Jean Pierre Kahane a été élu membre de l'Académie des Sciences en 1998. Il est agrégé de mathématiques et ancien élève de l'école normale supérieure.
Voilà un extrait du texte : Mathématiques , quel avenir ? qu'il a écrit à l'occasion de l'année des maths en 2000 :
Quel que soit le choix des matières et le style d’enseignement, il faut à la fois assurer la cohérence des connaissances – c’est une grande partie de la beauté et de l’efficacité des mathématiques – et laisser les portes ouvertes à d’autres entrées possibles vers les mathématiques. Les activités de type clubs, compétitions, rallyes, jeux, contribuent à ouvrir les portes. Les horaires d’enseignement et les programmes figent pour un temps le choix des matières. Une réflexion à long terme s’impose pour enrichir mutuellement les activités scolaires et périscolaires, et dessiner les évolutions possibles des programmes et des modes d’enseignement. Au delà des aspects circonstanciels, c’est la raison d’être des démarches entreprises en France par les principales associations professionnelles pour la création d’une commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques. Voici, très sommairement, quelques idées qui me semblent émerger des travaux de cette commission.
D’abord, il convient que tous, mathématiciens et enseignants de mathématiques nous élargissions notre culture. Nous ne sommes pas seulement les spécialistes d’un sujet ou les praticiens de l’enseignement. Nous sommes les porteurs d’une composante importante de la culture nécessaire à notre époque et aux générations futures. Il nous faut donc élaborer les matériaux de cette culture, et d’abord à notre intention. C’est le sens de l’appel aux mathématiciens, au sens large des sciences mathématiques, pour produire des documents attrayants et accessibles aux professeurs de l’enseignement secondaire ; la meilleure formule serait que ces documents aient deux auteurs, l’un source d’information, l’autre exprimant les intérêts du public visé.
Nous ne pourrons jamais enseigner tout ce qui est beau et utile, et nous ne devons pas nous résigner à l’abandonner. Les professeurs de français connaissent depuis longtemps cette situation, et ils la gèrent en changeant régulièrement les auteurs au programme. Que faire en mathématiques ?
Dans l’esprit de l’évolution à long terme, il nous faut à coup sûr réfléchir, prendre le recul par rapport à la situation actuelle, expérimenter. Il nous faut sans doute admettre comme normal que les programmes changent au cours du temps, et que nous soyons amenés à enseigner des choses que nous n’avons jamais apprises.
Comment nous y préparer ? L’élargissement de notre culture, après nos études, peut se révéler une nécessité en vue même de faire face aux changements à venir.
J’ai évoqué l’influence de l’informatique. Elle est très importante, et elle se modifie très rapidement. En 1986, j’avais fait au congrès international des mathématiciens un rapport sur “ enseignement mathématique, ordinateurs et calculettes ” qui me semblait d’actualité. Les calculettes de l’époque offraient des possibilités très intéressantes pour l’introduction de nouveaux sujets d’étude, en dépit ou peut être à cause de leur caractère rudimentaire. Mais, en matière de calculettes, on est passé très vite de la bicyclette à la voiture de sport ; les usages sont à réinventer. Les ordinateurs sont partout, l’industrie des logiciels se développe, il nous faut rapidement prendre la mesure de leur usage possible, et créer des conditions pour que cet usage devienne réalité. Cependant la réflexion qui s’impose pour le long terme est relative aux concepts permanents que l’informatique apporte ou conforte en mathématiques : la récurrence, les algorithmes, la logique, et leurs avatars.