si cela signifiait prendre un chemin un peu détourné et dire des choses inattendues de la part d’un politicien républicain normal.

Une autre manière de donner envie de devenir libertarien consiste à être enthousiaste. Pourquoi les gens devraient-ils vouloir devenir libertariens quand ils nous voient nous morfondre constamment, portant des sarcasmes et des lamentations sur l’avenir sombre du pays ? Quelle que soit la vérité derrière nos affirmations, personne ne veut croire des choses qui rendent déprimé, dépressif. Personne ne veut avoir à faire avec un groupe de désabusés cyniques.

Si vous étiez un non-libertarien, quelle approche parmi les suivantes vous rendrait plus enclin à vous interroger sur l’économie autrichienne et le libertarianisme :

A). « Leviathan (NdT terme faisant référence à un monstre marin biblique qui depuis le livre éponyme de Thomas Hobbes symbolise chez les anglo-saxons le pouvoir abusif) est hors de contrôle, le pays part à la dérive et si vous voulez avoir une chance de survivre à l’hyperinflation, suivez quelques conseils de Rothbard et acheter de l’or. Regardez cette vidéo de Peter Schiff aux prédictions terrifiantes si vous voulez savoir à quel point nous sommes foutus ».

ou

B). « Voulez-vous savoir comment prospérer et subvenir à votre famille, même pendant les moments difficiles ? Consultez le palmarès étonnant de cette analyste financier du nom de Peter Schiff ! Il pense que l’Asie est une nouvelle terre d’opportunités et il dit depuis des décennies que la protection de vos économies par l’achat d’or reste une excellente façon de se prémunir de la hausse des prix. Et fichtre, combien a-t-il eu raison sur la monnaie ! »

D’accord, mon phrasé pour B n’est pas parfait, néanmoins ne seriez-vous pas beaucoup plus intéressés d’apprendre l’économie autrichienne si quelqu’un vous interpelle avec B plutôt qu’avec A ?

4. S’intéresser aux autres en tant qu’êtres humains

Quand j’aidais à rallier le soutien au projet de loi HR 1207 de Ron Paul pour l’audit de la Réserve Fédérale, j’ai appelé le bureau de mon Représentant (NdT : l’équivalent de notre député, mais au niveau fédéral) à diverses reprises sur plusieurs mois. La première fois, j’ai mis un point d’honneur à faire sérieux et austère. J’étais un citoyen ulcéré et mon député (NdT : « Congressman » « Membre du Congrès ») devait m’écouter ! A l’autre bout du fil, la voix d’une femme plus âgée. Elle avait l’air fatiguée et lasse. « Super ! » me dis-je. Elle doit recevoir de nombreux appels de gens en colère comme moi ! Je lui dit que je soutenais le projet de loi de Ron Paul en faveur de l’audit de la Fed et que je voulais m’assurer que mon député le soutenait aussi. Elle me dit qu’elle n’était pas sûre et qu’elle ferait part de mon avis au député. Je levai les yeux au ciel, certain que mon message n’atteindrait jamais vraiment mon député, la remerciai et raccrochai.

Après quelques semaines et sans nouvelles de mon député, je rappelle à nouveau, cette fois-ci en colère. La même femme âgée et fatiguée répond. J’exigeai de savoir la position de mon député sur la question. Elle sentit la colère dans ma voix et s’énerva de même, me disant sèchement qu’il n’avait pas pris position sur ce sujet.

Quelques autres semaines plus tard, toujours sans nouvelles de la position de mon député sur le projet de loi d’audit de la Fed, je décidai d’appeler à nouveau. Mais cette fois, une voix différente répondit. Fatiguée et lasse, mais une femme apparemment un peu plus jeune. Je décidai de tenter autre chose. Elle entama avec l’annonce d’accueil standard. Je me suis présenté, lui ai dit appeler concernant le HR 1207, mais je lui ai ensuite demandé : « Comment allez-vous ? » Il y eut un changement immédiat dans sa voix. Après avoir probablement écouté des centaines d’appels en colère toute la journée, elle semblait soulagée d’entendre quelqu’un qui la traitait comme un être humain.

« Oh, vous savez,» dit-elle. « A peu près comme ce que vous imaginez.»

Je ris un peu et la taquine : « Ouais, je parie que vous avez eu des citoyens en colère comme moi toute la journée.»

« Vous n’en avez pas idée », dit-elle et elle se mit à me raconter quelques-uns des appels les plus ridicules qu’elle avait pris plus tôt ce jour-là. J’ai ri avec elle, j’ai sympathisé avec elle et l’ai écoutée. Je l’ai traitée comme une vraie personne. Notre petite conversation parallèle n’a guère duré qu’une minute, mais une fois celui-ci finie, sa voix semblait plus légère.

« Vous appeliez au sujet du projet de loi d’audit de la Fed ? » me demanda-elle.

Je répondis par l’affirmative et demandai si elle pouvait passer un message de mon soutien à la loi au député.

« Bien sûr ! » répondit-elle, comme si j’étais un de ses vieux amis demandant une légère faveur. Elle a pris mes nom, adresse et email et me demanda à nouveau pour s’assurer qu’elle notait correctement le numéro du projet de loi. « Je vais lui écrire une note et la lui remettre moi-même personnellement à son bureau.»

Je l’ai remerciée avec enthousiasme, lui ai souhaité une bonne soirée et ai raccroché. Je n’avais pas vraiment grand espoir suite à la conversation. Le lendemain, j’ai été étonné de recevoir un e-mail personnel venant de mon député. Et en plus, pas juste un de ces e-mails au format standard, remerciant le citoyen d’exprimer ses préoccupations et blablabla blablabla ! C’était un vrai e-mail personnel de la main de mon député, précisant qu’il avait décidé non seulement de soutenir le projet de loi de Ron Paul d’auditer la Fed, mais d’en devenir un des sponsors. J’étais ravi !

Je ne sais pas quelle influence j’ai personnellement eu sur la décision de mon député de coparrainer ce projet de loi, mais il est clair pour moi que c’est beaucoup plus facile d’amener quelqu’un à faire quelque chose si on le traite comme un être humain véritable.

5. Comment discuter avec des gens

Nous autres libertariens sommes généralement d’avis que tout ce que nous avons à faire est d’argumenter avec tout le monde et les enfoncer avec notre logique impeccable maintes et maintes fois et qu’ils finiront sans nul doute par tomber d’accord avec nous, parce que, eh bien, c’est nous qui avons raison. Malheureusement, en grande majorité les discussions se terminent voyant les deux camps plus que jamais convaincus qu’ils ont raison. La personne avec qui on discute ne se laissera probablement jamais influencer par nos arguments et même si cela devait être, son orgueil et sa crainte de perdre la face l’empêchera de l’admettre.

La meilleure façon de commencer une discussion est de ne pas se disputer. Au contraire, demandez à l’autre personne ce qu’elle pense – en étant sincèrement intéressé. Essayez de voir les choses de son point de vue… vraiment. Soyez respectueux de ses opinions et retenez votre langue juste un moment, même si elle dit des choses que vous pensez totalement erronées ou idiotes. Laissez à l’autre la majorité de la conversation et choisissez vos mots à bon escient. Ne dites pas grand-chose, mais lorsque vous dites quelque chose, assurez-vous que c’est très bien pensé et chargé d’humilité.

Quand c’est à vous de parler, ne portez pas aussitôt l’attention sur le conflit idéologique. Commencez plutôt par trouver le terrain commun que vous partagez avec votre adversaire. L’outil le plus utile est celui que le célèbre interviewer libertarien Jan Helfeld utilise : la « méthode socratique ».

Cela peut commencer par amener l’autre personne à dire « oui » à quelque chose et à la diriger sur un parcours de « oui » et la laisser arriver à la conclusion correcte par elle-même. L’autre ne pourra pas toujours se permettre d’en venir à tomber d’accord avec vous. Il peut très probablement se rendre compte à mi-parcours où cela mène et clore la conversation prématurément. Mais vous aurez certainement plus de succès de cette façon que vous auriez simplement à crier vos positions l’un à l’autre, encore et encore et, plus important encore, vous aurez amené l’autre personne à réfléchir à vos arguments et à voir comment vous en êtes arrivé à votre conclusion. Votre position ne leur paraîtra plus aussi folle ou bizarre et, si vous faites vraiment preuve de tact, vous pourrez peut-être même les voir adopter votre position (souvent en croyant que c’était leur propre idée au départ – mais bon, on s’en moque, non ?).

Par exemple : On peut pontifier toute la journée sur combien l’économie ne bénéficie en rien d’une guerre qui frappe un pays, avec toutes les maisons bombardées qui doivent ensuite être reconstruites. La personne avec qui on discute pourra tout simplement répondre en rabâchant un thème comme « La Seconde Guerre Mondiale nous a fait sortir de la Grande Dépression ! Regardez donc les statistiques ! »

Eh bien, ne serait-ce pas plus efficace si, peut-être, on avait commencé par demander :

« Si vous êtes sur une île déserte, que vous passez beaucoup de temps à construire des filets et des lances et une cabane, vous seriez plus pauvre si un fort vent venait et renversait votre cabane, n’est-ce pas ? »

L’interlocuteur répondra plus que probablement par : « Certes.»

« Et s’il devait y avoir une autre personne à part vous sur cette île, un expert en construction de cabane ? Disons que vous pêchez du poisson pour vous nourrir tous deux et, en échange, qu’il construit des cabanes pour vous abriter chacun. Si un fort vent devait venir et renverser vos cabanes, vous seriez tous deux plus pauvres. Vous seriez plus pauvres car votre ami aurait plus de travail à reconstruire les cabanes et vous-même plus de travail à pêcher plus de poissons pour qu’il ait le surcroît d’énergie nécessaire pour accomplir cette difficile tâche. Exact ? »

« Oui. Bien sûr.»

« Bien, et si les cabanes avaient été détruites par une bombe au lieu d’un fort vent ? Cela ne changerait rien, n’est-ce pas ? »

« Oui, d’accord. »

« Et si au lieu de 2 personnes sur l’île, il y avait un nombre différent de personnes sur l’île ? Disons 3 personnes, ou 10 personnes, voire 1 million de personnes ? Cela serait sans incidence sur la nature fondamentale de la question, c’est bien exact ? »

« Oui, cela semble exact. Je vois votre idée maintenant.»

Cela dit, le dialogue pourrait ne pas se passer aussi bien, mais en guidant l’interlocuteur d’une manière amicale et respectueuse, n’est-on pas plus susceptible d’arriver à faire vraiment comprendre sa logique à son interlocuteur, plutôt que de rester là et lui servir un sermon ? Et un bon conseil : si vous réussissez à convertir quelqu’un à votre point de vue, ne le narguer pas d’un : « Na na na nanère, je vous l’avais bien dit » ni d’un : « Pfff, pourquoi ne pouviez-vous pas reconnaître quelque chose d’aussi simple que cela dès le début ? » Ne laissez pas l’autre personne perdre la face.

6. La meilleure façon de vendre quelque chose, c’est de le donner gratuitement

C’est désormais connu dans les milieux libertariens comme « la loi de Tucker », d’après Jeffrey Tucker, le rédacteur en chef du site Mises.org, M. Tucker a rejoué le scénario du livre de Leonard Read. Alors que la plupart des autres théoriciens libertariens avaient du mal à vendre leurs livres, Leonard Read décida simplement de donner les siens gratuitement. Il n’est donc pas surprenant que la littérature de Read se diffusa comme une traînée de poudre et qu’il devint un des écrivains libertariens les plus connus et respectés de son temps. De même, Jeff Tucker a mis la main sur des textes classiques des écoles libertarienne et autrichienne, les a mis dans le domaine public en les publiant sur Internet pour que quiconque puisse les télécharger gratuitement.

C’est à cela que je dois tout ce que je sais sur l’économie autrichienne. C’est grâce à la littérature gratuite de Mises.org que j’ai pu passer de zéro livre en économie à des centaines de livres dévorés sur l’économie et la théorie politique, y compris L’Action Humaine de Ludwig von Mises et Man, Economy  and State de Murray Rothbard.

Un de mes souvenirs les plus porteurs d’inspiration lors de la campagne de Ron Paul en 2008 (NdT Ron Raul, figure emblématique des libertariens américains, fut candidat à l’investiture républicaine en 2008) est dû à un groupe de supporters de Ron Paul, installé en marge d’un rassemblement républicain local par une nuit glaciale, offrant du chocolat chaud aux participants à leur sortie. Ils offraient également des dépliants « Ron Paul Président ». Réchauffés par la générosité de ces supporters de Ron Paul, les républicains, qui auraient sinon accéléré le pas pour éviter d’être endoctrinés par un de ces fadas de libertariens, se sont effectivement arrêtés pour bavarder amicalement de politique avec ces « Paulistes.» Ce groupe de supporters de Ron Paul a fini par établir une multitude de relations et à faire un bien immense pour la campagne de Paul ce soir-là. Admettons-le : les gens aiment les trucs gratuits. Surtout quand il s’agit de choses honnêtes données gratuitement avec bonté, sans aucune contrainte.

Si vous voulez que quelqu’un lise « Economics in One Lesson » (NdT « L’économie politique en une leçon » par Henry Hazlitt) ou « America’s Great Depression » (NdT « La Grande Dépression de l’Amérique » par Murray N. Rothbard), ne vous contentez pas de le pousser à l’acheter. Prêtez lui votre exemplaire, ou, mieux encore, donnez-lui votre exemplaire. Ne vous inquiétez pas qu’on ne vous le rende, soyez donc heureux qu’on décide de le lire, même si c’est sans se précipiter pour l’ouvrir tout de suite.

Conclusion

Nous autres libertariens devons nous réconcilier avec le fait que les cartes sont contre nous. Les tentacules de l’État s’étendent partout et par nature l’État recherche constamment plus de puissance et de gloire pour lui-même. Essayer de convaincre les gens que l’État n’est pas la solution mais le problème nous met en opposition frontale avec bien des organisations les plus puissantes du monde. Nous allons devoir utiliser de meilleures tactiques que les autres écoles de philosophie politique.

Nous sommes au travail depuis longtemps maintenant et, pour être brutalement honnête, nous n’avons pas su toujours nous montrer à la hauteur. Ce n’est pas que nous avons manqué d’efforts. Nous n’avons pas un problème de quantité, mais un problème de qualité. Nos efforts n’ont pas seulement besoin d’être accrus. Nos efforts doivent être d’une nature entièrement différente de ce qu’ils sont actuellement.

Il nous faut en fait un libertarianisme de compassion. Pas un libertarianisme qui remettrait en cause nos principes, mais un libertarianisme qui met plus d’emphase à comprendre d’autres points de vue, qui dit clairement que nous regardons les gens comme de vrais êtres humains aux bonnes intentions, qui établit des ponts plutôt que de créer des ennemis, qui rend les gens enthousiastes d’être libertariens, qui – au lieu de se complaire en disputes tout le temps avec tout le monde – aide les gens à comprendre la théorie libertarienne par eux-mêmes, un libertarianisme qui est abordable et terre-à-terre.

Il n’y a pas de chemin facile dans notre combat contre l’État, mais avec un réajustement majeur d’attitude et une approche plus émotionnellement intelligente, nous pouvons réussir beaucoup mieux à convertir et à influencer les électeurs. Il nous faut seulement être assez courageux pour tout d’abord admettre qu’un changement de stratégie est depuis longtemps nécessaire.

Article original tiré du site de Josiah Schmidt
Traduction : Stéphane Geyres pour l’Institut Coppet.

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