Un adversaire sans visage ?

Publié le 05 février 2012 par Copeau @Contrepoints

François Hollande ne s’honore pas en ajoutant sa petite phrase sur les « adversaires sans visage » à toutes les théories du complot déjà disponibles sur le marché ô combien florissant des idées stupides.

Par Fabrice Descamps

Dans un morceau de bravoure récemment entendu sur les ondes, M. François Hollande a désigné à la vindicte populaire le coupable idéal de la crise actuelle : les financiers, ces « adversaires sans visage ». Avant d’examiner la question de savoir si la crise actuelle est due à la finance spéculative, je voudrais souligner que M. Hollande ne s’honore pas en ajoutant sa petite phrase à toutes les théories du complot déjà disponibles sur le marché ô combien florissant des idées stupides. Remarquez, c’est assez distrayant car cela nous change du « complot judéo-maçonnique », mais il est vrai que cette formule-là a trop servi et mal vieilli. Dieu qu’il est commode de trouver ainsi des boucs émissaires à tous nos maux, voilà qui nous épargne le long travail de la pensée et de la remise en cause de soi. Et puis ces « adversaires sans visage » ne peuvent être ni vous ni moi puisque nous, nous avons un visage, n’est-ce pas ? Ce sont donc forcément des méchants qui avancent masqués pour commettre leur forfait. J’ai entendu pareillement il y a deux jours à la radio un inspecteur de l’Éducation nationale nous expliquer doctement que la réforme du mode d’évaluation des enseignants revenait à introduire des « idées libérales » dans nos écoles. Fichtre. Si seulement cela pouvait être vrai. Mais que vient faire le pauvre libéralisme, qui décidément a le dos large, dans un système d’évaluation des profs déjà pratiqué dans la plupart des autres pays occidentaux ? Il en va du « libéralisme » comme des « adversaires sans visage », victimes expiatoires d’autant plus commodes qu’on ignore tout et de l’un et des autres. Et je pense que M. Hollande et tous les pourfendeurs du « libéralisme » pourraient aisément remplacer ce terme par « schtroumpf » dans tous leurs beaux discours sans que leur valeur explicative – qui est nulle – en subissent le moindre dommage. Diafoirus voyait dans le fait que l’opium nous fît dormir la preuve de sa « vertu dormitive » ; semblablement, nos braves docteurs modernes voient dans tout dérèglement social la présence d’un « vice libéral » dont ils seraient bien incapables de détailler les propriétés.

Qu’est-ce qu’un spéculateur boursier ? Selon moi, c’est l’équivalent exact d’un charognard dans la nature. Cela ne le rend certes pas sympathique mais utile quand même et puis surtout, ce n’est pas lui qui tue la bête malade : il se contente de la dépecer, car n’oublions pas que c’est la maladie ou la vieillesse qui ont tué l’animal sur le cadavre duquel le vautour se jette. Prenez le cas de la Grèce : bien sûr la spéculation ne lui a pas rendu service, mais enfin, le pays a creusé sa propre tombe tout seul et n’a pas eu besoin des spéculateurs pour cela.

Car à l’inverse de M. Hollande, je tiens à donner un visage et un nom au responsable du bazar actuel : Alan Greenspan. C’est lui qui, oubliant tous les enseignements des théories monétaires, a déversé des dollars bon marché sur l’Amérique et le monde entier soit pour financer les déficits de l’État fédéral soit au moindre signe de ralentissement de l’économie américaine. Contrairement à une idée fort répandue en Europe, les vrais keynésiens ne sont plus sur notre continent mais on en trouve encore abondamment en Amérique du Nord. On est d’ailleurs frappé par la collusion entre Républicains à la George W. Bush et Démocrates à la Obama pour faire marcher la planche à billets. Loin d’être la « bande de crétins » que nos médias présentent, les Tea Partiers sont les premiers à avoir dit « stop » à la folle démagogie budgétaire des deux partis. Hélas, le mouvement des Tea Parties est desservi par ses dérapages ultra-conservateurs et son manque de lucidité fiscale. Mais l’on aimerait bien trouver en France un courant aussi large et populaire pour signifier à nos hommes politiques que leur étatisme délirant se finance à crédit. Les Tea Parties témoignent plus de la maturité politique et du sens des responsabilités de l’Américain moyen que du soi-disant « crétinisme » que l’arrogance française lui prête souvent.

Or pourquoi l’inflation américaine s’est-elle traduite par une bulle immobilière? Eh bien parce que, grâce à la mondialisation, le prix de la plupart des marchandises, soumises à la concurrence internationale, ne subit plus de grosses inflations, sauf évidemment pour les marchandises qui ne bougent pas, ce qui est la définition même des biens immobiliers. C’est pourquoi les liquidités que M. Greenspan a fait pleuvoir sur l’Amérique sont allées se fixer sur l’immobilier, entraînant une bulle spéculative sans précédent. Et les banquiers américains n’auraient pas fait preuve de l’inventivité qui leur a inspiré les subprimes si ces liquidités avaient été moins abondantes. On notera pour corroborer cette constatation que toutes les crises actuelles – de la japonaise dans les années quatre-vingt-dix jusqu’à l’espagnole – démarrent aujourd’hui par l’éclatement de bulles immobilières. Le cas espagnol est intéressant car il ne s’est pas accompagné d’une inflation préalable des salaires comme dans l’exemple irlandais. On peut donc conjecturer que l’afflux excessif de liquidités fut au départ exogène et dû aux achats immobiliers des étrangers en Espagne puis a été relayé par la création de monnaie d’instituts bancaires trop laxistes. Mais cela reste à démontrer.

On le voit ainsi : la crise actuelle n’a rien à voir avec celle de 1929 et ne peut être guérie par des méthodes keynésiennes – celles habituelles de M. Hollande – qui ne feront qu’aggraver le mal. C’est une crise des finances publiques et il est donc logique que la défiance des marchés s’exerce maintenant contre les dettes souveraines. Ni les spéculateurs ni le libéralisme n’y sont pour rien – sauf dans le domaine des règles prudentielles bancaires dont l’assouplissement a accéléré la crise.

À l’inverse, l’excessive austérité que nous imposent actuellement les Allemands – sans se l’imposer à eux-mêmes – risque de nous enfermer dans un cercle vicieux à la grecque où les tours de vis fiscaux font chuter les recettes de l’État, l’empêchant de rembourser ses dettes et l’obligeant à donner un tour de vis supplémentaire et ainsi de suite. Car avec les Allemands, c’est « fais ce que je dis et pas ce que je fais ». Leur propre « austérité » repose beaucoup plus sur un encadrement global des dépenses de l’État et des collectivités voulu au début des années 2000 par le chancelier Schröder et sur des « stabilisateurs automatiques » qui jouent à plein grâce à des taux de prélèvement prévisibles et constants : en période d’expansion, ils permettent de remplir les caisses et en période de récession, ils entraînent un léger déficit que les chanceliers laissent filer tout en l’atténuant avec les excédents de la période grasse précédente. S’il faut imiter les Allemands, comme nous y invite un président Sarkozy aux abois, c’est au moins dans ce domaine-là.

La solution raisonnable serait alors celle proposée par de nombreux économistes libéraux pour tenir compte à la fois des demandes françaises et des mises en garde allemandes : chaque État européen se doterait d’une « règle d’or » sanctionnée par la loi, puis les dettes des États seraient mutualisées par des Eurobonds à concurrence de 60% du PIB avec la BCE comme prêteur en dernier ressort et donc faculté de seigneuriage sur cette partie de la dette mais ces mêmes dettes resteraient nationales et uniquement nationales au-delà des 60%, c’est-à-dire avec possibilité d’un défaut de paiement des États qui s’aventureraient imprudemment au-delà de cette limite. Ce mécanisme permettrait à la fois de stopper la défiance des marchés vis-à-vis de l’Euro, conformément aux vœux de M. Sarkozy, sans encourager les États à faire n’importe quoi sous le parapluie des Eurobonds, conformément à ceux de Mme Merkel.

Faute d’avoir été assez courageux – il l’a quand même été plus que tous ses prédécesseurs réunis – , M. Sarkozy a été un mauvais président et, faute de faire le bon diagnostic sur la crise actuelle, M. Hollande sera un président pire encore.

L’ultime tentative de M. Sarkozy pour sauver la France du marasme, l’augmentation de la TVA, est pathétique. Pathétique d’abord parce que prise dans la plus grande précipitation et sans débat approfondi, en conséquence de quoi elle trahit la panique qui règne à l’Élysée. Pathétique ensuite parce qu’elle ne dit pas ses intentions réelles : son but n’est pas de rétablir une concurrence salariale plus loyale avec nos concurrents commerciaux, dont l’Allemagne, puisque les coûts salariaux en France sont à peine plus élevés qu’outre-Rhin et que, dans les produits à forte valeur ajoutée qui font la richesse de nos puissants voisins, le coût de la main-d’œuvre dans le coût total des produits est peu significatif. Ce n’est donc pas cela qui explique l’insolente vitalité de l’économie allemande. En l’absence de toute possibilité de dévaluer le franc depuis l’arrivée de l’euro, il s’agit ni plus ni moins et sans le dire de faire ce que faisait les dévaluations : comprimer le revenu nominal des ménages français pour le ramener à un rapport à celui de nos voisins égal à celui de notre PIB par habitant [1] au leur, ce qui est une façon radicale de rétablir la compétitivité de la France. Mais je reconnais que c’est difficile à avouer à 20h00 sur TF1.

Reste le problème central dont tout étudiant d’économie en première année de licence a entendu parler : I = S + T – G , avec I l’investissement, S l’épargne des ménages, T le produit des taxes et impôts et G les dépenses de l’État et des collectivités territoriales [2]. Ce qui anémie en effet notre pays, c’est la faiblesse de son investissement et donc de ses gains de productivité car les déficits récurrents de l’État et des territoires y drainent une partie trop importante de l’épargne des ménages au détriment de l’investissement productif et de la recherche appliquée dans les entreprises. Voilà l’origine de l’appauvrissement relatif de notre pays par rapport à ses voisins. Évidemment, vous pourrez trouver ma vision trop proche des théories dites supply side.

Or quelle est la source de tout progrès et enrichissement ? Le gain de productivité bien évidemment. Comment résoudre le chômage, M. Hollande ? Par la croissance qui naîtra des gains de productivité. Et comment pourrons-nous préserver notre environnement, Mme Joly ? Grâce aux gains de productivité. Alors au travail. La France le vaut bien.

—-
Sur le web

Notes :

[1] En parité de pouvoir d’achat (PPP).

[2] Bien entendu, je suis conscient que de nombreuses dépenses de l’État sont productives, comme par exemple l’éducation, la recherche fondamentale, la santé ou les infrastructures de transport (à condition évidemment que les services publics soient efficaces : l’Éducation nationale par exemple ne fait pas correctement son travail en ce moment et ce n’est pas une question de budget). Mais les déficits des comptes sociaux financés à crédit sont inacceptables car ils se font au détriment des dépenses qui assureront la prospérité de nos enfants. Nous devons avoir le courage de faire des choix, par exemple celui de dépenser moins d’argent pour notre système de santé et plus pour la recherche en pariant que les découvertes de cette recherche abaisseront les coûts des soins médicaux dans le futur.