Dans les années futures, quand un chercheur se risquera à analyser le déclin du capitalisme que nous vivons, il en aura des choses à raconter. Il aura surtout l'embarras du choix. Ce chercheur aura du pain sur la planche pour expliquer aux générations futures comment c'est arrivé et par la faute de qui, alors que les citoyens, eux, n'auront plus les moyens de se payer le pain quotidien qu'ils voudraient mettre sur la table.
J'étais enfant quand j'ai entendu parler pour la première fois d'un monde meilleur où il n'y aurait plus de pauvreté et où l'enrichissement collectif passerait bien avant l'enrichissement personnel. On disait même qu'il suffirait d'étudier un peu plus, de travailler assidûment pour s'assurer un bien-être raisonnable et une fin de vie sans vrai souci. Ma foi, nous y avons cru.
J'ai pourtant l'impression depuis quelques années que nous sommes de retour à la case départ. Il suffisait récemment de voir la tête des travailleurs en lockout chez Rio Tinto et celles des «mis à pied» de cette usine au coeur de Montréal et appartenant à des Mexicains qui fermera définitivement ses portes dans les mois qui viennent pour comprendre. Il faut voir la fierté sur fond de peur qui se lit dans les yeux des travailleurs de White Birch à Québec pour comprendre que rien ne va plus. Ils ont tous de longues années de travail dans le corps et la quasi-certitude que la retraite qu'ils ont épargnée va leur filer entre les doigts. Ils vont ramasser des miettes.
Notre bien-aimé Stephen Harper a profité de son voyage chez les puissants de ce monde, à Davos, pour «mentionner» son intention de revoir le fonctionnement des revenus de retraite pour les personnes âgées de son si merveilleux pays. Ç'a dû lui échapper, car il avait omis de consulter les citoyens à ce sujet lors de la dernière élection le 2 mai dernier. Le débat qui va s'ensuivre (car il y en aura un) lui permettra de nous passer d'autres petites surprises sous le nez pendant que nous tenterons de sauver ce qui nous appartient dans le domaine des retraites. La tactique de détourner l'attention fonctionne toujours.
Chaque fois que l'économie va mal, on demande aux citoyens, même les plus pauvres, de se serrer la ceinture pour sauver l'énorme machine capitaliste qui n'hésite pas à gonfler les salaires et les primes de ses dirigeants, ni à renflouer les banques comme ç'a été le cas pour sauver le système bancaire américain qui coulait. Je reconnais la même démarche chez Stephen Harper qui achète des avions de guerre à prix fort et qui construit des bateaux de guerre sans regarder à la dépense, n'hésitant pas à écraser les démunis et les sans défense pour payer la facture. La méthode est la même partout où le capitalisme sauvage a trouvé une terre fertile.
Ce serait trop facile de dire que les citoyens n'y sont pour rien. Qu'ils ne sont que des victimes d'un système qui leur maintient la tête sous l'eau tout le temps. Qu'ils n'ont aucune responsabilité dans ce qui leur arrive. Le choix des citoyens de ne pas se mêler de politique, de voter souvent n'importe comment, refusant de s'informer et de jouer un vrai rôle de citoyen va toujours nous coûter cher. Quand ils auront compris que la politique n'est pas un jeu, ils auront repris la partie du pouvoir qui leur revient.
Je voudrais vous rappeler une chanson que nous avons chantée à tue-tête pendant longtemps, assez pour en faire presque un hymne national québécois... parce que je pense que cette chanson nous a peut-être fait rire, mais elle décrit bien la démobilisation dont nous souffrons depuis des années et qui nous dépouille et nous affaiblit.
«Tant qu'il restera queq'chose dans le frigidaire
J'prendrai le métro, j'fermerai ma gueule pis j'laisserai faire
Mais y'a queq'que chose qui me dit qu'un beau matin
Ma Rosalie on mettra du beurre su' notre pain»
Ceux qui ont vraiment les moyens de mettre du beurre sur leur pain ne prennent jamais le métro. Ils prennent leur retraite après avoir touché des indemnités de départ à la hauteur de la valeur qu'ils se donnent et qui servent juste à arrondir leurs fins de mois. Leurs gains d'une seule année sont souvent l'équivalent de ce qu'un bon ouvrier gagnera durant toute sa vie. Les écarts sont si grands qu'ils font peur. Ils se font soigner au privé et leurs enfants peuvent fréquenter les universités de leur choix.
L'augmentation des droits de scolarité ne les empêche pas de dormir. Ils voyagent en jet privé et discutent de l'état du monde en jouant au golf. Et ils pensent que les pauvres le sont parce qu'ils n'ont pas le courage de travailler. Ils payent le moins d'impôts possible et souvent leur argent est en Suisse ou aux Bahamas.
Ce sont ces gens-là qui pensent que le peuple doit faire un effort.
Source : LeDevoir