Nulle part ailleurs les pilotes de ligne n’adoptent un tel comportement. A savoir que leur opposition à de nouvelles dispositions légales, en l’occurrence à propos de l’encadrement du droit de grève, conduise à une réaction extrême, une grève de 4 jours susceptible d’être prolongée ou renouvelée. Un conflit dur qui répond, clame le SNPL, à une «provocation».
Le député UMP Eric Diard a fait voter par l’assemblée nationale, le 25 janvier, une loi qui sera soumise au sénat dans moins de 15 jours. Il s’agit, plus personne ne l’ignore, d’exiger des grévistes, en cas de conflit, de se déclarer 48 heures avant d’arrêter le travail, pour permettre aux compagnies aériennes de s’organiser et, surtout, d’informer leurs clients du sort réservé à leur vol.
La réaction syndicale n’est pas proportionnelle à la supposée provocation : le SNPL a sorti un gros rouleau compresseur pour tenter d’écraser une mouche et, ce faisant, il va droit à l’échec. Aucun voyageur, aucun client d’Air France, aucun représentant de l’opinion publique, ne peut décemment accepter un tel comportement. Lequel fait reculer les limites du corporatisme le plus extrême en même temps qu’il témoigne d’un élémentaire manque de respect pour les passagers aériens.
On donnerait volontiers des circonstances atténuantes au SNPL, plus excessif que jamais, si cette grève marquait l’échec de négociations longues et difficiles. Si les pilotes, pour tenter de faire valoir leur point de vue, avaient pris l’opinion à témoin, exigé un débat public avec Eric Diard, convoqué la presse à plusieurs reprises, etc. Mais il n’en a rien été : une colère froide s’est peu à peu installée dans les locaux du SNPL de Roissy, une attitude vengeresse a bientôt pris corps pour cause de crime de lèse-majesté : un député, un seul, osait défier les pilotes ! Et, crime suprême, voulait les «encadrer» ! La compagnie, pour sa part, retranchée derrière sa bonne foi, manque quelque peu de doigté dans sa manière de gérer le différend, lequel n’est pas tout à fait le sien.
Il se trouve que cet épisode destructeur intervient au moment où Air France se heurte à d’inquiétantes difficultés financières. Ses comptes sont dans le rouge et son nouveau PDG cherche à installer «une transformation sous le signe de la remobilisation, de la reconquête et du renouveau». Visiblement, le SNPL a choisi d’ignorer que la compagnie est débordée par des coûts trop élevés et une concurrence débridée, qu’elle est en grand danger. Les pilotes devraient participer activement à une opération de redressement mais c’est le moment qu’ils ont choisi pour affaiblir davantage l’entreprise.
Quatre jours de grève constituent bien entendu un intermède qui a un prix. Mais dont les conséquences iront bien au-delà de calculs à court terme : la perte de confiance des voyageurs peut les conduire vers la concurrence et ils sont ensuite susceptibles de ne pas revenir. Mais en parle-t-on dans les cockpits ? Ces jours-ci, l’un des hommes forts du SNPL préfère insister sur la puissance de feu d’un mouvement de grève «supérieur à 4 jours», comme s‘il s’agissait de confirmer que les pilotes syndiqués ne font pas partie du commun des mortels.
Quel que soit l’épilogue du conflit, ses conséquences à terme seront importantes. Il s’agit en effet d’un thème de réflexion qui, pour être compris, devrait être analysé par des psychologues et non pas des spécialistes de la vie syndicale. On voudrait que revienne dans le débat, par exemple, l’équipe constituée dans les années 80 par le CNRS et l’Université de Paris I. Des études alors sans précédent avaient montré que le comportement des pilotes de ligne français, jamais analysé comme il l’aurait mérité depuis longtemps, comportait zones d’ombre et incompréhensions. Mais, depuis lors, à notre connaissance, rien de comparable n’a été fait pour tenter de comprendre pourquoi les animateurs du SNPL (quels qu’ils soient, d’une élection à l’autre) n’obéissent pas à une logique accessible à tous.
Le SNPL fait fausse route, comme l’indique le bon sens le plus élémentaire. Et, une fois de plus, les événements conduisent à un regrettable constat de carence.
Pierre Sparaco - AeroMorning