La Place de l’Obélisque au centre de Dakar pourrait devenir la version sénégalaise de la place Tahrir en Égypte, alors que les manifestants visent à balayer l’ambition du président Wade. « Wade Dégage ! », voici la voix qui résonne dans la rue.
Par Franklin Cudjoe et Japheth Omojuwa (*)
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre
Abdoulaye Wade
À l’âge de 85 ans, le président Abdoulaye Wade a décidé de briguer à nouveau la présidence du Sénégal. Il pourrait ainsi terminer en 2019 encore sept autres années de « mandat ». Il y a cependant trois « si » pour que cela se concrétise. Si le peuple du Sénégal permet à Abdoulaye Wade de voir son souhait exaucé de pouvoir se présenter à nouveau ce mois de février, s’il sort ensuite vainqueur des urnes, et enfin s’il vivra assez longtemps pour arriver à la fin de son mandat.
Pour un homme qui a été candidat à la présidentielle quatre fois à partir de 1978 avant de finalement prendre ses fonctions en 2000, on peut estimer qu’il ne manque pas de volonté pour se maintenir face à une opposition croissante et aux manifestations dans les rues et les villes du Sénégal. Wade n’a cependant pas entamé cette année son processus de maintien à la présidence sénégalaise : l’année dernière déjà il avait cherché à se rendre la tâche plus facile en proposant des modifications à la constitution. La modification proposée était de réduire à 25% le pourcentage nécessaire à un candidat pour remporter les élections dès le premier tour, au lieu de 50% auparavant. En substance, M. Wade ne voit rien de mal à ce que 25% de la population décident qui serait le président cette année. Cet épisode remonte à juin dernier, mais les manifestations et le rejet de cette idée par les populations ont arrêté Wade. Il semble cependant que le peuple du Sénégal doive à nouveau tenir tête à son président.
Alors que les structures et les fondations de la démocratie sont menacées au Sénégal, les dirigeants africains se délectent encore de la célébration d’un nouveau « cadeau » de la Chine à l’Afrique : le nouveau bâtiment de l’Union africaine en Éthiopie qui a coûté 200 millions de dollars, et le dévoilement de la statue de Kwame Nkrumah en ce même lieu. Fait caractéristique d’une organisation qui semble ne jamais comprendre les choses quand il le faut, l’UA est restée muette sur les événements du Sénégal.
Ironie du sort, M. Wade lui-même avait inauguré une statue à 27 millions de dollars au Sénégal, symbolisant les luttes collectives des Africains contre les régimes autoritaires en Afrique. Considéré comme un nouvel éléphant blanc, ce pur gaspillage du monument de la renaissance africaine entrepris par le Président Wade a également connu une baisse de popularité lorsque le président Wade a affirmé qu’il était en droit de toucher 35% de tous les bénéfices touristiques que la statue génère parce que l’idée était sa « propriété intellectuelle ».
Abdoulaye Wade n’a pas manqué d’aide. La Cour constitutionnelle du Sénégal a déclaré le 27 janvier que M. Wade pourrait briguer un troisième mandat, soutenant que son premier mandat, qui a débuté en 2000, ne comptait pas en vertu de la nouvelle Constitution de 2001. Alors que le 26 février 2012, date de l’élection décrétée par le président du Sénégal Abdoulaye Wade, le 23 novembre 2010, approche, le chemin s’annonce tortueux et, sans doute influencé par des événements à travers le monde arabe et le Moyen-Orient, le Sénégal pourrait entrer dans une bataille de longue haleine entre les gouvernés et le gouvernant.
La Place de l’Obélisque au centre de Dakar pourrait devenir la version sénégalaise de la place Tahrir en Égypte, alors que les manifestants visent à balayer l’ambition du président Wade. « Wade Dégage ! », voici la voix qui résonne dans la rue et alors que les jours passent, son écho se propage à travers le continent et le monde. Il reste à voir si le président Abdoulaye Wade, un homme ne manquant pas d’amis influents en Occident et en Afrique, cédera à la voix de son peuple et ne se présentera pas aux élections à l’âge vénérable de 85 ans, quelque 12 ans après son premier mandat.
Pour le Sénégal, longtemps considéré comme l’un des pays les plus pacifiques et stables de l’Afrique, 2012 semble être l’année qui va définir son chemin vers l’avenir. L’État de droit sera le dernier fil qui pourra tenir unie cette fière nation africaine. Quand un peuple se sent floué à chaque jour qui passe alors qu’un seul homme cherche à se maintenir au pouvoir, la résistance ne peut que devenir plus forte. Les candidats de l’opposition ne sont pas près à faire profil bas, les gens sont déjà dans la rue, les arrestations de membres de l’opposition se multiplient, au moins un policier a été tué – et un bébé vient juste d’être tué. Et l’interdiction faite au chanteur sénégalais Youssou N’Dour, musicien auteur-compositeur de renommée internationale, de se présenter aux élections par le même tribunal qui a permis au président Abdoulaye Wade de se présenter, ajoute une triste tonalité à la crise au Sénégal.
La quête illégitime et impopulaire d’un seul homme pour le pouvoir ne justifie pas de retourner tout un pays. Nous appelons le président Abdoulaye Wade, après un règne de douze ans qui se termine cette année, à prendre le chemin de l’honneur et permettre aux populations de décider pour le Sénégal l’homme qu’elles souhaitent voir les conduire.
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Sur le web
(*) Franklin Cudjoe est le Directeur exécutif du think tank ghanéen IMANI, Conseiller principal et chroniqueur à AfricanLiberty.org. Japheth Omojuwa est assistant à IMANI et responsable d’AfricanLiberty.org.