Lecture (Policier, histoire vécue).

Par Ananda

Terri Jentz : « LA NUIT SAUVAGE », Denoël – POINTS POLICIER, 2011.

Une « histoire vraie », un long livre, pour une aventure tragique et tout sauf ordinaire.

Marquée au fer rouge par « l’évènement de sa vie », un traumatisme majeur (l’agression à la hache totalement gratuite et incompréhensible qu’elle a subi de nuit, dans sa jeunesse, alors qu’elle dormait sous sa tente de campeuse dans le haut désert de l’OREGON), la journaliste américaine Terri JENTZ, dans ce récit autobiographique, sait à merveille nous communiquer l’intensité de cette expérience de l’extrême, et de ses suites.

Hantée à vie, elle n’aura de cesse que d’exorciser la monstrueuse pesanteur de cet évènement macabre et incongru, pour s’en défaire, s’en délivrer.

Pour ce faire, deux moyens s’offrent à elle : se lancer, vingt ans après, dans une obsédante et méticuleuse enquête visant à retrouver, et à démasquer le coupable resté impuni, le mystérieux « homme à la hache » dont elle n’a jamais pu apercevoir le visage et, de la sorte, le dépouiller de la dimension quasi surnaturelle, de l’aura métaphysique qu’elle a été amenée à lui conférer ; en second lieu, écrire ce livre, tout ensemble récit de l’évènement, de sa névrose puis de ses recherches.

Un « évènement zéro », un ressenti post-traumatique écrasant et une interminable quête-enquête, à valeur de thérapie… Voilà les sujets de cet ouvrage.

Car un tel évènement nous confronte à l’impuissance absolue. Qui que vous soyez, vous ne pouvez en ressortir qu’avec le désir (et un désir plus que taraudant) de COMPRENDRE ; qu’avec, dans le meilleur des cas, la volonté de reprendre votre destinée en main.

En pur produit de la culture américaine, Terri est une battante. Son énergie, sa ténacité vont l’aider à surmonter, avec des actes, puis avec des mots.

L’évènement a été si soudain, si maléfiquement fulgurant qu’il l’a jetée hors de sa propre vie.

Elle ressent en tout point la même chose que tous ceux qui se sont trouvés confrontés à l’extrême, à l’inimaginable destructivité dont l’Homme peut faire montre, quand la folie le prend, à l’égard de ses semblables : celle que victimes des Camps de la Mort et autres génocides et atrocités connaissent bien.

Souvent poignant, ce récit a de quoi nous donner la chair de poule. Il nous déstabilise profondément dans la mesure où, selon la formule consacrée, « nul n’est à l’abri ». Il nous met crument face à tout ce que la créature humaine – et en particulier la créature humaine de sexe mâle – a d’imprévisible, de fou, de potentiellement déchaîné.

Ce que Jentz a vu, croisé de plein fouet, c’est la RAGE humaine à l’état pur ; la barbarie, aussi sinistrement « efficace » qu’une rouleau-compresseur.

L’être démoniaque surgi de nulle part, de la nuit, qui a tenté de la tuer  sans raison apparente était-il un psychopathe ?

A-t-il agi dans un état second, sous l’emprise de quelque drogue dure ?

S’est-il laissé emporter par une décharge d’impulsivité brute ou a-t-il plutôt dirigé contre deux femmes ayant « l’audace » de dormir seules à la belle étoile dans un endroit trop isolé l’esprit de vengeance, de revanche haineuse qui anime certains machos imbus des anciens privilèges liés à leur sexe ?

Que de tels êtres puissent exister parmi nous demeure inconcevable.

On comprend, alors, parfaitement la démarche de Terri Jentz.

Mais, dans le même temps, rien de plus américain que cette histoire. Dans sa démesure.

Survenue dans le cadre « envoûtant » des hautes terres désertiques et volcaniques de l’Etat d’Oregon, en plein FAR-WEST, l’on serait presque tenté de se dire qu’elle ne pouvait survenir que là. Hors de toute civilisation. Sur cette ancienne terre de rudes pionniers, d’Indiens et de cow-boys aux arômes sauvages, historiquement marquée par la violence, le non-droit, la loi du plus fort ; les robustes et dures valeurs mâles.

L’Amérique est le fruit d’une débauche d’énergie autant que d’une fantastique quête de liberté. Elle s’est construite à partir de ce « challenge », qui n’admettait pas la faiblesse.

Elle fonctionne sur le modèle impitoyable et double du « self-made man » très riche et de sa parfaite antithèse, le « looser » ultra-frustré, et il semble que ces deux figures soient égales pour ce qui est de leur tendance à la psychopathie.

En arrière-fond, ce livre peut aussi être lu comme un réquisitoire contre ce que la société américaine, l’ « american spirit » renferme de plus brutal, de plus déshumanisé. Par nombre de côtés, Jentz n’en disconvient pas, son pays est inhumain.

Pour le faire « avancer », il faut sans cesse se battre, ce qu’elle fait, à sa manière.

Un livre qui vous hantera un bon bout de temps, si vous n’y prenez garde.

PL.