Après Le terrorisme intellectuel (2000 et 2004), Historiquement correct (2003) et Moralement correct (2007), l'auteur poursuit donc son oeuvre de bousculement des idées reçues, ici dans le domaine historique où le prêt-à-penser domine plus que jamais, quelle que soit l'épreuve des faits.
Jean Sévillia traque cette fois encore les trois péchés de l'historien que sont l'anachronisme, le manichéisme et l'esprit réducteur.
Dans Historiquement correct, il avait remis les faits à l'endroit à propos de la féodalité, des croisades, des cathares et de l'Inquisition médiévale, de l'Espagne des rois catholiques, des guerres de religion, de l'Ancien régime, des Lumières et de la tolérance, de la Révolution et de la Terreur, de la Commune de 1871, des Catholiques et des ouvriers, de l'abolition de l'esclavage, de l'affaire Dreyfus, du pacifisme de l'entre-deux-guerres, du fascisme et de l'antifascisme, de la résistance et de la collaboration, de l'affaire Pie XII, de la décolonisation et de la guerre d'Algérie.
Il faut croire que ces thèmes n'épuisaient pas les sujets où la manipulation de l'histoire s'exerce en succombant à la triple dérive peccamineuse évoquée plus haut.
Cette fois Jean Sévillia traite du Jésus de l'histoire et du Christ de la foi en élargissant encore le contexte qu'un Jean-Christian Petitfils a reconstitué récemment dans son Jésus ici. Il conclut d'ailleurs ce chapitre par ces mots:
"Le Jésus de l'histoire, pour autant que l'histoire soit étudiée sans préjugés, n'entre pas en contradiction avec le Christ de la foi. Mais pour les chrétiens, bien sûr, le Jésus historique n'épuise pas la réalité du Jésus de la foi, dont la pleine dimension échappe au monde des hommes."
Il y a trois ans un livre avait suscité la polémique, Aristote au Mont Saint Michel. Son auteur, Sylvain Gougenheim, avait été littéralement lynché médiatiquement par le ban et l'arrière-ban des idéologues patentés corrects, et accusé d'islamophobie, intimidation massive destinée à faire taire toute voix divergente, parce qu'il avait osé parler du vaste patrimoine grec transmis par les monastères chrétiens depuis l'Antiquité.
Jean Sévillia revient donc sur le sujet de ce livre et pose la question de ce que doit et de ce que ne doit pas l'Occident médiéval aux Arabes, notamment dans cette transmission des textes grecs. Force est de constater, au risque de l'histoire, que la dette occidentale est moindre que celle que voudrait imposer une vision idéologique du passé:
"Il convient de distinguer ce que l'Occident a exploité lui-même, ce qu'il a reçu de Byzance et la part qui a été transmise par les Arabes."
L'affaire Galilée nourrit les fantasmes des anti-chrétiens et se nourrit d'une propagande éloignée des faits et de leur contexte. Le livre d'Aimé Richardt sur La vérité de l'affaire Galilée ici le montrait déjà très bien. Jean Sévillia enfonce le clou. Galilée n'est pas cette victime de l'Inquisition que l'on nous présente à l'envi, ce qui permettrait de dire que religion et science sont incompatibles. Alors que pendant longtemps les seuls scientifiques seront des religieux...
Si les torts sont partagés, Galilée est surtout le bourreau de lui-même parce qu'il n'a pas été capable de démontrer ce qu'il avançait, parce qu'il n'a pas tenu parole, parce qu'il s'est montré fanatique et polémique, enfin parce qu'en se mêlant d'interpréter les Ecritures, ce qui n'était pas son domaine, il s'est mis à dos ses plus fermes soutiens, dont le pape de l'époque qui était son ami, et à qui il doit d'avoir été traité avec une notable indulgence.
La France colonisatrice est-elle coupable ? Il convient de nuancer et de rappeler que la colonisation était un projet républicain, donc de gauche à l'époque, celui de civiliser les races inférieures [le mot race n'avait pas alors la charge sémantique qu'il a acquise à la fin du XXe siècle], selon l'expression de Jules Ferry.
Le fait est que grâce à la médecine française la démographie des colonisés sera soutenue, que l'analphabétisme va reculer fortement, principalement dans les villes, et que les colonies coûteront finalement davantage qu'elles ne rapporteront à la métropole, comme le constatera un Jacques Marseille surpris, au terme d'une étude qui fait date sur le sujet.
Jean Sévillia conclut :
"En France, l'histoire de la colonisation est instrumentalisée, dans un contexte d'échec de l'intégration des populations immigrées, par ceux qui sont confrontés aujourd'hui à l'échec politique, économique et culturel de beaucoup de pays autrefois colonisés. Stigmatiser le passé colonial leur sert d'exécutoire. Cet exécutoire, malheureusement, ne résout rien."
Les six autres thèmes du livre mériteraient une présentation, comme celle que je viens de faire des quatre premiers, mais il ne faut pas lasser le lecteur. Il faut le laisser découvrir par lui-même ce que l'état actuel des connaissances permet d'en dire aujourd'hui en toute probité intellectuelle.
En tout cas l'aperçu que je viens de donner devrait, j'espère, suffire à mettre en appétit et incliner à se procurer et à lire l'ouvrage, qui traite de sujets rendus brûlants par l'idéologie, alors que l'histoire, à condition de ne pas commettre les trois péchés usuels, permet de les aborder avec une certaine sérénité.
Il en est ainsi de l'incompréhension d'aujourd'hui à l'égard de la Grande Guerre, le patriotisme qui avait cours à l'époque ayant disparu avec ces générations-là. Il en est ainsi également de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale au prisme de la Solution finale, de la lutte avérée du Vatican contre Hitler ou des rapports chaotiques entre chrétiens et juifs au cours des siècles.
Sont évidemment d'une grande actualité le thème de l'identité nationale et des identités françaises (le pluriel est de mise ne serait-ce qu'en raison du double héritage de la France charnelle et de la France des Lumières) et le thème de la longue confrontation entre la France et l'islam, entrecoupée d'alliances de circonstances.
L'histoire, quand elle s'affranchit des chaînes idéologiques, permet de comprendre le présent : elle explicite les contextes et précise les évolutions opérées par le temps. Elle ne peut qu'être nuances, comme la vie réelle qui se distingue de la vie rêvée : elle ne divise pas les hommes en deux camps, celui du Mal et celui du Bien. Elle ne généralise pas des faits mineurs et les remet simplement à leur place dans le passé écoulé.
Jean Sévillia, dans ce volume, comme dans le précédent spécifiquement consacré à l'histoire, fait oeuvre de véritable historien. Il le fait de manière savante, exhaustive en un minimum de pages, ce qui leur donne une telle densité qu'il est nécessaire, pour peu que l'on veuille approfondir un thème, de s'y replonger. Un index bien fait permet également d'y retrouver un détail oublié.
Quand la vérité historique est malmenée comme elle l'est trop souvent aujourd'hui, l'incorrection, dont fait preuve Jean Sévillia, est un devoir, qu'il a bien accompli, pour le plus grand bénéfice de ses lecteurs.
Francis Richard
Jean Sévillia a un site : ici
Il parle de son livre avec Jean-Marie Guénois sur KTO le 25.11.2011 :