A propos de Sur la planche de Leila Kilani 4 out of 5 stars
Soufia Issami
A Tanger, Badia, une jeune ouvrière de 20 ans, travaille avec sa copine Imane dans une usine de crevettes. Un soir, elles font la rencontre de deux autres filles de leur âge qui travaillent dans la zone franche et une usine de textile. Toutes les quatre deviennent amies et écument les soirées à Tanger jusqu’au vertige et à perdre haleine. La nuit devient propice aux larcins qu’elles commettent chez des hommes chez qui elles s’invitent. Une spécialité qui pourrait leur coûter cher…
Sur la planche est sans doute le meilleur film de la semaine. D’abord parce qu’il est interprété par une actrice prodigieuse, Soufia Issami (Badia), découverte lors d’un casting effectué sur plusieurs centaines de jeunes filles de Tanger.
Omniprésente, Issami capte l’attention du spectateur de bout en bout dans la manière extrêmement charnelle dont elle incarne un personnage à la fois amer et empli d’une soif de revanche (sur la société) qui confine à la rage.
La mise en scène tendue, souvent caméra à l’épaule, renvoie à l’ambiance qui règne à Tanger. L’emplacement et la connotation géo-politiques de la ville marocaine n’échapperont à personne, fruit de tout sauf du hasard. La « zone » franche dans laquelle travaillent les deux nouvelles copines de Badia traduit à elle seule le cloisonnement de la ville et la difficulté à y circuler comme on veut.
Farouche (on dirait « brut de fonderie » en langage parlé), d’une âpreté voire d’une rudesse qui confinent au bestial, Badia est un personnage aussi mutique que fascinant. La jeune femme, qui vit seule dans la chambre d’un immeuble délabré et sonore, rêve de fuir Tanger pour partir vivre à Casablanca.
Elle vit à la fois dans la réalité la plus prosaïque, la plus terre à terre qui soit (l’usine) et une bulle d’air poétique qu’elle s’est créée (voir la bande annonce) et qui est un échappatoire ou plutôt une manière d’exorciser les démons de sa solitude, de son isolement.
Elle parle vite, avec un langage imagé, tout en métaphores et que ses copines d’ailleurs ne comprennent pas. A tort, Sur la planche a été qualifié péjorativement par une certaine presse de film « social ». Cette catégorisation ne veut rien dire. Simplement, c’est dans une matière (ou plutôt un matériau) sociale que la réalisatrice et son scénariste, Hafed Benotman (issu du polar) ont su puiser et créer des dialogues dont la poésie traduit bien le rythme frénétique et la tension permanente qui règnent à Tanger, carrefour entre l’Afrique et l’Europe.
Badia symbolise la tragédie d’une classe sociale dans l’impossibilité d’échapper à sa condition. Condamnée à rester pauvre et à subir les rythmes harassants d’une usine préoccupée de remplir ses « quotas » mais qui n’y arrive jamais.
Badia, comme elle dit, ne veut pas rester une « fille crevette », mais a-t-elle seulement le choix et un quelconque moyen de s’enfuir ? Le film s’inspire d’un fait divers que la réalisatrice avait lu dans les journaux, sur la féminisation des gangs à Tanger. Un groupe de filles y avait été arrêté pour un meurtre il y a quelques années.
Dans Sur la planche, on regrettera finalement les faiblesses d’un scénario un peu prévisible. La chute est décevante et manque de tension par rapport au reste du film. Mais les dialogues et le jeu de son actrice principale valent à eux seuls tout l’or du monde…
http://www.youtube.com/watch?v=uFSRZMNojqI
Film franco-marocain de Leïla Kilani avec Soufia Hissami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel, Sara Betioui (01 h 46.)
Scénario de Leila Kilani et Hafed Benotman : 2 out of 5 stars
Mise en scène : 3 out of 5 stars
Acteurs : 4 out of 5 stars
Dialogues : 5 out of 5 stars