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La présidentielle française, Narcisse et le « modèle allemand »

Publié le 06 février 2012 par Pslys

La campagne pour l’Elysée semble devoir se focaliser sur le « modèle allemand ». Une « hystérie statistique » qui est, pour Karine Berger, économiste et candidate PS aux législatives, une façon d’organiser « une pensée unique, au service d’un seul »… Nicolas Sarkozy

« Toute vraie passion ne songe qu’à elle ». La passion hivernale française pour le « modèle allemand » est sur le point de se transformer en cristallisation narcissique. Le « modèle allemand » jour et nuit pendant 4 mois de campagne ; non stop ; des salons dorés de la République en prime time aux débats économico-politiques ; des dîners parisiens aux Unes des Journaux. Le « modèle allemand » comme prototype obligatoire de l’avenir du pays, comme unique boussole du choix politique de mai. 

Le plus amusant c’est qu’outre-Rhin personne ne se reconnaît dans le « modèle allemand » qui est décliné actuellement en France. Comme me le faisait remarquer la semaine dernière un grand économiste de Berlin, peu suspect de sympathie pour le SPD: « Le modèle auquel fait référence Nicolas Sarkozy n’a rien d’allemand. Quand vous parlez de notre modèle, vous dites TVA sociale, pendant que nous discutons hausse des salaires et travail partiel; et vous martelez code du travail tandis que nous parlons consensus social »… tant il est vrai que notre président – celui-là même qui se glorifia que, « en France, quand il y a une grève on ne la remarque même plus » – est aux antipodes d’une vision de la société où passer des mois de discussions sociales, où patrons, syndicats, experts sont traités avec la même importance, pour obtenir un consensus signé par absolument tous est une évidence collective. 

Toute campagne présidentielle a besoin d’une hystérie statistique 

Au passage, l’amitié politique franco-allemande repose sans doute plus sur l’enrichissement croisé de nos cultures, que sur celui des réglementations du travail. Que les étudiants français perpétuent l’étude de leurs Nuits de Walpurgis et que les étudiants allemands continuent d’explorer nos Liaisons Dangereuses fera beaucoup plus pour la construction européenne que les pseudo-alignements de fiscalité. 

Mais ces remarques ne sont pas centrales car la folie actuelle pour le modèle allemand cachent deux aspects du « vrai » débat en train de se nouer en France… et qui n’a rien à voir avec l’Allemagne ou la construction européenne. Le premier aspect est d’abord que toute campagne présidentielle a besoin d’une hystérie statistique. Cette année ce sera donc sur la comparaison des chiffres Allemagne-France. Car vous verrez que rapidement le « modèle » s’estompera au profit des seuls « benchmarks« . Tant pis si ces « benchmarks » sont construits par des non professionnels du chiffre et de la statistique.  

Curieusement, nous ne supportons pas l’idée que le choix politique de mai sera un choix plus politique que rationnel 

Les chiffres ne mentent d’ailleurs jamais quand on maîtrise leur construction, leur méthodologie, leurs intervalles d’erreur. Ils mentent toujours quand on en ignore leur genèse et leur logique. Nous allons tous nous battre pendant trois mois sur les chiffres entre France et Allemagne. Nous allons nous battre entre Français avec plus ou moins de maîtrise technique du sujet selon la personnalité qui prendra la parole. Parce que, curieusement, nous ne supportons pas l’idée que le choix politique de mai sera un choix plus politique que rationnel, plus idéologique que scientifique, plus culturel qu’économique.  

Alors chaque fois que l’on me parlera des exportations de l’Allemagne, on pourra répondre que la croissance du PIB a été d’un demi-point inférieur à celle dela Franceau cours des 10 dernières années. Et chaque fois qu’on évoquera la compétitivité supposée du « Mittelstand », on rappellera que l’investissement par habitant est de 5400 euros en Allemagne et de 5800 euros en France… sans véritablement convaincre les amoureux des balances courantes, on peux le  craindre.

Car en se livrant à cette bataille, nous raterons collectivement un sujet autrement plus important: avons-nous oui ou non avec l’Allemagne des objectifs politiques communs? Des objectifs communs de croissance économique? Des objectifs communs sur le rôle de l’Europe dans le monde? Nous omettrons ces questions car le second aspect du « vrai débat » français est très politicien. Il existe un incroyable parti pris politique sous-jacent au choix de pousser le débat sur une comparaison entre l’Allemagne etla France. Comme si l’Allemagne était une seule option, une version, non « souillée » par des choix politiques internes. Comme si le gel des salaires outre-Rhin pendant dix ans n’était pas en soi une option politique. Comme si le débat économique et politique démocratique n’existait pas chez nos amis et partenaires.  

Faire porter le débat sur un supposé « modèle allemand » permet de glisser du débat économique vers le débat politique, littéralement « l’air de rien ». C’était déjà le cas dans les années 1980 avec le modèle japonais. Puis avec le modèle anglo-saxon dans les années 1990 et 2000. Organiser cette approche manichéenne de l’économie permet d’esquiver la question centrale de la cohérence d’un modèle, d’une société, d’une dynamique. Sous couvert de comparaison, on prétend s’aligner sur des choix éphémères, réalisés démocratiquement par d’autres, de partage social et de dynamique économique. Bref, on organise de toute pièce une pensée unique, au service d’un seul: celui qui ne souhaite pas que les politiques et économiques appliquées en France depuis cinq ans soit mises en jugement pour elles-mêmes. Le jugement serait sans doute autrement plus sévère. 

Par Karine Berger (L’Express )


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