Ces derniers temps, au prétexte de l'hiver, je n'exposais plus mon petit corps à la froidure. Sans doute avais-je enfin cessé de me détester ou n'avais-je plus nulles fautes à expier. De cette posture nouvelle, j'excluais la faiblesse honnie des matinées sous la couette et la perte de ce que Nabokov, page 156 de "La Vénitienne", nomme " la force physique de l'âme": la volonté, et c'est dans la moiteur du déni que je cédai au tyran de la paresse, ma vigueur et ma sveltesse en contrepartie de miettes sans victoires du repos d'un guerrier pitoyable des pistes. C'était sans compter sur le retour du démon. Déjà trop de matins que je n'étais plus en mode "saut du lit, douche froide, et en route vers de nouvelles aventures!". La dernière femme a calmé ma colère et il y a belle lurette que ma belle luronne, puisant de ma sève la ressource, m’a fait lâcher prise. Chaque nuit ou presque j'entrai dans, le dos de, l'être abandonnant le paraître un sein dans chaque main. Désormais, c’est une connexion lente mais douce, mais lente qui me reconnecte à la vie le matin. Le temps existentiel, où suis-je? Qui suis-je? À quoi bon? Précède le temps physiologique, pipi, popo, tidej, etc, et je suis rarement au bureau avant onze heures. Chalets d'Iraty-Un dimanche-Un matin par moins 18º Iraty, c'est dans les Pyrénées, pas très haut: 1300 mètres, mais ça serre. "Destinée Nous étions tous les deux destinés..." Dans un groupe, faut un boulet et dans le panel des occupants du chalet il y en a un qui se réveille avec radio nostalgie et Guy Marchant, alors nous aussi! Avant que de subir le revenant Cloclo-Alexandriiiie-Alexandraaaa, je suis preum's sous la douche sans commettre de meurtres. Puisque c'est mort pour le ski, ce sera raquette pour tout le monde! J'accroche ces palmes des neiges comme je l'ai vu faire dans "Le dernier trappeur" et j'entame le sentier sous les vannes des potes avec une démarche de pingouin juste à temps pour m’éviter Rika Zaraï en train de bramer dans la cuisine. Au premier lacet, déjà seul dans un monde de couleurs et de silence, je mélange affaiblie par les mélancolies du matin Henri Pourrat et Guy Marchant et certes, "l'hiver est le manteau des pauvres" et "nous étions tous les deux destinés". Sous les fayards, le bonheur et le démon attendaient. De ces deux diaboliques j'avais confié à Lui seul que d'efforts, de sueur et de désirs j’avais la faim: De Madrid au Vignemale, le souvenir des derniers marathons me semblait être des archipels insondables s'éloignant dans le sillage du paquebot de la vie pasquebelle des feux rouges, des places de parking à trouver et des frigos à remplir. Je cours. Bannis, je cours. Étrangers à ceux qui marchent, je cours! Poursuivant ou poursuivis par le bonheur ou le démon, je cours devant ou derrière Arnaud Stalgie. Les raquettes claquent sur mes talons comme un fantôme diurne sans ombres et sans respiration. Les bâtons ralentisseurs sont relégués à l'horizontale sur mes épaules et servent de support à mes bras. Mon ombre est "celle d'une croix". Je cours! Le soleil tire des traits entre les branches pleines à craquer de neige. La poudreuse du chemin crisse et geint sous ma foulée. J'ai rendez-vous avec mon alter ego que je rattrape époumoné et heureux. Je l'aperçois, loin et flou, ce jeune homme quinquagénaire à l'entrée d'une neuve décennie, membre enthousiaste d'un quatuor de vététistes. Je tombe dans les bras de cet ami retrouvé avec des abdos tout neufs et des cuisses en feu. Je revois cet adret, trop pentu pour pédaler dans l'herbe luisante de soleil, et nos vélos d'autrefois sont en travers sur nos épaules comme mes bâtons d'aujourd'hui. Nous gravîmes la pente intrigués par les silhouettes couchées de chevaux foudroyés. Dans un cromlech, comme sacrifiés au culte d'un dieu préhistoriques, des animaux surpris par l'orage ne restaient que les os recouverts de peaux dont les vautours avaient vidée les entrailles. Puis nous avons enfourché les biclous, débranché le cerveau et enquillé la descente retrouvant le monde de la verticalité mais à l'envers. Comme lors de l'escalade, le pédalage est impossible! Une fois les freins lâchés, nous devenons des projectiles, assis sur la roue arrière, le bide sur la selle et les bras tendus vers le guidon du marteau piqueur transmettant les chocs de chaque pierre. Arrivés en bas, étonnés d'être vivants, nous traversons le ruisseau dans une gerbe qui douche nos ardeurs. Et "quand il croit tenir son bonheur, il le broie". Donc, asservie à cette loi, l’image se dissipe et le passé se soumet. En travers du chemin, Le ruisseau toujours là, calme encore ma ferveur, permettant la fusion avec la chaleur du présent et l'humanité du groupe qui se reforme. Malgré "la confusion des sentiments" tiraillé entre le bonheur d'ici et maintenant et le plaisir de là-bas et d'ailleurs, le présent est bel et bien le cadeau. Présent/cadeau, c'est bon?Tout le monde est là? On y retourne!
À la recherche d'un gué, nous traversons sur des cailloux glissants un goulet du ru étranglé par ses propres méandres. Vigilant à la rencontre de cet autre démon, celui du repos qui me voudrait finir devant un canapé rouge dans une lucarne un dimanche après midi.