Saille ici la suprême habileté de l'art égyptien : donner l'illusion du naturel à une vision artificieusement reconstruite du monde.
Pascal VERNUS
Dictionnaire amoureux de l'Égypte pharaonique
Paris, Plon, 2009
p. 958
Parmi les quarante-trois fragments peints provenant du mastaba de Metchetchi achetés dans le commerce des antiquités en 1964 et maintenant exposés ici dans la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, après celui de ses domaines agricoles personnifiés par d'élégantes jeunes femmes, nous avons mardi dernier découvert, souvenez-vous amis lecteurs, un premier défilé de porteurs d'offrandes tournés vers la gauche, s'avançant donc vraisemblablement à l'origine eux aussi sur le mur nord de la chapelle funéraire, vers le défunt assis, tournant le dos aux stèles fausses-portes présentes du mur ouest au pied desquelles ils étaient censés déposer leurs victuailles aux fins de lui assurer l'éternité de sa nourriture post mortem.
Ce samedi, à leur propos, je me suis autorisé un petit excursus pour réfuter, à propos de l'art égyptien en général et de cette scène en particulier, cette antienne qui dénonce un manque de diversité, une monotonie peu digne des artistes qui réalisèrent le programme iconographique des chapelles funéraires.
C'est donc avec toujours la volonté de mettre fin à cette malencontreuse impression que je vous propose quatre nouveaux fragments qui ressortissent également à ce thème de l'apport des victuailles destinées à nourrir le ka d'un défunt.
Bien que deux d'entre eux, réassemblés, soient malheureusement très endommagés et deux autres relativement petits, de sorte qu'en définitive la surface peinte vous paraîtra inévitablement restreinte - tout cela pour cela ?, pourriez-vous même ironiser -, il me sied de vous les présenter de manière qu'ainsi vous ayez une première vue générale, quasiment exhaustive, des différents dépôts d'offrandes alimentaires des serviteurs masculins de Metchetchi occupant le mur de droite en entrant dans la pièce.
Les deux premiers auxquels ce matin nous accorderons notre attention, E 25530 (28 x 34 cm) et E 25536 (28 x 22 cm), - à la gauche d'un ensemble exposé au début de la seconde moitié de notre vitrine 4 ² -,
sont, comme je vous l'indiquai à l'instant considérablement détériorés : en fait la couche de peinture s'est détachée du mur, laissant à nu de larges portions du support de mouna.
En les examinant attentivement, vous vous rendrez très vite compte qu'ils ne nous proposent plus, au registre supérieur, que quelques "bribes" puisque ne nous sont conservées que les jambes d'un homme et les pattes graciles des deux bêtes qu'il emmène. Des gazelles, probablement.
Au registre inférieur figurent trois personnages orientés vers la gauche, à peine apparents ou, pour le dernier, uniquement jusqu'à mi-corps. Portant la perruque courte traditionnelle, celui-ci, probablement vêtu à l'instar des deux qui le précèdent du seul pagne, classique pour l'Ancien Empire, que nous avons rencontré à notre dernier rendez-vous, empoigne fermement un volatile par les ailes.
Ce qui subsiste de la scène complète laisse entrevoir que le premier homme maintient,
dans le creux du coude, l'extrémité antérieure d'une patte de boeuf déposée sur l'épaule, - elle
eût tout aussi bien pu être portée à bras le corps. Cette cuisse que les Egyptiens appelaient khépech constitua incontestablement la pièce de viande qu'ils préférèrent à tout
autre.
Quant au personnage central - celui qui mobilisera notre attention pour terminer notre rendez-vous d'aujourd'hui -,
il s'avance une coupe pansue blanche à gorge mince dans les mains, vraisemblablement destinée à contenir le sang de l'animal sacrifié, - si je m'en réfère à l'indication hiéroglyphique : Transporter un vase de sang, qui accompagne le porteur d'un vase semblable dans une scène du sacrifice d'un bovin dans le mastaba de Ty.
Quant à la raison pour laquelle celui-ci est clos par un couvercle de vannerie sur le
haut duquel, de part et d'autre de sa boucle de préhension, sont visibles deux fleurs ouvertes de lys blanc, je l'ignore complètement, n'ayant point rencontré de parallèle dans les tombes de
l'Ancien Empire ...
Ce récipient - probablement en calcite, comme des milliers d'autres mis au jour -, était en réalité une transposition dans la pierre de poteries analogues en terre cuite, et essentiellement réalisées pour le mobilier funéraire : en effet, la pierre étant chez les Egyptiens considérée comme le matériau parfait pour l'éternité, semblable jatte gageait aux défunts un ravitaillement pérenne.
Il faut savoir que, parallèmement à l'artisanat de la céramique, celui des vases
lithiques constitua dès les époques pré-dynastiques déjà un des secteurs florissants de l'activité économique du pays : les sépultures de l'élite, souverains et hauts-fonctionnaires confondus, en
ont fourni de multiples exemples, entiers ou brisés. L'égyptologue français Jean-Philippe Lauer ne cite-t-il pas le nombre quasiment
incroyable de quarante mille vases de pierre évidés retrouvés dans le seul complexe funéraire de Djoser, souverain de la IIIème dynastie ? Et son homologue anglais, William Matthew Flinders Petrie, n'a-t-il
pas, après la fin de ses fouilles menées en Abydos - où furent notamment inhumés tous les souverains de
la Ière dynastie et les deux derniers de la IIème -, adressé aux Musées Royaux d'Art et d' Histoire de Bruxelles une centaine de caisses en bois contenant, selon les estimations, au moins cinquante mille fragments de récipients en pierre
?
Bols, plats, coupes, vases cylindriques, avec ou sans anses, tous ces ustensiles - nonobstant que certains d'entre eux, parce que réparés à l'antiquité déjà, aient réellement servi dans la vie quotidienne -, furent principalement dévolus à des fins funéraires, soit pour contenir des produits censés alimenter les trépassés dans l'Au-delà, soit, si j'accrédite l'étude ici déjà souvent citée de Madame Jeanne Vandier d'Abbadie concernant les objets de toilette du Louvre, pour renfermer des produits cosmétiques, huiles et onguents, nécessaires au rituel du culte.
Leur nombre donc, mais aussi la variété de leurs tailles, de leurs formes décrites et classées par Petrie lui-même, les différents matériaux utilisés - ainsi, les trois catégories de roches égyptiennes (magmatiques, sédimentaires et métamorphiques) figurent-elles dans cette importante collection bruxelloise -, tout concourt à démontrer l'importance et l'excellence que détint cet artisanat des premiers temps. Importance telle que maints ateliers de production furent mis au jour dans le périmètre immédiat des plus anciens temples du pays ; ce qui tendrait à prouver que, là aussi, exista un monopole d'Etat. Et excellence telle que le foreur de vases, de pierres dure - schiste, granite, quartzite ... -, autant que de pierres tendres - calcaire, grès ... -, nous apparaît comme le maître incontesté de son art.
Mais, vous interrogerez-vous très certainement, comment les Egyptiens de
l'Ancien Empire fabriquèrent-ils tous ces éléments de cette vaisselle lithique ?
Anticipant votre question, c'est exactement ce que je me propose de vous expliquer, ce samedi 11 février si, toutefois, il vous agrée d'à nouveau me suivre dans le dédale des techniques artistiques de l'antique Kemet et dans celui de ce Musée : rendez-vous cette fois salle 21, à l'étage supérieur.
Vous n'oublierez pas, j'espère ? Salle 21 ... Juste au-dessus ...
(Arnold D./Pischikova E. : 1999, 112-8 et
324 ; Hendrickx S./Eyckerman M. : 2009, 299-304 ; Simon-Boidot C : 2008, 37-46 ; Vandier : 1964, 114-5 ;
Ziegler : 1990, 133)