LA RELIQUE
Mon cher abbé,
Mon mariage avec Andrée,
Ta cousine, est compromis
À cause d’une mauvaise plaisanterie
Que j’ai été bien sot de lui faire.
Si tu pouvais me tirer d’affaire,
Je t’en saurais gré.
Élevée dans un pensionnat religieux,
Andrée est restée très pieuse,
Tu le sais,
Or voilà que la semaine passée,
La ville de Cologne m’invite
Pour donner
Une série de conférences
Dans mon domaine de compétence :
Les maladies du nouveau-né.
J’annonçais à Andrée mon voyage.
Elle fondit en pleurs.
Je lui parlais de mon retour ;
Elle s’écria : -Quel bonheur !
Rapportez-moi dans vos bagages
Un petit souvenir. Merci, mon amour.
Sachant sa dévotion fanatique,
Et mon séjour allemand
Se terminant,
Je lui achetais une relique :
Un bétit os des once mille fierges
Et pour faire un compte rond, deux cierges !
Tu tolères, dis-tu
Ma froideur d’âme, cher abbé,
Et tu partages mes doutes absolus
À l’égard des brocanteurs de piété.
Figures-toi
Qu’arrivé chez moi,
Je m’aperçus
Que j’avais perdu
Mon minuscule cadeau.
Je me suis donc vite procuré
Un éclat d’os
…De goret !
Puis j’allai retrouver ta cousine :
-Que m’avez-vous rapporté ?
Je fis semblant d’avoir oublié.
Elle me fit une de ces mines !
Je me laissai prier, supplier.
Quand je la sentis éperdue de curiosité,
Je lui offris le saint médaillon.
Elle baisa la parcelle de cochon
-Oh ! Une relique !
Est-elle authentique ?
-Absolument, je l’ai volée pour vous.
-Mais où ?
Je m’enferrai dans mon mensonge initial :
-À Cologne, dans la cathédrale.
J’ai glissé la main entre vingt cierges,
Et réussi à ouvrir la châsse même
Des Onze Mille Vierges.
-Oh ! Que je vous aime !
Cher abbé, remarque ceci :
Pour Andrée, j’avais commis
Le viol d’une châsse sacrée
Et pour ce sacrilège, elle m’adorait.
Telle est la femme,
Toute la femme !
J’étais le plus parfait des fiancés !
Andrée avait placé
La divine parcelle
Sur une sorte d’autel.
Par crainte d’être condamné,
Je l’avais priée de garder le secret,
Mais voilà qu’au commencement
Du mois de février,
Elle apprenait (mais comment ?)
Que la châsse était inaccessible.
Le vol était donc impossible !
Elle avait compris
Ma supercherie.
Une heure après,
Andrée
Me rendait ma liberté.
Du moment que je n’avais pas été
Le voleur d’un objet sacré
Elle m’interdit dorénavant l’entrée
De sa maison.
Pour m’accorder son pardon,
Elle désire une relique,
Une vraie, certifiée, authentique.
Ceci me rend fou d’embarras.
Connaitrais-tu un chapelain
Voire un prélat,
Collectionneur de fragments saints,
Susceptible de me céder l’objet réclamé ?
Sauve-moi, je t’en prie, cher abbé.
Je te promets
De me convertir sans délai !
Et fais en sorte qu’Andrée
Ne soit la onze mille unième !
Je l’aime.
Ton Honoré.
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Cet article est extrait du tome 3 (à paraitre prochainement)
Ce volume aura pour titre : « 46 bonnes histoires, d’après Maupassant »
Déjà parus aux éditions Edifree :
Tome 1 (34 contes)
Tome 2 (40 contes)
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La religion ne nous fait pas bons,
mais elle nous empêche de devenir trop mauvais
Louis de Bonald
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