UN NORMAND
Pendant notre voyage, ma compagne
Ne regardait point la campagne.
Mais soudain elle sourit :
-Ah !, voici une chose inouïe :
La chapelle du père Mathieu.
Je la regardai, l’œil curieux.
Elle me donna ces précisions :
-Mathieu, dit « Père-la-Boisson »,
Est un ancien sergent
Qui unit la grosse blague militaire
À la malice finaude du Normand.
Grâce à l’habileté d’un clerc,
Il devint chef-concierge
De cette chapelle dédiée à la Vierge,
Fréquentée par les filles enceintes.
Mathieu a même osé
Baptiser
Une statue de la sainte,
Marraine du pieux centre :
Notre-Dame-Du-Gros-Ventre.
Il ne croit guère à sa patronne
Mais il s’y cramponne
De peur d’être excommunié
Et il la ménage par intérêt financier.
Il vient de composer une prière,
Chef d’œuvre d’humour involontaire
Où la bizarrerie
Se mêle à la bigoterie.
Voici cette oraison étonnante :
« Protégez votre servante,
Bonne madame la Vierge Marie,
Patronne des filles mères
En ce pays et par toute la terre.
Moi qui ai fauté dans un moment d’oubli,
Recommandez-moi surtout
À votre Saint Époux.
Ne me jetez pas la pierre.
Intercédez auprès de Dieu le Père
Pour qu’il m’accorde un bon mari. »
L’évêché ayant mis son veto,
Mathieu vend sa litanie
Sous le manteau.
Elle passe pour salutaire
À celles qui, demeurées célibataires,
La récitent avec onction.
Comme sa Patronne
Ne lui procurait pas une rétribution
Suffisante, Mathieu en personne
Fit preuve d’imagination :
Il façonna de ses mains
Les statues de plusieurs Saints
Sensés guérir diverses maladies
Et les peignit en bleu-gris.
Son négoce devint si prospère
Que les places de rangement manquèrent
Dans la chapelle.
Il a donc bâti à côté un magasin
Pour y entreposer les saints.
Il est souvent questionné par les fidèles :
-Qué saint est l’meilleur pour les oreillons ?
-Y a saint Osyme qu’est bon.
Y a aussi Gervais
Qu’est pas mauvais !
Puis Mathieu s’est mis à boire.
Il est gris tous les soirs.
Et de son ébriété, il note les degrés
Sur le saoulomètre qu’il a inventé.
C’est devenu sa principale activité.
La chapelle ne vient qu’après !
Par exemple, il dit :
-D’puis lundi,
J’ai pas passé cinquante-deux.
Ou :
-J’étais entre trente-neuf et quarante-deux…
Ou :
-J’me croyais dans les cinquante,
V’là qu’j’me vois dans les soixante !
Ou
Il avoue
-J’avais bien soixante-huit, soixante-dix !
Il affirme n’avoir jamais atteint
Quatre-vingt
Mais comme ses observations
Cessent d’être précises
Quand il a passé soixante-dix,
On ne peut se fier à ses affirmations.
Lorsqu’il reconnait soixante-dix,
Soyez tranquille, il est vraiment gris.
Dans ces moments-là, Claire,
Sa femme, se met en colère :
-Bougre d’ivrogne, cochon !
-Veux-tu m’laisser !
Gueule pas. Sinon
J’vas te rosser.
Tant qu’j’ai pas atteint l’mètre,
Y a pas d’mal. Si j’passe l’mètre,
Là, j’te permets de moraliser !
Nous, on franchissait
Le seuil de la chapelle,
Quand deux clientes lançaient cet appel :
-Auriez-vous un Saint Irénée ?
-J’vas vous donner ça.
Mathieu disparut puis revint consterné.
Il levait les bras :
-J’sais pas
Oùsqu’il est ; je l’trouve pas !
Alors sa femme lui dit :
-C’est-y pas celui qu’t’as pris
Pour boucher l’trou d’a cabine à lapins ?
-Nom de nom, ça s’peut ben !
Avec mon amie, on suivit Mathieu.
Irénée était bel et bien
Piqué en terre comme un simple pieu.
Il servait d’angle à la cage des lapins.
Les clientes alors s’agenouillèrent,
Et se mirent en prière.
-Vous v’là dans la crotte,
J’vas vous chercher une botte
De paille comme prie-Dieu,
Dit Mathieu
Qui revint tenant aussi un litron :
-Buvons !
Avec des amis,
Faut aller au moins à soixante-six !
Signé du pseudo : Gérard Manvussa
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La foi est le triomphe de la théologie sur la faiblesse humaine.
Voltaire
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Aux éditions EDIFREE, déjà parus :
Tome 1 (34 contes)
Tome 2 (40 contes)
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