Non, je n'ai pas oublié, mais il y avait deux trois choses à faire entre temps. Suite doncde ce billet sur le Qatar, au tournant de 2012.
6/ Toutefois, c'est au cours des récentes évolutions arabes qu'on a observé le rôle de l'émirat. En fait, le Qatar apparaît comme le porte-voix et le poisson pilote de l'Arabie Saoudite. Celle-ci pèse et influence, utilisant notamment le conseil de coopération du golfe (CCG). Cependant, l'Arabie est intervenue directement dans deux cas :
- au Bahreïn, pour soutenir la famille régnante contestée dans la rue (à coup d'une intervention "ferme" mais finalement assez facile dans le tout petit émirat, où l'opposition n'avait aucune profondeur territoriale, à la différence de ce qui s'est pssé en Libye ou de ce qui se passe en Syrie). "Stabilisation" réussie.
- à Oman, pour gérer la transition du président Ali Abdallah Saleh : cela s'est fait difficilement, Saleh manquant de mourir à la suite d'une blessure (éclat de mortier) et ayant été soigné en Arabie : on l'a fait revenir pour "sauver la face" et permettre au vice président, Abd-Rabbou Mansour Hadi, de lui succéder à la suite de la prochaine élection présidentielle où il sera le seul candidat. "Transition" réussie.
7/ Autrement dit : l'Arabie s'occupe directement de "l'étranger proche" (comprendre : la péninsule arabique). Et elle laisse agir le Qatar pour l'étranger un peu plus éloigné. C'est-à-dire le Proche et le Moyen-Orient. Le cas de l’Égypte est ambigu : le pays est trop important pour être laissé au seul Qatar, surtout que l'actif le plus important demeure l’université Al Azhar, la plus influente de l'islam. Aussi s'est-on arrangé pour "jouer" la révolution : on a laissé tomber Moubarak, mais en laissant l'armée aux commandes et en permettant le succès des frères musulmans aux élections. Du lampedusisme pur jus, où tout a changé pour que rien ne change, afin de laisser la cogestion Armée-FM se perpétuer.
8/ C'est un peu le même scénario qui s'est joué en Tunisie, même si la chose fut plus impromptue, et soudaine. Il reste que la famille Ben Ali s'est réfugiée en Arabie. Au fond, le Qatar a vogué sur la vague. En finançant le parti Enahda. En accueillant le leader du parti islamiste, Rached Ghannouchi, au lendemain des élections. Et aux festivités du 14 janvier (anniversaire de la révolution), l'émir du Qatar est venu avec énormément de promesses d'investissement (voir ici).
9/ Mais c'est en Libye que le Qatar a été le plus offensif, dans tous les sens du terme : tout d'abord en soutenant diplomatiquement la coalition occidentale, et donc en légitimant auprès de la population arabe l'opération de l'OTAN : Al Jazeera fut ici une aide précieuse à la ligne d'opération "info ops" d'OUP...! Mais l'offensive fut directe, car outre les avions qatariens volant pour faire respecter la no-fly-zone, l'émirat a livré des tonnes de munitions et même envoyé tellement de forces spéciales que leur nombre, si on en croit certains compte-rendus de journalistes n'ayant aucune idée de la chose militaire, dépassait quasiment le volume total des forces armées qataries (5000 FS sur une AT de 8700 hommes : voir ici). Et après le départ de l'Otan, le Qatar aurait repris les affaires en main, au point d'importuner les Français et les Libyens (voir ici).
10/ 2012 voit toutefois un changement d'orientation : le Qatar délaisse le Maghreb pour se tourner vers la Syrie. Une Syrie alliée de l'Iran, et accessoirement dirigée par le dernier régime Baas et donc laïque de la région. Là encore le Qatar est aux avant-postes de la Ligue Arabe.
11/ Il reste alors à s'interroger sur les motifs de cet activisme. J'en vois plusieurs possibles, et peut-être pas si concurrentes ou contradictoires que ça.
- tout d'abord, la volonté de soutenir un islam politique qui serait sinon dur ou radical, du moins très affirmé. De ce point de vue, il y aurait un rassemblement des sunnites autour du cœur arabique de la religion. Et cela expliquerait un certain acharnement envers les régimes "laïcs" (Libye, Tunisie, Syrie). Destiné à contrer aussi bien le chiisme iranien que le néo-ottomanisme de l'AKP : car il y a concurrence des islams politiques, ce qu'on oublie trop souvent en France.
- Mais la promotion de l’islam peut aller de pair avec un accord avec un certain consumérisme : en clair, proposer un alternative au manichéisme Occident/djihad. Comme le dit Thierry Brésillon, le choix du football (coupe du Monde de foot, PSG) ferait partie de cette stratégie conciliante. Une voie moyenne entre Al Qaida et la "dépravation" de l'Occident.
- il peut y avoir l'ivresse de celui à qui tout "réussit", et qui se prend d’orgueil, d'hubris, et ne sait pas s’arrêter, faisant trop de choses. Trop d'argent, trop d'influence, trop d'Al Jazeera...
- Il peut y avoir l'utilisation de la période de transition en Arabie, où la transmission dynastique compliquée et vieillie ralentit les choses, permettant des marges d'action qu'un pouvoir plus présent ne tolérerait pas.
- Y a-t-il d'autres ambitions, plus cachées ? pour l'instant, rien ne les laisse vraiment voir. Seul le temps les dévoilera.
Une chose est sûre : le Qatar est bien surdimensionné !
Peut-être, si j'ai le temps, ferai-je un jour un billet sur le Qatar et la France, et la France et le Qatar...
Références :
- Présentation du Qatar par le MAE : ici
- Billet Qatar sur Wikipedia.
- Billet Qatar par l’université de Laval (Québec)
- Billet de Jacques Charmelot sur le Golfe, § 9 sur le Qatar
- sur les relations Tunisie-Qatar : ici et ici.
- Qatar après la Libye : ici.
O. Kempf