Avoir ses règles, avoir ses ours, avoir ses ragnagnas, avoir ses coquelicots, avoir ses groseilles, avoir son coulis, avoir son chat au museau cassé, écraser ses tomates, préparer le ketchup, traverser la mer rouge, appeler les pompiers, voir les anglais débarquer, jouer à cache-tampon j’en passe et des plus mûrs: le moins qu’on puisse dire, c’est que les français ont été prolixes pour trouver des images afin d’éviter de parler des menstruations des femmes.
C’est que le tabou concernant les règles est particulièrement vieux et tenace! Les menstruations d’une femme sont par exemple associées à une forme de souillure contagieuse dans le 15ème chapitre du Lévitique de la Bible
La femme qui aura un flux, un flux de sang en sa chair, restera sept jours dans son impureté. Quiconque la touchera sera impur jusqu’au soir.
Et au passage, je vous signale mesdames que pour être totalement pures après vos règles, selon la bible vous devez attendre 7 jours puis sacrifier deux tourterelles le huitième sachant cependant que 2 pigeons peuvent faire l’affaire…
Pourtant les menstruations constituent un phénomène si courant dans la vie d’une femme (420 cycles dans tout une vie en moyenne) qu’on pourrait imaginer qu’on puisse en parler librement, entre adultes. Ou même aux enfants, pourquoi pas, et aussi facilement qu’on pourrait leur diffuser un Walt Disney. Saugrenu? Et ben pas tellement à vrai dire:
Je vous traduis pas, tout, c’est un sacré morceau quand même, mais je vous livre l’essentiel, Disney Style:
Les menstruations, c’est la perte de la partie superficielle de la muqueuse de l’utérus, l’endomètre, évacué par un flux sanguin passant par le vagin. Un peu comme la scène de la grande cascade dans Kuzco:
L’endomètre s’épaissit préalablement en réponse à la production d’une hormone, la progestérone: c’est la décidualisation de l’endomètre... Un peu comme la forêt dans la belle au bois dormant:
Les règles ont donc lieu quand le taux de progestérone diminue et si un embryon ne s’est pas implanté dans l’endomètre. La progestérone inhibe les contractions rythmiques de la musculature utérine et du coup quand son taux baisse, c’est Space Mountain:
Ces contractions, elles sont provoquées par le myomètre, une couche de muscle lisse qui se trouve sous l’endomètre.
Ces contractions se traduisent, au moment des règles, par des crampes menstruelles et vont du fond de l’utérus vers le col, la sortie. Ca semble évident mais saviez-vous que ces contractions ne suivent pas le même sens tout au long du cycle menstruel? Et oui, les contractions myométriques, autour de la période d’ovulation, vont du col vers le fond de l’utérus, suggérant qu’elles pourraient avoir un rôle dans le transport des spermatozoïdes vers l’ovule. Peu après l’ovulation, les contractions diminuent fortement, ce qui pourrait faciliter l’implantation de l’embryon dans l’endomètre. Et si y’a eu chou blanc, pas de fécondation, pas d’implantation de l’embryon, on largue les amarres et les vagues contractiles de l’utérus changent de sens et facilitent l’évacuation de l’endomètre via le vagin.
Et voilou, vous savez l’essentiel sur les menstruations. Je vous traduis tout de même le mot de la fin du court métrage de Disney “The Story of Menstruation”:
Il n’y a rien d’étrange et de mystérieux à propos des menstruations. La vie est bâti sur des cycles et le cycle menstruel est une partie normale et naturelle du plan éternel de la nature: la transmission du don de la vie!
Roooh, ben si ça vous confirme pas que la menstruation est le phénomène le plus naturel du monde, ça! J’veux dire, Dame Nature n’est pas une sadique hein? Si les femmes subissent ce cycle, c’est que c’est une partie inhérente du cycle reproductif humain, voire du cycle reproductif de tous les mammifères, non? Les chats, les vaches… Tiens c’est fou que j’ai jamais trouvé une ligne de tampons et de serviettes pour animaux domestiques en magasin… Mais elles ont bien leurs menstruations toutes les femelles de ces animaux, non?
NON!
(ouah c’te révélation!) Et non chers amis: une écrasante majorité de mammifères se passe complètement des tracas menstruels. Les lapins, les souris, les chevaux ou les cochons n’ont pas leurs ours (et les ours non plus d’ailleurs) mais subissent l’œstrus ou chaleurs. Pour être plus précis, même s’il peut arriver que quelques femelles saignent (notamment chez les chiennes), il ne s’agit pas du relargage de l’endomètre et ce n’est donc pas, par définition, des menstruations. C’est nous humains, qui sommes plutôt l’exception qui confirme la règle (enfin j’me comprends quoi…).
Ah ha!, mais c’est bien sûr! C’est notre incroyable supériorité intellectuelle qui doit expliquer ce phénomène. Pour les plus fervents chrétiens parmi vous, il pourrait s’agir d’une trace de La Chute et de la malédiction divine qui nous tourmente depuis l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis.
Malheureusement pour ces théories, il faut savoir que nous ne sommes pas les seuls parmi les mammifères à craindre les ragnagnas de nos compagnes. C’est un trait que nous partageons déjà avec la plupart des primates:
Mais aussi quelques chauve-souris:
et enfin le Rat à trompe des roches de l'Est:
Là, tout de suite, on se sent moins spécial… Si en plus on reporte ce caractère sur un arbre phylogénétique des mammifères (c’est à dire qui retrace leurs liens de parenté) , on peut vite s’apercevoir…
… qu’il est fort probable que les menstruations sont apparues indépendamment au moins 3 fois au cours de l’évolution des mammifères placentaires. Chez les autres mammifère placentaires, l’œstrus ou période de chaleur coïncide avec le moment où l’utérus s’épaissit mais celui-ci devient véritablement décidualisé qu’au contact d’un embryon. S’il n’y a pas implantation de l’embryon, l’endomètre est réabsorbé.
Bon mais maintenant la question qu’on est en droit de se poser, c’est pourquoi les menstruations ont été sélectionnées au cours de l’évolution, d’autant plus que s’il y a convergence évolutive, cela suggère fortement que le caractère sélectionné est avantageux. Mais c’est quoi au juste l’avantage d’avoir ses ragnagnas? C’est vrai ça! Les menstrues, c’est quand même un gâchis périodique de tissus et de sang, c’est probablement une source d’infections et je vous raconte pas la discrétion dans la nature quand on veut éviter des prédateurs…
Pas mal d’hypothèses ont été avancées pour expliquer l’avantage du phénomène: nettoyage de pathogènes apportés par le sperme, économie d’énergie par rapport au maintien d’un endomètre différencié ou encore “préconditionnement” des parois utérines (un peu comme l’utilité d’un bon ménage de printemps). Cependant ces hypothèses ont été assez facilement réfutées, d’autant plus facilement qu’aucune n’explique véritablement le phénomène de convergence évolutive.
Mais dans un récent article paru dans Bioessays, Emera, Romero, et Wagner ont renversé le problème. Pour eux, l’idée n’est pas de déterminer pourquoi ces différents mammifères ont des menstrues, mais plutôt pourquoi ils se mettent soudain, spontanément, à décidualiser leur endomètre. Comme je l’ai dit plus haut, la décidualisation de l’endomètre chez la majorité des mammifères ne s’effectue qu’au contact de l’embryon. La décidualisation, c’est véritablement un remaniement profond de l’endomètre qui permet de connecter les tissus maternels et fœtaux. La décidualisation est donc le plus souvent induite par le fœtus. Pourquoi les femelles primates, chauve-souris et rats à trompes se mettent-elles à décidualiser par cycle? Et bien quand on retourne la question de cette manière, les hypothèses à émettre semblent d’un coup plus pertinentes, en tout cas en terme évolutif.
Pour s’assurer cependant qu’ils n’étaient pas en train de faire fausse piste, les auteurs cités plus haut se sont tout de même demandés si les menstruations et la décidualisation spontanée n’étaient pas des phénomènes indépendants. Pour l’instant, c’est du solide car toutes les espèces présentant des menstruations sont également caractérisées par une décidualisation spontanée.
Les deux hypothèses principales évoquées rentrent dans la catégorie du conflit fœto-maternel. Alors c’est le moment de vous expliquer le concept de baston génétique entre maman et fœtus.
En terme évolutif, l’intérêt d’un organisme est de propager ses propres gènes. Parfois, Tout lot de gènes va donc rentrer en compétition pour optimiser sa transmission. Ca peut donner des situations assez étranges comme la coopération et le sacrifice chez les fourmis, ne présentant un avantage évolutif évident qu’une fois qu’on a compris qu’au sein d’une fourmilière, les individus partagent 3/4 de leurs gènes.
Du coup, ce qu’il faut comprendre ici chez les mammifères placentaires, c’est qu’une mère et son enfant n’ont globalement qu’une moitié de leur génome en commun et deux contraintes totalement différentes au cours de la grossesse. Du point de vue du fœtus, le but est simple: pour transmettre à terme ses gènes, il doit survivre à la grossesse et se préparer à la sortie. Pour cela il doit optimiser l’exploitation et l’extraction des nutriments prélevés à sa mère. Pour vous donner une image plus efficace, c’est comme si vous mettiez un gros glouton en face d’un buffet gratuit. Y’a de fortes chances que ça donne ça:
De son côté la mère a certes un intérêt à ce que le fœtus qu’elle porte atteigne maturité pour transmettre la moitié de son génome, mais il est encore plus intéressant pour elle de s’assurer d’une part que le fœtus est viable, et d’autre part qu’elle pourra par la suite porter d’autres fœtus: transmettre ses gènes une fois, c’est cool… transmettre ses gènes plusieurs fois, c’est mieux! En gros la mère joue le rôle du serveur tyrannique qui vous fait culpabiliser quand vous tentez de vous goinfrer.
Un exemple de conflit fœto-maternel survient dans le taux glycémique durant le 3ème trimestre de la grossesse. Il a été observé que l’insuline maternelle est produite en plus grande quantité mais semble moins efficace. Il est ainsi probable que le fœtus manipule la réactivité maternelle à l’insuline pour qu’elle laisse passer plus de glucose dans le sang afin de se bâfrer et que de son côté, la mère compense en produisant plus d’insuline.
Bref, vous l’aurez compris, la relation fœto-maternel n’est pas sans rappeler la relation hôte-parasite… Charmant, non?
Alors quelles sont ces deux hypothèses entrant dans le cadre de la lutte maman-bébé et qui aurait entrainé, à terme, la malédiction des ragnagnas? Rappelez-vous, pour expliquer les ragnagnas, il faut expliquer la différenciation spontanée de l’endomètre: la décidualisation spontanée. La première hypothèse est que cette décidualisation permet de contrer l’effet d’un embryon à implantation trop agressive.
Une fois fécondé, l’embryon doit se nicher dans l’endomètre. Or, l’agressivité de cette implantation varie entre embryons de mammifères placentaires. Et devinez quoi? Toutes les espèces qui ont des menstrues ont également des embryons à implantation très agressive! Coïncidence?
La décidualisation spontanée, selon cette hypothèse, reviendrait à préparer à l’avance un endomètre bien épais pour contrer cette invasion. En plus la décidualisation permet aussi de créer une barrière de cellules qui vont sécréter des molécules inhibant celles que va sécréter le fœtus pour mieux s’implanter. L’endomètre décidualisé est aussi riche en cellules immunitaires qui vont carrément tuer des cellules embryonnaires trop invasives ! Un vrai champ de bataille cet utérus! Du coup, vaut mieux préparer le terrain en avance…
La seconde hypothèse, non exclusive de la première, donnerait un rôle de senseur à l’endomètre: Il a en effet été observé que chez certaines femmes ayant des troubles de la décidualisation, les fausses-couches tardives sont plus courantes ainsi que le taux de malformations fœtales. Comme si l’absence d’une bonne décidualisation révélait toutes les implantations d’embryons n’ayant pas lieu en temps normal! Il serait alors possible qu’un endomètre correctement décidualisé soit en mesure d’évaluer la qualité des embryons, et d’avorter le programme si celui-ci est jugé déficient, afin de préserver les ressources de la mère pour un embryon plus robuste.
Dans tous les cas, la menstruation ne serait que la conséquence logique de la décidualisation spontanée, une sorte de dommage collatéral dans la grande guerre maman-fœtus…
Bref, mesdames, si vous aviez envie de blâmer quelqu’un ou quelque chose pour vos crampes menstruelles, vous avez votre cible toute trouvée: c’est cette garce d’évolution (vous pouvez aussi blâmer les fœtus, mais faut se rappeler qu’on en a tous été un…) !
Et si d’aventure, les lecteurs masculins s’imaginent que l’on fait beaucoup de foin pour pas grand chose, prenez garde! On pourrait vous défier de porter l’engin suivant: la ceinture à menstruation!
Liens:
Article Pharyngula
Podcast Skeptically Speaking (via Martin Clavey)
Article HARDSciences
Références:
Emera D, Romero R, Wagner G (2011) The evolution of menstruation: A new model for genetic assimilation: Explaining molecular origins of maternal responses to fetal invasiveness. Bioessays 34(1):26-35.
Renfree MB (2012) Why menstruate? Bioessays 34(1):1.
Aguilar, H. N.; Xiao, S.; Knoll, A. H.; Yuan, X. (2010). "Physiological pathways and molecular mechanisms regulating uterine contractility". Human Reproduction Update 16 (6): 725–744
van Gestel I, MM IJ, Hoogland HJ, Evers JL. (2003) Endometrial wave-like activity in the non-pregnant uterus. Human Reproduction Update d2:131–138.