Je vous ai souvent parlé de Jordy, de son site et de ses photos dans notre tour des blogs hebdomadaire. Jordy alias Meow est un photographe haikyo (廃墟, ruines en Japonais) qui vit et travaille à Tokyo. Dans cette interview, il vous décrit son parcours, sa vie sur Tokyo et sa passion pour la photographie des lieux abandonnés : découvrez sa vie Nippone.
Salut Jordy et merci d’avoir accepté cette interview.
Je t’ai déjà introduit brièvement mais peux-tu nous en dire plus sur ton parcours France/Chine/Japon ?
J’ai eu la chance de pouvoir faire un échange universitaire avec une université en Chine, à Dalian, en 2005. Ce fut une occasion extraordinaire pour moi de découvrir réellement un nouveau monde, duquel je suis tombé éperdument amoureux. Je me rappelle avoir, tous les matins en me levant, la même pensée : « Suis-je en train de rêver ? ». Bien sûr ça aide d’être un blanc dans un pays asiatique, on passe moins inaperçu, on suscite l’intérêt. Ce n’est pas pour autant que ça aide pour de véritables relations sociales cela dit ! Mais c’est une impression qui rajoute beaucoup de magie au début. Et la Chine était ma première expérience. Bien sûr, il y a aussi les voyages… j’ai eu la belle vie pendant cette année universitaire !
Je suis ensuite revenu à Paris (pas le choix), où j’ai eu du mal à me ré-acclimater. Toute la magie avait disparue, moins d’endroits « exotiques » à visiter, les potes de tous les jours, et… mon premier boulot. Je ne voyais pas l’intérêt de tout le package, si j’avais eu une année extraordinaire, je pourrais m’en refaire une, d’une façon ou d’une autre non ? J’aurais pu tout quitter, mais c’était difficile (j’étais quand même assez confortablement installé), donc la seule solution simple était de trouver un VIE (Volontariat International à l’Etranger). Un an plus tard, je dégottais deux contrats, et j’avais le choix entre Singapour et Tokyo. Bien sûr j’ai choisi Tokyo, et un peu avant la fin de mon contrat VIE j’ai switché sur une nouvelle position dans une compagnie Japonaise.
Qu’est-ce qui t’as décidé à rester au Japon et plus particulièrement Tokyo ? Ton amour pour l’urbain ?
En réalité, je n’ai pas trop le choix. J’ai un bon boulot, une bonne position, une vie agréable, je ne saurai pas où bouger et trouver mieux que ce que j’ai maintenant. C’est quelque chose à laquelle je réfléchi cela dit, très activement, car mon rêve n’a jamais été le Japon, ni les zones urbaines. J’aime l’exotisme, les plages de sable fin, les cocotiers, et j’aimerais travailler dehors au soleil. Je sais, ça va être très difficile de trouver ça. Alternativement, j’adorerais passer une année dans une autre ville Japonaise un peu plus petite. Tokyo c’est un peu le centre de production, avec des gens stressés qui n’ont pas trop le temps. J’adore la ville elle-même, mais le tempérament est complètement différent du mien (je suis originaire d’Arcachon, ce qui explique tout ceci, un parisien aurait un avis contraire peut-être ?).
Dreamland : un parc abandonné près de Nara – Photo par Jordy
Tu travailles donc sur Tokyo dans le domaine de l’informatique. Peux-tu nous dire comment est la vie dans une entreprise Japonaise ?
Ma vie personnelle en entreprise est vraiment au top. Je contrôle mes horaires et mes projets, je suis assez libre, j’ai pas mal de vacances. C’est un beau package dans une compagnie financière qui en plus ne s’écroule pas comme toutes les autres. Les Japonais qui m’entourent sont également très sympas, la plupart ont une mentalité très occidentale et ont pour la plupart étudié à l’étranger. Je pense donc que mon cas est un peu à part car travailler dans une compagnie Japonaise c’est plutôt généralement la souffrance ! Il vaut mieux travailler dans une boîte étrangère en général, cela dit j’adorerai travailler pour une toute petite startup Japonaise, décorée à coup de Totoros et de Pikachus, ça serait énorme. Mais la réalité est généralement très éloignée de cette vision là, même si je sais qu’elle existe ici, quelque part…
Assez parlé de travail, on l’a vu, tu aimes tout ce qui est urbain et tu es donc un photographe urbex. Qu’est-ce que c’est et d’où t’est venue cette passion ?
Je n’aime pas trop le terme Urban Exploration, car ce n’est pas toujours « urbain ». Mes lieux favoris sont les petites écoles de campagnes et les hôpitaux (en bois), entouré de végétation, et si possible loin de toute ville moderne, plutôt dans la montagne
À l’origine, j’étais tombé il y a 3-4 ans sur des photos d’un parc d’attraction abandonné au Japon : il se trouvait au milieu de la forêt, complètement recouvert de mousse. Pour moi c’était incroyable et un truc à voir absolument ! Mais c’est il y a seulement 2 ans que j’ai commencé : c’était complètement en synchro avec l’achat de mon premier DSLR (j’ai toujours le même d’ailleurs), et il me fallait un sujet. Pourquoi ne pas aller voir ce parc d’attraction là alors ? Et là j’ai découvert le monde des haikyo, avec ces gens un peu bizarres, les lieux détruits, protégés, secrets, etc…Pour combler cette passion (et tes lecteurs) tu prends souvent des risques en t’introduisant sur des sites interdits au public et surveillés. Qu’elle a été ton aventure la plus périlleuse ?
C’est en fait la dernière en date sur mon site, le site militaire de Fuchu. Complètement entouré de barbelés, des gardiens, des gens qui habitent partout autour et qui surveillent… Je m’y suis rendu plusieurs fois pour en faire le tour, mais jamais je n’avais osé le faire. Ce n’est qu’il y a quelques jours que j’y suis finalement allé, en fait quasiment forcé par ma copine (qui n’a réellement peur de rien) ! On est tombé sur un gardien, que l’on a dû évité et essayé de fuir. Expérience très sympa. Bien sûr, l’expérience d’aller à Gunkanjima a été la plus intéressante et la plus intense, mais pour d’autres raisons. Je n’avais pas peur d’être pris sur cette île abandonnée, mais c’était périlleux dans le sens où je n’avais qu’une heure pour prendre des photos d’une île pleine de bâtiments en ruine, au sol dangereux, et l’endroit est tout simplement démesuré et incroyable ! Une avalanche d’émotions.
Base militaire abandonnée de Fuchu – Photo par Jordy
L’urbex au Japon c’est comment ?
À la différence de l’urbex dans le monde, je dirai qu’ici, en général, c’est plus romantique ou bien… glauque. Le côté romantique c’est tous ces vieux endroits en bois, qui sentent vraiment fort le passé et l’histoire, et souvent trouvé dans le recoin d’une montagne, loin de tout. Souvent on y trouve des artéfacts, de vieilles photos, des histoires, beaucoup de traces du passé. Le côté glauque, c’est justement ces choses que l’on trouve, parfois choquantes. Beaucoup de sexe, des photos étranges, des cordes pendues aux plafonds, des organes dans des jars, etc… C’est ce que j’adore dans l’urbex au Japon, c’est plein de surprises ! Et pas simplement des photos d’escalier ou du fisheye à tout va dans des usines qui n’ont même pas l’air abandonné. C’est ce que l’on trouve toujours un peu trop dans l’urbex occidental et qui me fatigue un peu :p En même temps, c’est sûrement ça le véritable « urbex », alors que ce que je fais ici, c’est plutôt du « haikyo ». J’apprécie les deux, et avec un peu d’infiltration c’est encore mieux
Aurais-tu un conseil à donner à ceux qui veulent se lancer dans l’urbex ?
En France, Belgique ou ailleurs, il faut y aller avec des gens qui en font déjà. Suivre un peu, et ensuite essayer de découvrir un peu plus par soi-même. Au Japon, c’est un peu plus difficile, mais je conseillerai étrangement d’aller se balader dans des villes / villages un peu éloignés, histoire de trouver de nouveaux lieux abandonnés (pas très difficile si on est motivé). Ensuite d’en parler et de les partager avec des gens qui font du haikyo. C’est un moyen de rentrer dans le cercle de confiance et d’ensuite en découvrir plus. Ensuite un autre conseil, c’est bien sûr de faire attention, c’est un hobby parfois dangereux, mais ça on s’en rends compte très vite.
La vie au Japon c’est pour toujours ?
Clairement non, un jour je serai de retour en France. C’est là où mes meilleurs amis sont et aussi ma famille. C’est là où tous les jours je peux me sentir entouré et paisible. J’adore Arcachon et ses environs, et surtout la forêt. On a un pays magnifique plein de potentiel, je ne compte pas le délaisser pour toujours ! Au Japon, on ne sait jamais ce qui va se passer avec les tremblements de terre, c’est guère rassurant, et je ne pense pas que ça soit le bon pays pour vieillir pour un occidental. Mais avant un retour en France, je compte vivre bien de nouvelles aventures, donc comme je disais j’y réfléchis toujours, mais ça sera exotique, c’est certain
Pour l’instant je reste au Japon, j’adore ce pays et tout simplement… c’est chez moi.Quelque chose à rajouter ?
Merci beaucoup pour ton interview et ton intérêt pour mes photos, c’est vraiment motivant d’avoir des gens qui suivent
Sans oublier : tu es le bienvenu ici !Merci beaucoup de m’avoir prêté de ton temps. Je te dis à très bientôt !