Le piano a été une véritable révélation pour ma blonde, des fois elle jouait 10 heures d’affilé, et à défaut de se saigner les doigts à la guitare … elle s’endormait des fois sur le banc, dans le noir totale, se laissant emporter par la mélodie de sa seule relation amoureuse, sa plus intense …
…avec son piano noir.
Dès la première découverte de la musique du funambule québécois, souvent traînaient pas loin des questions et tournaient autour d’une seule personne (ou presque) : Barbara.
La poésie, ne serait-ce tout simplement de dire avec des mots ce que les mots ne peuvent pas dire?
Océane n’avait jamais entendu les chansons de Barbara avant que je lui envoie le coffret DVD « Barbara à Pantin », où on pouvait retrouver quelques classiques de la dame en noir : « La Mort », « Mes Insomnies », « Ma Plus belle histoire d’Amour », « Pierre », « L’Aigle Noir », « Göttingen », « Dis, quand reviendras-tu ? » sans oublier les fameux « Nantes » et « Le mal de vivre ». (ces deux dernières chansons furent les « ballades » qu’on a le plus écouté … ).
Faire écouter Barbara à l’écorchée rêveuse était risquée … très risquée, d’ailleurs aussitôt le DVD envoyé, Océane a disparu pendant presque 3 mois, les démons du passé avaient resurgit tel un aigle noir…
C’était une (belle) époque, un temps mythique où la blonde avait des histoires des sentiments de la passion. Dans son histoire, il y a de la souffrance, la jeune fille qui quitte sa famille se sentant incomprise et étouffée, la rêveuse qui n’aimait pas trop le soleil. Il y avait une ville aussi, un quartier abandonné, une maison qu’on laisse derrière soi, une destinée un peu chaotique … Dans la mémoire d’Océane, il y avait une incroyable imagination (sa bulle de protection comme elle disait) qui l’empêchait de grandir, de se perdre sans oublier, de faire face sans pardonner. Dans sa vie, il y avait cette errance dans les villes dans les lits d’inconnus, la maladie, la folie, la musique … et puis lui.
Elle m’a souvent rappelé Veronika (Françoise Lebrun) dans La Maman et la Putain ou bien une danseuse éphémère perdue dans un roman de Tourgueniev comme Clara Militch.
Et je ne suis pas saoule… si je pleure… Je pleure sur toute ma vie passée, ma vie sexuelle passée, qui est si courte. Cinq ans de vie sexuelle, c’est très peu. Tu vois, Marie, je te parle parce que je t’aime beaucoup.
Tant d’hommes m’ont baisée.
On m’a désirée parce que j’avais un gros cul qui peut être éventuellement désirable. J’ai de très jolis seins qui sont très désirables. Ma bouche n’est pas mal non plus. Quand mes yeux sont maquillés ils sont pas mal non plus.
Et beaucoup d’hommes m’ont désirée comme ça, tu sais, dans le vide. Et on m’a souvent baisée dans le vide. Je ne dramatise pas, Marie, tu sais. Je ne suis pas saoule.
Et qu’est-ce que tu crois, tu crois que je m’appesantis sur mon sort merdique. Absolument pas.
Et puis dans l’histoire de ma blonde, y avait ce père lointain mais proche … comme l’aigle noir… L’écoute de « Nantes » et « l’Aigle Noir » l’avait un peu bousillé au sens propre, la moins sage jeune fille de Montréal avait fait un long voyage de trois mois au bout de la nuit, au bout de sa vie. Une re-plongée dans l’enfer de la drogue, une overdose et toujours la même musique … « Petite fille laide ».
Toi petite fille
Non ne pleure pas
De tes larmes personne n’en voudra
Même si nos coeœurs se desséchaient
Et que la terre craquelait sous nos pas
Mais toi, petite fille laide,
Promets-moi, promets-moi
Que tu ne seras pas de celles
Qui arrêteront le pas
Car je t’aime …
Il y a deux types d’humains : ceux qui cherchent le père, et ceux qui cherchent à tuer le père, et c’est ce qui nous différenciait Océane et moi. Mais on était un peu de ceux qui ont abandonné la lutte et qui finalement s’abandonnent … de ceux, comme dirait Éliette Abécassis, qui recherchent moins à susciter l’admiration qu’à l’éprouver, de ceux qui préférent l’imaginaire au réel, le rêve à l’action, …
Y a eu une lettre qui a suivi quand Océane apparu après son absence (errance), je savais ce qu’elle contenait, je ne l’ai pas ouverte. Nous n’avons plus parlé de cet épisode, … dans un silence profond, on remit « Le mal de vivre » et Pierre Lapointe, ces musiques ont tourné en boucle pendant des mois… des perles sonores apaisantes.
Et Barbara ?
Il y a plein de points en communs entre l’ange québécois et la dame en noir, le piano, la poésie tranquille dans leurs écritures, l’ironie pour être moins désespéré, du feu dans les idées, des lueurs dans les yeux, des foudres océanes comme dirait Damien Saez mais surtout Pierre Lapointe et Barbara savaient mettre des mots sur ce qu’on pensait, des émotions sur ce qu’on ressentait. Sans tomber dans le pathos (même si c’est surement fait depuis la première lettre de cet article), avec ses mots et sa musique, Pierre Lapointe a prolongé la vie de la blonde de quelques années, lui donnant envie d’y croire … et de ne plus se dire Il est trop tard pour commencer à vivre.
Lors d’une interview avec Pierre Lapointe (qui sera publiée bientôt !!!), il m’avait raconté qu’adolescent il a eu quatre grandes influences: Diane Dufresne et Robert Charlebois d’un coté, plus « québécois », et puis Barbara et Gainsbourg d’un autre, dans un registre plus chanson française. Elle était bien présente la dame en noir !
C’est troublant n’empêche, parce que j’entend souvent Barbara dans ses chansons, cette impression de penser que notre artiste québécois , sans le vouloir, laisse traîner des mots que la dame en noir aurait pu choisir. Un hommage ? Un clin d’oeil ? En tout cas, « Plaisirs dénudés » est d’une beauté, même morte Barbara est en Pierre Lapointe.
Et puis y a eu « Je reviendrai », une sorte de « Mal de vivre » par le dépressif poète, une chanson tristement joyeuse, faire ses adieux mais revenir, s’obstiner à revenir même une fois couché sous terre. Quitter quelqu’un de proche mais savoir qu’on reviendra retrouver les sourires, les cœurs et les souvenirs… Tu aurais pu faire pareil Océane, n’est-ce-pas ? Tu reviens quand même me (nous) hanter dans mes souvenirs … « Je reviendrai » où cette envie de revenir, et où on a tous envie à la limite de « figer » notre jeunesse sur une photo, sur des mots, sur des sourires, ou sur un bras d’honneur à la mort.
Océane a réussi en tout cas, elle est restée jeune. Certes, elle n’est jamais revenue mais elle doit vraiment être heureuse à danser éternellement, elle et ses 22 ans…
Chante comme si personne ne t’écoutait,
Aime comme si tu n’avais jamais souffert,
Danse comme si personne ne te regardait
Et vis comme si c’était le paradis sur terre.