Du fort au faible

Publié le 05 février 2012 par Egea

Dernière parution dans la RDN, un article sur "La dissuasion du fort au faible", dont je vous avais entretenu. Je vous joins l'éditorial et le programme, avec un gros dossier sur le nucléaire, un autre dossier sur les révoltes arabes, et les tribunes et fiches de lectures. Encore une fois, un numéro passionnant.

L’expression dissuasion du fort au faible a fait florès. Chacun y voit le pendant de la dissuasion du faible au fort qui constitue la base de la doctrine française de dissuasion. Or, l’inversion des mots entraîne un profond changement de logique qu’aucun des auteurs classiques de la dissuasion n’a vraiment décortiqué. À l’heure de la prolifération nucléaire, ne convient-il pas de conceptualiser cette nouvelle configuration stratégique ? L’auteur amorce un débat sur cette question.

Edito

Les accidents stratégiques qui ont scandé l’année 2011 lui conférant ce statut d’année charnière, dix ans après le 11 septembre 2001, vingt ans après la fin de l’URSS en 1991 continuent de peser sur le climat de sécurité et de défense en ce début d’année. Crise économique qui affecte notre marge de manoeuvre budgétaire et bouscule la construction européenne, crise nucléaire qui brouille l’équation technico-énergétique et relance la peur de l’atome militaire, crise arabe qui met en évidence la difficile modernisation du triangle qui régule le politique, le religieux et le social en Afrique du Nord. Nos forces très sollicitées dans les combats multiples des crises de 2011 continuent d’être engagées dans des conditions difficiles en Afghanistan d’où elles seront désengagées progressivement dans les prochains semestres et dans un schéma incertain. Nos structures militaires continuent de s’adapter aux nouveaux formats et aux nouvelles organisations qui requièrent de tous rigueur, créativité administrative et dialogue social. Nos programmes d’armement se développent avec de nouveaux outils dont les performances vont changer la donne sur le terrain.

C’est dans ce contexte effervescent que la France se prépare au rendez-vous politique de la présidentielle. On pourra regretter la modicité des prises de position des acteurs de la scène politique sur les projets et les ambitions de sécurité nationale des prétendants à la fonction suprême, le consensus supposé sur l’essentiel justifiant l’atonie observée. Les déclarations de campagne des uns et des autres en matière de défense ne seront disponibles qu’en avril.

Alors dans ce temps d’attente qui n’est pas celui de la réserve, c’est sans doute le moment de parler de polarité et de transversalité stratégiques, deux axes le long desquels se rangent nos enjeux de sécurité et de défense en ce début de siècle chahuté.

Polarité d’abord, pour rappeler l’importance cruciale pour les militaires de la défense du territoire et de la sécurité de la population ; l’importance cardinale de la construction européenne, choix stratégique majeur du pays, y compris pour sa sécurité et sa défense ; l’importance ravivée de notre voisinage stratégique, au Sud dans le Maghreb et le Sahel, à l’Est dans l’Eurasie et le Caucase. Notre défense, celle de nos concitoyens s’analyse à travers notre voisinage, aujourd’hui comme hier. Là est notre attention, là sont nos partenaires. Le pôle stratégique de l’Atlantique à l’Oural et du Cap Nord au Sahel reste à construire.

Transversalité stratégique aussi, car nos intérêts et nos vulnérabilités ne sont pas que polaires, tant s’en faut. Notre prospérité résulte de la grande transversalité des flux économiques qu’a développés la mondialisation ; c’est elle qui impose ses rythmes et ses conditions à notre modèle industriel, commercial et social. Nos fragilités aussi relèvent de cette diagonale, dans ces nouveaux champs transversaux d’affrontement et de prédation monétaires, financiers, cybernétiques, spatiaux, maritimes et criminels non administrés par une autorité mondiale régulatrice ou gérés par des rapports de force stabilisés. Et là, c’est avec les puissances émergentes qui nous ressemblent ou qui partagent nos visions que nous devrons nous coaliser.

Préambule -

De la crise économique comme rupture stratégique - Nicolas Baverez

Le temps des ruptures a remplacé en 2011 celui des turbulences. L’Europe qui a été mise en échec connaît une crise historique alors que les États-Unis découvrent la puissance relative. Les émergents, loin de réassurer le système économique occidental cherchent à en tirer le meilleur parti. Il en résulte une nouvelle distribution de pouvoirs peu favorable à l’Europe et au Japon. La relation faussée entre pouvoir, société et économie les pénalise. Des pistes existent pourtant pour sortir de l’impasse actuelle ; toutes nécessitent créativité, solidarité et ténacité.

Entretien « Défense » (3) - La défense de la France en 2012 : objectifs, partenaires, moyens ? - Jacques Attali

Entre responsabilité mondiale, autonomie préservée et alliances renforcées, l’auteur expose sa réflexion de défense et de sécurité pour le prochain chef de l’État, chef des armées.

Enjeux nucléaires

Dissuasion du fort au faible - Olivier Kempf

L’expression dissuasion du fort au faible a fait florès. Chacun y voit le pendant de la dissuasion du faible au fort qui constitue la base de la doctrine française de dissuasion. Or, l’inversion des mots entraîne un profond changement de logique qu’aucun des auteurs classiques de la dissuasion n’a vraiment décortiqué. À l’heure de la prolifération nucléaire, ne convient-il pas de conceptualiser cette nouvelle configuration stratégique ? L’auteur amorce un débat sur cette question.

Désarmement nucléaire : prendre la France pour modèle - Philippe Wodka-Gallien

La trajectoire nucléaire militaire française montre un constant pragmatisme et une volonté de préserver à la fois l’efficacité dissuasive de l’arsenal constitué et le rang qu’il confère dans le système stratégique du monde. L’abolition de l’arme préconisée par le Président américain laisserait le champ militaire libre aux superpuissances conventionnelles.

Année 2012 : le monde au bord d’une crise de prolifération nucléaire - Bernard Norlain

Ce plaidoyer engagé pour que la France cesse son dogmatisme nucléaire et prenne la tête d’un mouvement de désarmement nucléaire s’appuie sur l’affirmation de la péremption du concept de dissuasion nucléaire, la crainte d’une prolifération accélérée en 2012 et le coût de possession excessif de l’arsenal nucléaire français.

Pourquoi un État prolifère-t-il ? (le cas de l’Iran) - Matthieu Anquez, Olivier Hubac

C’est en partant des perceptions de sécurité régionale et des enjeux de puissance internationale que l’on peut analyser les comportements de prolifération nucléaire. Cette grille permet de mieux comprendre le cas iranien et de contrer la dimension militaire suspectée de son programme nucléaire.

Le développement durable et le nucléaire, même combat - Maurice Kopecky

En montrant le caractère continu et décisif du réchauffement climatique, l’auteur soutient que l’énergie nucléaire est la réponse appropriée et sans doute unique pour faire face au développement durable et sécurisé de la planète.

Iter ou le bouleversement du monde - Éric Pourcel

Sur une base de fiction énergétique, l’auteur développe trois scénarios liés à la maîtrise de la fusion nucléaire comme mode de production d’énergie électrique capable de prendre la relève progressive des énergies fossiles au XXIe siècle. Cette mise en perspective montre les bouleversements stratégiques que provoquerait celle-ci.

Le Programme Simulation au service de la dissuasion - Jean Rannou

Dans cet exposé précis sur les réalisations, défis et enjeux de la direction des applications militaires du CEA, on peut prendre la mesure du cadre scientifique et diplomatique exigeant dans lequel s’entretiennent les armes nucléaires de la France. La simulation en est devenue le coeur.

Trajectoires nucléaires - Jean Dufourcq

La déconstruction de l’ordre nucléaire stratégique et celle de l’ordre électronucléaire sont en route sous l’effet d’un climat abolitionniste et de graves accidents techniques. Comment leur substituer des systèmes produisant les mêmes effets que ceux qu’offre aujourd’hui encore l’usage de l’atome ? Selon l’auteur, le statu quo s’impose.

Le Printemps arabe

« Printemps arabe » : le Maghreb face au défi sécuritaire - Jawad Kerdoudi

En revenant sur la chronologie de l’année 2011 au Maghreb, l’auteur porte un diagnostic précis sur les évolutions sociopolitiques en cours, évalue les risques sécuritaires et plaide pour une nouvelle intégration maghrébine soutenue par une vraie réforme de la coopération avec l’Europe.

Partis islamiques et questions constitutionnelles dans les « Printemps arabes » - Jean-Philippe Bras

L’arrivée au pouvoir de partis se réclamant d’un islam modéré met les sociétés d’Afrique du Nord au défi de la modernisation politique, économique et sociale. Et c’est la place de la religion musulmane dans l’État moderne qui sert d’indicateur de l’ampleur de la réforme en cours. Examinée finement sous l’angle juridique, elle révèle un jeu politique somme toute assez classique.

Un « Printemps arabe » sur les routes de la soie ? - Daniel Pasquier

Témoins du « Printemps arabe » et soucieux de ne pas subir le sort de leurs homologues d’Afrique du Nord, les chefs d’État centrasiatiques ont promptement réagi, ciblant les réseaux sociaux et leur support. Leur inquiétude est-elle fondée ? Certes, ils connaissent les turpitudes de leurs régimes autocratiques, pauvreté, corruption, répression, qui furent autant de ferments du « Printemps arabe ». Néanmoins, les conditions ne semblent pas réunies en Asie centrale pour que les mêmes maux provoquent les mêmes effets.

Repères - Opinions - Débats

Une vision brésilienne des perspectives stratégiques mondiales - Celso Amorim

C’est en partant d’une approche renouvelée d’une multipolarité qui profite à tous que le ministre de la Défense du Brésil expose les réalités de sécurité régionale de l’Amérique du Sud et de l’atlantique Sud. C’est aussi sur la base d’une déconcentration des pouvoirs internationaux qu’il affirme la part de responsabilités que le Brésil entend assumer en repoussant aux cas extrêmes d’emploi de la force.

Le nucléaire en questions - Eugène Berg

Les questions nucléaires civiles et militaires font aujourd’hui l’objet de nombreuses publications, surtout depuis le tsunami de Fukushima. L’auteur analyse certaines d’entre elles et met en évidence les liens entre nucléaire civil et militaire, les réalités du cycle nucléaire et les questions industrielles qui s’y rattachent avant de conclure sur la question controversée des armes et de leur prolifération potentielle.

Afghanistan : danger de mort ! (2/3) - René Cagnat

Dans cette deuxième livraison, l’auteur expose le piège centre-asiatique qui pourrait se refermer sur les forces de l’Otan du fait de leur dépendance d’approvisionnement logistique. Car une afghanisation générale de l’Asie centrale se développe selon les deux axes de la drogue et du terrorisme qui se sont renforcés mutuellement. La stabilisation de la zone semble compromise.

Plaidoyer pour une politique maritime de la France -

La mer recèle des richesses vitales, notamment dans le contexte actuel de crise économique globale. Concilier l’exploitation des mers avec les enjeux du développement durable impose une réflexion approfondie sur les mécanismes de la gouvernance des mers et sur certains fondements de notre civilisation. La France, pays riverain des trois océans, doit promouvoir une politique maritime globale à l’échelle de l’océan.

Revues - Rapports

  • Défense nationale et forces armées - Améliorer le dialogue social dans les armées - Gilbert Le Bris
  • États-Unis - La New Strategic Guidance 2012 : ou comment décider dans l’incertitude - Guillaume de Rougé
  • Défense en France - Budget 2012 de la Défense - Robert Carmona

Recensions

  • Bernard Fontaine : Les armes à énergie dirigée. Mythe ou réalité ? ; Éditions L’Harmattan, 2011 ; 405 pages. - Philippe Wodka-Gallien
  • Christophe Deschamps et Nicolas Moinet : La boîte à outils de l'intelligence économique ; Dunod, 2011 ; 185 pages. - Olivier Kempf