Je lis sur Yahoo que Claude Guéant à provoqué une polémique en affirmant notamment ceci : "Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas".Harlem Désir et d'autres qualifient ces propos de "racisme culturel", paraît-il. Ce serait une "tentative d'infériorisation de l'Autre".
Or, Guéant a raison de dire que son discours est républicain. Donc, être républicain aujourd'hui, c'est être raciste. Comment a-t-on pu en arriver là ? Prenez un discours parmi les plus célèbres de ceux commis par les grandes figures de la laïcité. Prononcez-le en votre nom aujourd'hui, et vous vous ferrez traiter de nazi par le MRAP et compagnie. Incroyable, mais vrai. Les soi-disant militants antiracistes emploient un argument du même type que ci-dessus - une comparaison en vue de formuler un argument ad personam - mais en sens inverse. "Vous aimez les chiens ? Mais Hitler aimait les chiens ! Vous êtes donc bien un nazi !"
De plus, le raisonnement du Ministre se tient ; alors que la position relativiste se réfute elle-même.
En effet, dire que "toutes les cultures se valent", c'est dire que "toutes les opinions se valent". Mais, si toutes les opinions se valent, alors l'opinion selon laquelle "toutes les opinions se valent" a la même valeur de vérité que celle selon quoi "toutes les opinions ne se valent pas". Je suis peut-être un rationaliste butté, mais cela me semble limpide. Pas vous ?
De plus, les relativistes apparaissent d'abord comme des défenseurs de la tolérance et de la justice, c'est vrai. Mais, à y regarder de plus près, j'ai quelques doutes. Je ne pense pas ici à un procès d'intention, mais à de simples raisonnements sur les implications du relativisme. En effet, si "toutes les cultures se valent", alors que reste t-il aux millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent (et meurent) sous l'oppression ? "Vous êtes vendu comme esclave après avoir été capturé au Sud-Soudan ? Certes, c'est bien triste. Mais au nom de quoi vous révolterez-vous ? Toutes les cultures se valent ! L'esclavagisme est une vision du monde comme une autre. Si vous soutenez le contraire, c'est du racisme culturel contre les esclavagistes ! Je vais le dire au MRAP !" On voit combien il est facile de retourner l'argument relativiste pour justifier l'injustifiable, pour dire qu'une tyrannie (économique, militaire, religieuse) n'est, finalement, qu'une "culture" parmi d'autres. De même, il faudrait alors tolérer même les intolérants, ce qui conduirait à la destruction des sociétés tolérantes... Et il en va de même - sur un autre plan - des non-dualistes qui affirment que "tous les concepts sont faux" sans se rendre compte de ce qu'ils disent, peut-être (?) parce qu'ils ne font que répéter sans réfléchir.
Bref, si "toutes les cultures se valent", il n'y a plus de vérité. S'il n'y a plus de vrai, il n'y a plus de faux, donc plus d'affirmation "toutes les opinions se valent" qui tiennent ; et surtout, plus de mal, plus d'injustice, plus d'inégalités, plus rien, à vrai (!) dire. Si bien que, comme dirait Abhinavagupta, "l'humanité périrait sans même un cri"...
De plus, les relativistes sont relativistes dans leurs discours, mais souvent absolutistes en pratique. Comme, par exemple, un supermarché qui vous berce de slogans sur "A chacun sa vérité", "Parce que vous êtes uniques", etc. et qui en fait n'emploie ces argument relativistes que pour faire du profit, ce qui reste sa référence absolue. De même, certains adeptes des religions invoquent le relativisme quand ça les arrange - "La Genèse, c'est comme la physique quantique !". Et il en va de même en politique. Le relativisme "de gauche" est souvent basé sur un absolutisme caché : l'Histoire, les lois sociales, le conditionnement linguistique, la lutte des classes, voire une référence camouflée à une certaine idée de la nature humaine.
Donc, plutôt que d'avoir des valeurs sans avouer lesquelles, je pense qu'il est préférable de s'interroger ouvertement sur le choix des valeurs.
Ne pas discriminer, c'est encore discriminer.Ne pas juger, c'est encore juger.Ne pas hiérarchiser, c'est encore hiérarchiser.Ne pas conceptualiser, c'est encore conceptualiser.Ne pas choisir, c'est encore choisir. Donc, discriminons, jugeons, hiérarchisons, conceptualisons, choisissons bien, et honnêtement.
Il y a une vérité. Et plusieurs conceptions d'icelle. Mais il y a bien une vérité. Affirmer le contraire est ruineux, et lâche.
Cela n'implique pas que je suis d'accord avec Claude Guéant.
Pour commencer, je ne crois pas que le relativisme soit "de gauche". C'est un cliché répandu, mais inexact. En effet, ce relativisme est un ingrédient indispensable au consumérisme, et donc au libéralisme économique. "A chacun son opinion" : entendez "pas de valeurs", de normes, de références. C'est-à-dire des références qui changent sans cesse, des repères qui n'en sont pas. Des "ventes flash", de la "flexibilité", une règle de Lesbos en pleine canicule, en somme. Voilà, aussi, ce que permet le relativisme. Une politique de la déréglementation serait-elle possible sans les arguments relativistes ? Je ne le crois pas. Le libéralisme économique repose sur le relativisme. Du reste, Adam Smith n'était-il pas l'ami de David Hume, champion du pragmatisme anglo-saxon ? Il y a un lien logique, nécessaire, entre relativisme, libéralisme économique et consumérisme. "L'homme sans qualité" - sans vérité. La "cible" parfaite. Pas de nature propre - une croissance, une accumulation pendant des éons incalculables !
C'est pourquoi je crois aussi que la Droite ne pourra pas lutter contre les poussées religieuses qui menacent les libertés. Le multiculturalisme - branche du relativisme - est, lui aussi, indispensable au consumérisme, à la bonne marche des affaires. Voyez l'exemple anglais.
Et puis, que l'on ne vienne pas me dire que Guéant tient ces propos uniquement par conviction. Il y a bien sûr de l'opportunisme - rallier les électeurs des Droites extrêmes. Mais cela n'enlève rien à la validité de ce qu'il dit.
Enfin, je précise que je ne voterais pas pour notre cher Président. Mon poste a été supprimé voici trois ans, au début de son mandat. Il n'a depuis cessé d'être remis en question chaque année. Et en fin de mandat, voici que j'apprends que mon poste est de nouveau supprimé ! Des "postes fixes", notez bien. Flexibilité, déréglementation : relativisme. Et puis, il y a le Collège International de Philosophie. Il faut tout de même que j'en dise un mot. Fondé en 1983, il avait notamment pour vocation de permettre à des professeurs de philosophie du second degré de mener une recherche. Il y avait donc des décharges de service à mi-temps. En 2009, notre cher Président supprime tout cela (y compris les milliers de décharges pour des associations qui travaillaient à l'alphabétisation, à l'animation d'activités sportives, etc.), pour le remplacer par quelques détachements - un an ou deux seulement, et vous perdiez votre poste. Et puis, l'an dernier, après une procédure de sélection au sein du Collège et par des intervenants extérieurs, le Ministère (de l'Education) n'a pas daigné donner suite. Ou plutôt, on nous a promis une réponse avant le 20 juillet 2011. Nous attendons toujours... N'est-ce pas un peu beaucoup ? Certes, ce sont là des motifs personnels (mais qui touchent beaucoup de personnes, tout de même) ; quoi qu'il en soit je ne voterais pas pour Sarkozy.
Malgré ce contexte, les propos cités du Ministre me paraissent partiellement vrais, et ceux qui les qualifient de racistes jouent à un jeu dangereux.