Persécutés dans leur pays, des homosexuels africains se réfugient au Kenya © AFP
Avant qu'un projet de loi contre l'homosexualité n'enflamme l'Ouganda, John et Paul pouvaient se tenir la main dans les rues de Kampala, s'embrasser dans les clubs. Puis le "cauchemar" a commencé, les insultes ont fusé, les coups se sont multipliés, et ils ont dû fuir au Kenya.
Le couple vit depuis mai 2011 à Nairobi. Comme d'autres lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), ils sont arrivés dans cette "jungle urbaine" de près de 4 millions d'habitants, en espérant y rester anonymes, explique le responsable d'un programme prenant en charge ces réfugiés particuliers.
Son organisation, qui s'est occupée de 67 cas de réfugiés LGBT au Kenya en 2011, ne souhaite pas être nommée de peur de mettre en péril ses protégés.
Ils tentent d'échapper à une stricte application de la loi islamique en Somalie, à un climat de violences sexuelles généralisé en République démocratique du Congo ou à une hostilité croissante dans d'autres pays d'Afrique de l'Est.
Certains espèrent pouvoir se réfugier auprès de pays occidentaux leur portant une attention particulière, comme les Etats-Unis: le président Barack Obama a appelé en décembre à mettre la discrimination contre les homosexuels au coeur de la diplomatie américaine.
A Kampala, les gens "ne savaient rien des gays" avant qu'un député ne propose en 2009 de renforcer la loi contre l'homosexualité, passible de la prison à vie, mais pas appliquée. "Des manifestations ont été organisées, on nous a traités d'animaux", raconte John, 26 ans.
Mais le pire est arrivé quand un tabloïd, qui appelait ses lecteurs à "pendre les homosexuels", a publié en octobre 2010 les noms, photos et adresses de plus d'une vingtaine d'entre eux, dont celles du couple.
"Des gens ont commencé à disparaître", assure John, lui-même plusieurs fois tabassé. "Les commerçants ne voulaient plus nous servir. "
Puis Paul s'est fait attaquer. "Je regardais un film quand j'ai entendu beaucoup de bruit", raconte ce robuste jeune homme de 24 ans. Des gens se sont introduits chez moi", armés de "pierres, de bâtons et de machettes".
Son compagnon, qui s'approchait alors de la maison, s'est enfui. "Pour moi il était mort. "
Paul doit sa vie à l'intervention de la police. Qui l'a ensuite emprisonné. "J'ai été abusé physiquement, battu, je saignais de partout", raconte-t-il péniblement. Son ami David Kato, un militant gay, est intervenu pour le faire libérer.
Son logement ravagé, dans l'incapacité de se rendre dans ses trois magasins d'électronique, Paul espérait toujours que la situation s'améliore quand David Kato a été sauvagement assassiné début 2011, suscitant une large condamnation internationale.
Il s'est alors décidé à rejoindre John, parti se cacher à Busia près de frontière kényane.
Leur compatriote Danie n'a, elle, pas été physiquement agressée avant son arrestation, car elle cachait sa singularité.
Transgenre, elle était fonctionnaire dans l'un des principaux lieux de pouvoir du pays et servait, clandestinement, de contact pour des organisations américaine et canadienne de défense des droits LGBT.
Quand ses activités secrètes ont été découvertes, elle a été emprisonnée pendant cinq semaines. "Ils voulaient savoir quel était notre objectif caché, j'ai été accusée d'être un ennemi du gouvernement", raconte-t-elle.
Danie, 31 ans, a été libérée grâce à l'intervention d'un oncle bien placé et s'est enfui au Kenya fin juillet 2011. Selon ses contacts à Kampala, des agents du renseignement ougandais sont partis à sa recherche à Nairobi.
La situation des réfugiés LGBT est particulièrement douloureuse, estime le responsable du programme les protégeant. Pas de retour possible dans leur pays où leur vie reste en danger. Pas non plus d'installation possible au Kenya, qui n'accorde pas de permis de travail aux réfugiés et où l'homosexualité est aussi illégale. La seule solution est souvent le départ vers d'autres pays.
Depuis quelques années, son ONG tente de sensibiliser les organisations humanitaires à leur sort. "C'est un processus très lent, les gens sont très réticents à traiter des cas de réfugiés LGBT en tant que tels", souligne-t-il. "Ils estiment que d'autres priorités sont plus importantes. "