Son nom en forme d'ovni et en accord avec son administration/(des)organisation toutes ovni itou !Vous ne savez pas ce que c'est ? Rassurez vous car après avoir passé plus de 3h30 au sein de la Drivers and Vehicle Licence Authority, je n'ai pas tout compris...
Il faut que je vous avoue que je conduisais au Ghana sans aucun document ghanéen officiel. En même temps, toutes les barrières de police du coin me connaissent et donc ne m'arrêtes plus. Je repoussais sans cesse le moment d'obtenir le permis ghanéen. Non pour la difficulté de l'épreuve de permis de conduire mais bien celle de l'administration.
Et au D.V.L.A la démonstration fut magistrale, on n'aurait pu cauchemarder mieux....
Vous souvenez vous de cet album délectable de Goscinny ? Avec deux répliques qui sont cultes pour moi :
et oui... il ne faut jamais parler sèchement à un Numide
Sonnez l'alerte ! C'est une guerre servile !!!Ah ben dis donc, ils ne sont guère serviles !
Deux extraits qui vont se révéler particulièrement adapté dans ce qui suit...
Forte d'un détermination nouvelle et inspirée par une nouvelle voiture récemment acquise (une bonne dose d'autonomie, persillée de liberté, le tout enrobé dans un petit engin confortable), je décidais de me rendre au DVLA de Takoradi.
Inspiration....
Avant de partir, je pris soin de me munir d'une ribambelle de photo d'identité, l'administration en est si friande ici... mais pas que...Je pris aussi mon permis français, sa traduction certifiée en anglais, mon passeport contenant mon permis de résidence.Chek list : ok
Après avoir dépassé le goudron de Takoradi, direction Kokompé, le royaume de la bagnole et des ferrailleurs du coin. On y trouve de tout, c'est la caverne d’Ali baba revue et corrigée « toutenmétal ».
Y a de la vie et du bruit, ça bruisse, ça gronde, ça soude et tape. La route pour y arriver n'est pas en reste, goudron cassé, piste défoncée. Comme si elle disait « Allez ! Abimez bien vos voitures sur la route qui vous (ra)mène de chez les réparateurs et fournisseurs. Et, revenez vite ! ».
J'arrive au D.V.L.A. Accueillie par une policière en tenue, on ne mégote pas sur la sécurité au D.V.L.A, qui m'intime « Wait » « Attend », je m'exécute tant j'avais décidée de rester calme et cordiale, impassible...Je me lance de ces défis des fois !
Son « wait » asséné n'était que de pure forme, histoire de montrer le petit bout d'autorité qu'elle détenait (un standing show en quelque sorte, non en fait un sitting show puisque la brave dame en bleu et képi était évidemment vautrée sur un fauteuil, je l'écris à toutes fins utiles pour en informer les fidèles lecteur de ce blog et éventuellement planter le décor pour ceux qui n'ont pas encore eu la chance de découvrir le continent africain).
Puisque qu'aussitôt et sans que personne ne soit sorti ou entré dans le bureau, elle me fait signe d'entrer. Son wait était donc bien du registre « T'a vu, j'ai le pouvoir ».
Room n°1 : climatisée, une tv allumée (comme dans quasi toutes les rooms qui vont suivre... à une rare exception... mais ne vous inquiétez pas, on changera de programme...), une pimpante assistante casée au chausse pied entre une pile de dossier, un frigo et sous la tv. Elle avait la tête sans arrêt baissée, va se faire une scoliose d'origine télévisuelle la p'tite dame. En face, l'archétype du fonctionnaire africain qui à réussi. Large, massif tant il a incorporé son statut et sa fonction, une voix grave et puissante très raccord avec tout le reste.
A mon avis, largement exercée lors des bisness-raouts des églises, ptêt même bien qu'il est pasteur à ses heures, histoire d'arrondir -grassement – les fins de mois mais je m'égare.. quoi que....
Je venais d'arriver dans le bureau du chef.. Et on ne m'avait rien dit !
De sa voix de stentor, après un rapide bonjour, faut pas perdre de temps dans ce genre de formalité parfois, il me demande mes papiers. Toujours paisible et calme, je lui tend mon permis, sa traduction et … vous connaissez la suite... Sans aménité, il me regarde longuement et me crache un truc : « Montrez moi le panneau interdiction de s'arrêter »...Euh...C'était le passage de l'épreuve, je n'étais pas préparée... et en plus, je ne connais pas ce panneau !Olivier, présent avec moi, me souffle le résultat.
J'entends (et ressens) le bureau vibrer : « il faut que ton mari t'aide ? » bien macho le pépére... Je lui réponds (toujours en souriant, bon là, il fallu tirer un peu...) : « tu crois que les femmes ont toujours besoin de leur mari ? »... Petits tressautements d'épaule, un large sourire éclot sur son visage... Bon sang mais... il rit ?
Toujours aussi efficace dans les prolégomènes comme dans les conclusions, il me lance « go and come ! » « va et reviens »... Ah... car je vais avoir la chance de vous revoir à nouveau... Puis il reprend « go to room 3 ». Euh alors après room 1 je vais room 3, je ne repasse pas par la case départ et ne reçoit pas 20 000 euros... Admettons..Vous n'oubliez pas que j'avais pris la résolution d'être d'huile, un lac de paisibilité, un océan de tranquillité débonnaire...Je lui sort un « bye, see you soon » « salut, à plus tard » ou plus exactement « à vous revoir bientôt » puisque c'est le programme qu'il m'a annoncé..
J'arrive au bout du couloir room 3. Changement de décor, point de climatisation ni d'assistante ratatinée sous la tv mais un pc (même pas branché sur facebook, le sport national ici – petite anecdote, j'ai emmené dernièrement une guest se faire examiner à la clinique d'Akwidaa et bien, la jeune femme est ressortie avec des antibio et une adresse facebook ! ).
Un ventilo s'époumonant sous tout le plafond (et oui, la pièce était si petite qu'un ventilo avec des pales de 60 cm arrivait à en couvrir presque toute la superficie), un fonctionnaire qui paraissait, malgré son harassement visible, assez efficace (je commence à avoir l'œil et le ressenti nécessaires pour repérer ce genre de truc).
« Give me your paper » « donnes moi tes papiers ». Je lui donne, il sort un formulaire et commence à le remplir. Entrecoupé par des entrées et sorties incessantes dans son réduit, des questions et autres demandes de renseignements. « Go to room 5 », ça y est, j'ai compris, ici au DVLA, on compte en base impair 1-3-5, c'est lumineux ! Que n'y ai-je pensé plus tôt ?
Je frappe à la porte de la room 5 et l0, la gorgonne en uniforme toujours affalée sur son fauteuil me donne de son « wait » craché...
Elle ne connait que ce mot ?
Une personne sort et la suite fut sans parole : elle me regarde et du regard en hochant du menton, me fait signe de rentrer, faut savoir s'économiser car avec un tel boulot !
Room 5, encore une autre ambiance. Après la taverne capitonnée et climatisée du chef, le réduit du fonctionnaire trentenaire efficace et épuisé, un bureau collectif. Ils sont 2 à se partager un bureau plutôt spacieux, à mi chemin entre les 2 précédents. Comme si les deux fonctionnaires ici présent étaient en voie de room 1 (rappelez vous, fauteuils cossus, clim + TV + assistante, la panoplie complète, près de la porte de sortie, ou entrée selon ) et qu'il faille en départager l'un des deux.
Peinture jaune d'œuf, pas de tv (était elle en panne ? Je n'ai pas osé emprunter ce chemin...) mais la radio. J'attends quelques secondes et l'un des fonctionnaire me dit « take seat » « assieds toi ». Je lui répond que je viens d'être assise dans ma voiture (40 mn de trajet depuis le Busua Inn, vous verrez cela à son importance pour plus tard). Il insiste, je finis par m'assoir en face du bureau de son collègue, toujours muet pour le moment. Qui me jette un rapide regard et se replonge dans son océan de paperasse qui fait des vagues, ça houle ! Rien de létal ici...
Puis le 1er fonctionnaire sort en me demandant au passage si je n'étais pas indienne (on m'a déjà attribué bien des nationalités américaine, - allemande, espagnole,suisse, italienne etc - mais c'est la 1ère fois que l'on pense que j'ai des origines indiennes, je n'étais pourtant en sari...) et je reste avec le Buster Keaton (surnommé aussi « l'homme qui ne rit jamais ») des formulaires.
Qui ne décroche toujours pas un mot et manipule dans tous les sens des masses de documents, prend un cahier, note quelque chose dessus, le déplace prend une pile de document, arrache une photo sur un vieux permis sort sa bouteille de colle, replonge dans ce marasme de papier... Un vrai ballet dont je n'ai pas compris le sens. Et tout cela, dans des entrées, sorties incessantes, demandes, questions et remise d'argent (tiens ?).
Au bout de quelques minutes, je fini par lui demander « Pouvez vous me dire pour quoi, j'attends ? ». Il stoppe ses fondus-enchainés administratifs, me regarde et me dis d'une voix trainante « give me your paper ». Ah, ben voilà, suffisait de demander !
Je lui tends mes photos, ma traduction et vous connaissez la suite, enrichis de nouveaux documents DVLA. Il me demande ma nationalité (pourtant bien inscrite sur la traduction donnée précédemment) et aussi la durée de validité de mon permis (for ever) et dans la foulée, en verve qu'il était « 4 cédis ». Un brin interrogative et connaissant la propension des personnes, dotées de parcelles de pouvoir dans le système administrativo-juridique ghanéen, a en faire largement usage (voir à se vautrer dedans), je lui demande « why? » « pourquoi ? ».
Laconique fut la réponse mais tellement populaire qu'elle en est usée qu'elle en devient limpide et transparente : « frais de dossier », à oui ? Vraiment ? Je prends mon air angélique de femme soumise à l'autorité de son mari ( ça marche bien ici, tout comme les entrées famille du genre « pourriez vous faire vite car j'ai laissé ma famille au village », testé en 2008, au consulat de Côte d'Ivoire de Paris, résultat : visa en 2 h au lieu de 3 jours... On a de belles surprises parfois et puis, le temps est tellement élastique en Afrique.. ) mais je m'éparpille, revenons à la DVLA connexion.
Je lui demande « oui, bien sur, Monsieur, pourriez vous me donner un reçu ? »Petit arrêt pour expliquer à celles et ceux qui n'ont pas encore testé l'Afrique sub saharienne qu'il existe toute une kyrielle de manières et mesures pour soutirer de l'argent. Comme partout ailleurs me direz vous ? Certes, mais ici la corruption est à tous les niveaux surtout quand elle rencontre la moindre parcelle de pouvoir et / ou autorité, elle se goinfre. Mâtin ! Quel beau couple ! Du flic de base à la barrière de police qui arrête un trotro (les mini bus de préférence hors d'usage et taxis collectifs) en voie d'effondrement et qui le laisse repartir une fois, un ou deux cédis dans la main ou encore, un pickup empli de bananes plantains dont un régime va immanquablement rejoindre le butin de la journée, accompagnant des noix de palme (la soupe de ce soir) et autres trésors minuscules. Et si par chance, un blanc passe avec en prime une plaque d'immatriculation hors Ghana, c'est la fête à la barrière de police.
Enfin, des fois, pas tant que cela...
Quand on commence à taper dans les plus hautes sphères et instances de pouvoir et de décision, les prix grimpent ! Comme s'il existait un Indice de Prix Variable selon le Pouvoir, IPVP pour les intimes, pas franchement sexy mais si efficace !
Veuillez me pardonner, je viens de me prendre en flagrant délit de digression...
Donc la notion de reçu indique que l'argent est donné/reçu officiellement avec une trace écrite. Et dans une société qui fut longtemps orale et qu'il l'est toujours massivement, cela prend du (bon)sens qu'est bon ! Quoi que, cela me rappelle une anecdote (la dernière promis !), j'ai déjà rencontré au Burkina Faso, un zélé homme pas vraiment intègre, qui me demandait une taxe pour...les frais de reçu.. Au secours ! Ils sont en train de devenir fous ! Ce à quoi, je répondis « et bien, tu ne fais pas de reçu et comme cela, il n'y a pas de frais de reçu ! ».Laissons là, les sahéliens et revenons vers nos chers DVLA côtiers du Golfe de Guinée...
Retournons, si vous le voulez bien (et pour les lecteurs qui ont eut la patience de me suivre jusqu'ici) à la room 5, qui tout bizarrement que ce soit, est très proche en matière de pouvoir et de couloir, de la room 1. Il pose alors mon dossier sur le haut de la pile (ce que j'attribue bien naïvement à une avancée considérable dans le déroulement de l'affaire surtout après avoir refusé de donner de l'argent sans preuve du paiement, après plus de 7 ans ici, je me fait encore avoir, me prend les pieds dans le tapis de ma naïveté) et intrépide autant qu'imperturbable, se re-pro-jette dans son étrange danse sans plus se soucier de moi (cela faisait déjà plus d'une heure que j'errais dans les couloirs encombrés et étouffant de chaleur du DVLA).
« Sir, what happens now ?» « Monsieur, que se passe t il maintenant ? ». Il relève la tête, chausse ses lunettes, scrute un document, remet ses lunettes dans sa poche et fini par me répondre « I've a lot » « j'en ai beaucoup ». Joignant le geste à la parole, il soustrait un dossier sur le bas de la pile et recommence son étrange mantra administratif. Et ne soucie plus de moi.
Aurais je gaffé ? Le vernis de ma patience toute neuve menaçant de craquer (je n'avais pas eu le temps de laisser sécher-poncer-repasser une deuxième couche en diluant davantage), je lui dis « Je vous prie de m'excuser, j'ai un rendez vous important prochainement, pouvez vous me dire ce qui se passe ? » Sa réponse tombe, je vous la laisse deviner... Le mot dit le plus fréquemment au DVLA, oui ? Go and come ? Pas mal, c'est vrai qu'on l'entend en boucle au DVLA... Plus encore ? Oui ? Une réponse sur la gauche ? Wait ? Bravo vous avez gagné !
Au bout d'un long moment, je vois apparaître ma bobine en format identité, on arrive près du but ! Et tout cela, comme vous l'aurez deviné tellement c'est automatique et mode de fonctionnement, entrecoupés de questions, demandes et entrées sorties.
Le fonctionnaire est même sorti une fois lui même, je fut alors proche de l'effondrement...Arrivé à ce stade, le fonctionnaire ne sentant plus et me débitant tous les hits du DVLA « go and come ». Euh je vais où ? « Tu peux aller à ton rendez vous », alors là, c'est franchement mal engagé mon histoire qui commence à se transformer en marathon humide et poisseux, en tous cas pas agréable du tout. Cela veut dire quoi au juste (je ne sais pas si je dois employer le au juste dans cette situation) ? Sachant qu'il est 15h et que les bureaux ferment à 16h.
Réfléchir vite, fissa, sissia sissia (sissia = maintenant, le doubler en signifie l'urgence et l'impératif). Je peux attendre encore un peu.. Et puis la perspective de partir, pour revenir le lendemain ne m'enchante pas du tout (et pourtant !). Une fois dans le bain gluant autant nager et éviter, autant que possible de replonger dedans !
D'un seul coup d'un seul, le fonctionnaire se redresse, un brin triomphant et me tend mon dossier, sur lequel il a apposé chiffres et hiéroglyphes, pâtes de mouche et codes étranges (serait pas un brin sorcier, le brave monsieur ci-devant ?), en bleu, en rouge (ça aussi c'est un marqueur d'autorité ici, un stylo rouge = warning = pouvoir). Résumons, dans le même couloir que le chef + le stylo rouge + tentative par moi interprétée de corruption... A mon avis, c'est lui qui va gagner car l'autre, il a pas de stylo rouge, que des bleus et noirs et crayons de papier... Le dernier détail pourrait même être rédhibitoire, vous pensez bien, on ne peut pas nommer chef quelqu'un dont les écrits peuvent être d'un trait de gomme effacés....
Et bing, un nouveau « go and come », l'écart devient faible avec les waits, cela se resserre...
La qu... de Marc Antoine Mathieu |
« Go to room » 6... Mon raisonnement précédemment développé de calcul en base impair est éparpillé, mis en miette... Alors ici aussi, on connait les chiffres et nombres pairs ?
Je m'engage alors dans un couloir aussi sombre qu'encombré, une queue interminable.
Nouvelle ride d'usure dans mon vernis qui se fait la malle au fur et à mesure que le temps s'écoule et que l'absurdité de la situation et du système de fonctionnement mis en place s'épanouit et prend de l'ampleur.
Un jeune homme me dit qu'il faut toquer et entrer. Je toque-je wait-go and come. Suis assez pavlovienne en définitive...
Je toc-toc (et suis en voie de le devenir...), entre dans le bureau. Alors là bravo, c'est deux et même trois en un.
Ici, c'est le gynécée, deux solides matrones, la cinquantaine enrobée (signe de richesse ici) empreinte de dignité et de positionnement social ambitieux, planquées dernière leur technologie (pc, reconnaissance électronique d'empreinte, machine pour tester la vision). Je me dis « enfin un truc rationnel ici, je vais pouvoir faire deux choses coup sur coup en évitant ces virgules et même quelques fois pause que sont les wait, go...Gourdasse va !
Mais la suprême trouvaille, c'est que ce bureau à deux et en fait à beaucoup plus. Il est séparé en deux par des panneaux à mi hauteur qui fait que...tout le monde profite du film nollywood diffusé sur l'écran de tv du bureau d'à côté. Pratique et économique, une tv pour deux bureaux, soit 4 fonctionnaires. La route vers la room 1 promet d'être longue ...
La 1ère matrone m'apostrophe (nous n'en sommes même plus au stade de se saluer et se dire bonjour) « Give me your paper » « donnes moi tes papiers », mais avec plaisir ma p'tite dame ! Y en a un peu plus, je vous le laisse quand même ?
Pendant ce temps, sa collègue un brin plus revêche, arrêtes son dur labeur m'observe par dessous ses lunettes (ça aussi c'est un marqueur de pouvoir) puis se remet à sa tâche.Dame 1 me demande alors de regarder dans le fond d'un appareil pour faire un test de vue. Plutôt judicieux comme examen. Je lui lis ses 2 lignes.
J'entends « ok » redresse la tête et je lui demande qu'elle va être la suite et si, par un très grand hasard ou une volonté de fer de démontrer un semblant d'organisation, pour une fois, je passe au bureau suivant, qui par un hasard extraordinaire se trouve dans la même pièce.
Elle griffonne trois trucs au stylo noir (bon ça va quand même, elle a un pc, les lunettes, l'air conditionné, elle ne peut pas avoir en plus le stylo rouge car là, elle serait room 1), me regarde en me tendant mon dossier, non sans avoir bien parlé et ri en ahanta et en me regardant avec Dame 2.
« Go to room 4 and come back », définitivement, je suis à présent en mode pair. Là, je commence à être victime d'un effondrement de vernis, un glissement de lisse... Le problème du lisse c'est que ça glisse...
Je réemprunte le couloir déjà parcouru, du nord au sud et d'est en ouest, de plus en plus encombré au vue de la fermeture proche des bureaux. La room 4, c'est là qu'on passe officiellement à la caisse (donc comme vous l'avez compris avec reçu officiel et imprimé, yeap !). Une cabine grillagée, jaune canari heureusement pour contrebalancer le côté cage ou fosse aux lions, derrière la grille de protection deux fonctionnaires, alors là quand il s'agit d'argent faut être au moins deux au cas où et puis l'un pouvant surveiller l'autre. C'est le premier duo mixte, un homme et une femme.Le long du mur en rang d'oignon, des sièges, tous occupés, que par des hommes, les yeux fixés sur la lucarne diffuseuse de soap nigerians.
Ah oui, j'avais oublié de vous préciser que forts rares sont les femmes qui font ces démarches tant l'obtention du permis comme symbole d'autorité et d'indépendance est encore minoritaire au Ghana et à a campagne n'en parlons pas, le sujet n'existe pas, patriarcat quand tu tiens la société !
Un étrange manège se met en transe, y a pas de soucis, on est sur du fonctionnement de groupe, l'individualisme bien que se manifestant, n'est pas encore aux manettes ici. Après un « next » sonore, lancé par la fonctionnaire, un homme se lève se présente à la grille, tend ses papiers et des cédis. Pendant ce temps, ce sont tous les hommes présents qui se déplacent d'un siège ! Très original et surprenant comme gigue ! Elle s'est reproduite après chaque next, je les ai compté, il y en eut 15... A un moment, le monsieur juste avant moi, me fit signe de rentrer dans la danse. Offre fort civile que j'ai décliné. Au bout d'un heure, arggggh, mon tour, enfin ! Les deux fonctionnaires étaient bien occupés et s'accordaient de fréquentes pauses pour regarder la tv....La jeune femme me rend mon dossier, de plus en plus épais, me déleste de 34 cédis et me lance « go to room 1 ». Quoi ? Le chef encore ? Serait ce la fin de ce long et épuisant processus absurde et labyrinthique ?
Je suis bien dans la 2,333e dimension de Marc-Antoine Mathieu. Histoire de s'échapper de ce pensum... Père Ubu fait tourner à plein régime la machine à decerveler...
La qu... de Marc Antoine Mathieu
Dans ce bureau, celui du chef quand même je vous rappelle, qui en a d'ailleurs saisi l'un des attribue, le stylo rouge, on ne regarde pas des soap nigérians à la noix, on fait dans le "culturel", on regarde « qui veut gagner des cédis ». Le chef, mon dossier dans une main, son stylo dans l'autre commence à se mettre en branle et s'arrête tout à coup...Il fixe l'écran...et attend la réponse à la question hurlée dans « qui veut gagner des cédis »... C'est pas trop long mais quand même, vous imaginez le chef d'une division administrative quelconque s'arrêtant dans son travail pour attendre la réponse d'un jeu télévisuel ?
Julien Corentin Acquefacques fonctionnaire au ministère de l'humour
La réponse tombe, il acquiesce et signe et me dit « go to room...6 », ben oui, évidemment avec la division-atomisation-après explosion du travail appliquée ici, il faut que je retourne voir Dame n°2. C'est reparti, je m'éloigne de la sortie (pas pour très longtemps, comme vous allez pouvoir vous en rendre compte) et demi patience affectée. Il est alors 15h20. J'entre dans le bureau à la rencontre de la fonctionnaire. Celle ci était en train de manger, il est vrai qu'avec des horaires 8h30 16h30 sans pause officielle (rassurez vous, elles sont prises et en nombre, c'est pas le bagne quand même), on est obligé de manger dans son bureau, au dessus de son pc... tout ce qui ne tue pas engraisse... En Afrique rien ne se perd tout se récupère... Toujours par dessous ses lunettes, elle me regarde et me dit « j'en ai beaucoup », bouffée de chaleur, le vernis n'est plus que souvenir et ça craquèle sec ! « Je ne pourrais pas traiter votre dossier avant 16h »..
Euh, il est 15h 20 vous êtes en train de manger et vous me dites que vous ne pourrais régler ce qui devait être une formalité et qui s'est transformé en un capharnaüm inlassable et incessant. Une fin de non recevoir s'abbatu alors sur moi, une vraie baffe. Alors, lui dis je d'un ton qui n'était plus amènes du tout « tu es en train de bouffer sur tes dossiers et tu me dis que tu n'a pas le temps et que je reviens demain et que dois perdre encore une demi journée, me cogner 80 km, wait go and come parce que tu manges tes arachides et tes bananes et qu'il reste pourtant 40 mn avant la fermeture des bureaux ? »Laconique « yes ».Suis partie en claquant la porte !
Episode number two, le jour suivant, le même décor, le dvla, son monde impitoyable.Retours au bureau n°6 ravie de retrouver les si hospitalières fonctionnaires, je toque et wait. J'entre pour m'entendre dire « sors, je t'appellerais ». Après un long moment à faire le poireau dans cet étroit sombre et collant boyau qu'est le couloir, Dame n°2 m'appelle, un nouveau mot apparut alors dans le lexique DVLA, après le désormais fort populaire « papers »« seat » assieds toi. Le temps de la photo était venue. Avant, prise d'empreinte électronique et signature virtuelle « mets ton index gauche, appuie fort, plus fort encore ». Je ne vais quand même pas me péter le doigt parce que ta machine ne réagit pas Madame Cerbère. Equipée la mémé. Puis pic, plac, je m'assied et j'entends alors « ta tête est trop haute », j'ai failli tenter l'humour « vous voulez que j'en coupe un bout ?» et ai finalement renoncé, faut pas trop se disperser auprès de tels personnages. J'étais alors perchée sur un tabouret haut et bancal (bien sur !) avec une planche de bois ronde vaillamment posée dessus en équilibre. Impossible de baisser le siège, la seule solution est de se tasser et rentrer le menton. Pas très avantageuse la position en matière de prise de vue. Passons, ce n'est pas de la photo d'art, seulement une prise d'image administrative. Elle me dit « on recommence, faut baisser encore », clic clac, me dit « on voit tes dents, ça va ? » « Peu me chau ! », me demande 5 c, je lui fait le coup du reçu et elle me fait le coup de « j'en ai pu »... Je lâche prise et 5 c. Ras le bol !
Elle me tend mon dossier désormais épais avec un énorme cahier, tout ça en me lançant son si prisé « go and come ». Je me demande quel scénariste a pu écrire ces scènes dont l'intégralité des dialogues tiendrait sur un ticket de métro...
« Go to room 4 », waohhh une nouvelle room, vais je aller jusqu'à la room 101 (et en hommage à George Orwell) ? Chambre 4, chambre de sous chef et bizarrement à côté de la room 1 du chef (ne cherchez pas à comprendre la numérotation, vous allez vous épuiser), clim' et ventilo et large fonctionnaire cinquantenaire et débonnaire (je fait des vers sans en avoir l'air..) et.. Surprise...
SOURIANT. Je ne regrette (presque pas) d'être (re)venue. Des salutations, s'enquiert de savoir comment je vais, me demande de manière cordiale mes documents. Je lui réponds que je ne comprend rien à ce processus long et éprouvant complétement loufoque, désorganisé avec minutie (au moins cela procure du travail ou tout du moins de l'occupation et salaires à des fonctionnaires...), alors qu'avec un minimum d'analyse de l'ensemble et un peu plus d'informatique et moins de tv, (on se serait trompé dans la commande des écrans ?), l'affaire devrait être dans le sac en 20 mn...et non quasiment 4 heures et 160 km.
Il me répond d'un large sourire : « la prochaine fois que tu viendras, ce sera comme tu le dis ».. Je suis saisie de vertige... Je n'entends que la première partie de sa phrase.
Quoi ? Il faut que je revienne encore ? Ah ! Non ! Plus jamais ça ! Et de m'expliquer « on va te donner un document provisoire, valable deux mois. A l'expiration de celui ci tu viendras chercher ton permis officiel qu'il faut renouveler tous les 2 ans."
Je vais commencer la préparation et l'entrainement dès à présent pour être fin prête le jour venu.
Il appose sa signature (vous aurez deviné que c'est à l'encre rouge), me rend le dossier et me dit « go to room 6 », bingo les 2 désopilantes matronnes. C'est quand même la quatrième fois que je vais dans ce bureau... Je retrouve la si peu affable Dame n° 2. Elle est seule cette fois ci mais pas plus aimable pour autant. Je lui tend les documents et l'énorme cahier avant qu'elle ne me le demande (après tout ce processus, j'ai eu le temps d'apprendre). Et là, le sésame (provisoire mais sésame quand même) apparaît !
Faut que je revienne dans 59 jours et 4 h...
Et puis après dans 730 jours...
DVLA, je ne t'oublierais jamais !
Merci père Ubu de m'avoir si bien reçue.