Synopsis : Quelque part en Asie du Sud-Est, au bord d’un fleuve tumultueux, un Européen s’accroche à ses rêves de fortune par amour pour sa fille. Une histoire de passion, de perdition et de folie, adaptée du roman de Joseph Conrad.
Un fleuve qui se déchaîne. Un soleil qui brûle les yeux. Une femme qui perd la tête. Une fille qui chante dans un boui-boui. Un chinois qui rêve sous l’opium. Une chasse à l’enfant dans la jungle. Un éclair ! Un mariage sans amour. Un voile de tristesse. Une gaîté exaltée. Une jeune fille qui marche jusqu’au bout de la nuit. Vous n’aurez pas Nina ! Un soleil noir. Un père crie son amour. Un coin perdu dans le Sud-Est asiatique. Une outcast. Une barque vide qui tremble dans l’orage. Des palmiers frissonnants. Un mort. Des moustiques. Un film tellurique. Une histoire tragique, comme les tragédies antiques qui ne vieillissent jamais. Une histoire vieille comme le monde. Une histoire jeune comme le monde. D’amour et de folie. De rêves impossibles. (extrait du dossier de presse)
Attiré par une telle prise de risque (adapter au cinéma le premier roman de Joseph Conrad, après avoir adapté Proust, avec La Captive) et soucieux de voir comment les longues descriptions de Conrad pourraient se marier au style contemplatif d’Akerman, je suis donc allé voir ce pur objet de cinéma, comme je les aime. En sachant aussi à quel point l’exercice est périlleux…
Ce qui frappe, c’est que La folie Almayer semble autant se référer à des souvenirs de lecture, des reminiscences du texte original, qu’un désir de se démarquer de celui-ci, au moment de l’écriture d’un scénario pour le cinéma. Plus précisément, ce qui a marqué Akerman, c’est l’avant-dernier chapitre du roman de Conrad dans lequel le père est confronté au départ de sa fille, dans la jungle.
La relation père-fille est centrale dans le film, adaptation très libre de ce point de vue là. Une autre liberté prise par rapport au texte original est de noyer le romantisme (profondément) au profit d’une oeuvre minérale. La folie Almayer prend donc la voie d’un cinéma pur, discourant grâce à la puissance de ses images, où les compositions tant sonores que visuelles s’associent et s’entrechoquent parfois, pour faire sens. Expérience sensorielle, La folie Almayer pourrait même trouver le parfait équilibre entre narration et expérimentation si justement la partie “dialoguée” se hissait au niveau du matériau image/son, extraordinaire.
Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, car la cinéaste n’arrive pas à se défaire de l’effet gigantisme et “récit biblique” qu’elle veut à tout prix fuir. Cependant, malgré la maladresse et le manque d’incarnation de certaines parties dialoguées du film (ou un problème d’authenticité dans l’écriture ?), la puissance de sa fibre documentaire est fascinante, hallucinante. Au point de mettre au second plan l’intrigue, aussi sèche soit-elle. La touche tellurique de La folie Almayer agrémentée de tout l’imaginaire Conradien (j’entends par là autant les écrits de l’auteur, Au coeur des ténèbres, en premier lieu) et des flashs mentaux, dont on ne peut se défaire, d’Apocalypse Now ou d’Aguirre, font du film une réussite indéniable.
Chantal Akerman
Même s’il n’atteint pas la qualité des films d’Apichatpong Weerasethakul, le film assez chaotique de Chantal Akerman fait tout de même penser au cinéaste thaïlandais dans ses meilleurs moments. Mais surtout, il n’en demeure pas moins une expérience absolument indispensable pour ces moments de grâce là ! Puisque Chantal Akerman touche (à nouveau) à ce qui doit faire la spécificité du cinéma, par rapport à la bande dessinée, à la série télévisée ou encore à la photographie, assembler un matériau composite pour donner lieu à un souffle sensoriel inédit et revigorant. Et malheureusement en déphasage total avec les attentes du “grand public”.