« - Je n'ai jamais mangé d'aussi bonnes pitas !
- On dirait que notre Chamera a un don pour la cuisine.
- C'est parce que le sel vient directement de ses larmes. »
Tous les lecteurs de Blankets se posaient la question. Qu'allait proposer Craig Thompson après ce chef-d'œuvre d'émotion ? Habibi est la réponse. Sept années de travail, 670 pages aussi parfaites les unes que les autres.
Habibi est une œuvre complexe et érudite. Un conte aux épices d'Orient, inspiré des Mille et une nuits et du Coran. On retient son souffle devant la densité des détails, le trait de crayon est un spectacle intense d'une grande force.
L'histoire de Dodola et de Zam est nourrie d'amour, de sacrifice et de violence. L'humiliation faite aux femmes, l'apprivoisement de soi, l'abandon à l'autre. Habibi transfigure également le graphic novel en offrant une lecture d'une grande exigence et d'une beauté onirique inouïe.
Pourtant, je n'ai pas totalement été emportée. Souvent, au moment de m'envoler devant la pudeur des sentiments, la cruauté de ces destins fragiles, j'ai brutalement été ramenée à terre par des éléments trop didactiques et élaborés. La perfection tue parfois l'émotion.
Le traitement du féminin m'a aussi troublée. Craig Thompson positionne la femme dans le domaine du mystérieux, du sublime, et donc de l'inaccessible. L'admiration qu'il porte aux femmes se ressent fortement et, même si elle est louable, le résultat ne me semble pas réaliste. Admirer, c'est aussi mettre sur un piédestal au risque de déformer la substance. Attention à ne pas basculer dans le leitmotiv trop souvent utilisé « sainte ou putain », il existe une galaxie de nuances entre deux !
Malgré ces quelques réserves, Habibi reste à découvrir pour l'immense talent de son auteur ainsi que pour le traitement original du Coran.
Les prochains projets de Craig Thompson : « un livre d’aventures pour enfants, un ouvrage érotique, et un roman graphique réaliste, lié à l’économie mondiale ». On se réjouit !
Casterman, 670 pages, 2011