Calamity Jane

Par Gjouin @GilbertJouin

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare
Une pièce de Jean-Noël Fenwick
Mise en scène par Alain Sachs
Décors de Lucie Lelong et Alain Sachs
Costumes de Marie Pawlotsky
Lumières de Laurent Béal
Avec Clémentine Célarié, Yvan Le Bolloc’h, Isabelle Ferron, Philippe du Janerand, Pierre-Olivier Mornas, Patrick Delage, Tatiana Gousseff, Michel Lagueyrie, Jordi Le Bolloc’h, Gilles Nicoleau, Fannie Outeiro, Cyril Romoli, Cédric Tuffier
Le propos : Tout le monde connaît Calamity Jane, mais personne ne connaît vraiment son histoire. Entre cow-boys et indiens, sur son cheval Satan, Calamity rencontre Bill Hickock avec qui elle essaiera d’être une épouse modèle, pour finir par écrire une des premières pages de la libération de la femme. Tout ceci, sur un ton épique et flamboyant, aussi émouvant que drolatique.
Mon avis : Il était une fois dans l’Ouest… Eh oui, c’est un sacré pari auquel ce sont attelés Jean-Noël Fenwick, l’auteur, et Alain Sachs, le metteur en scène. La gageure était de reconstituer en deux heures la vie épique de Jane Canary entrée dans l’Histoire du Far-West sous le surnom de Calamity Jane. Car nous sommes dans la réalité, même si la légende a considérablement enjolivé sa tumultueuse existence. D’ailleurs, tous les gens qu’elle a rencontrés font partie de notre mémoire : le général Custer, Wild Bill Hickock, Buffalo Bill…
Ce spectacle est un ovni, il est inclassable. Il est un peu conçu comme une BD divisée en plusieurs chapitres écrits et dessinés dans l’ordre chronologique. Et comme la vie de la Calamity n’a pas été un long fleuve tranquille, cela implique toute une succession de tableaux entraînant, pour chacun d’eux, un décor approprié. Pour ne pas perdre de temps, ce sont les comédiens eux-mêmes qui déménagent et emménagent la scène pendant que le nouveau cadre descend des cintres. On se retrouve ainsi tour à tour dans une cabane isolée, au milieu du désert, dans un saloon, une épicerie, un bureau de la Poney Express, un ranch, une salle à manger… J’en oublie sans doute.
Cette variété, cette profusion de décors, entraînent ipso facto des ambiances et des tonalités différentes. Si bien que l’on passe du burlesque à l’émotion, de l’action au romantisme, des tête-à-tête aux scènes de groupe… Par moment on se croirait dans Guignol, une autre fois on nous sert une séquence digne de L’Exorciste. Il y a un vrai mélange des genres, voulu et assumé. Pour des acteurs, ce doit être un régal que de pouvoir jouer sur une telle palette de situations et de sentiments.
La première scène, c’est carrément le « farce-West », mais elle est très révélatrice des caractères des deux principaux protagonistes de l’histoire, Calamity et Bill Hickock. Ce sont deux êtres entiers, deux aventuriers libres et farouches. Elle, elle est « carabinée ». C’est un garçon manqué qui préfère s’habiller en cow-boy que de porter des robes ; lui c’est quelqu’un de foncièrement indépendant et un peu fruste, une gâchette redoutable qui ne connaît que le langage des colts. Leur union ne pouvait que s’avérer mouvementée et vouée à l’échec.
Clémentine Célarié qui est professionnellement une chercheuse d’or (comme son personnage qui le fut à une période sa vie) a décroché là un rôle du même métal. Il doit être dévorant, épuisant. Non seulement elle doit faire preuve d’une incroyable énergie, mais elle doit également adopter une gestuelle masculine, jouer avec différentes tessitures, passer sans transition de la gaudriole à l’émotion la plus profonde. Elle est Calamity. Après l’avoir vue, on ne peut plus l’imaginer madame sans Jane… tant elle s’est appropriée le personnage. Elle nous livre une prestation absolument impressionnante et digne d’éloges. Impossible de tricher ou de s’économiser avec une telle bonne femme !
Yvan Le Bolloc’h rime avec Hickock. Avec son visage buriné, sa silhouette élancée et sa mèche rebelle, il y a du Lucky Luke en lui. Il a une vraie gueule. En bon Breton, l’Ouest ça lui parle. Il est tout à fait crédible dans cette composition dans laquelle il peut mêler un humour parfois potache et l’expression d’une grande sensibilité. Il nous offre en prime un formidable numéro lorsqu’il se glisse dans la blanche panoplie de Buffalo Bill en adoptant une posture à la limite du ridicule et une voix grasseyante. A tel point que l’on met un petit moment avant de réaliser que c’est lui. Il s’était déjà montré excellent dans Les deux canards, il confirme ici qu’il peut prétendre à une jolie carrière au théâtre. Sans compter qu’il se révèle également très adroit aux fléchettes…
Autour d’eux gravitent ou paillonnent des personnages particulièrement hauts en couleurs. On croise en effet un pasteur pittoresque et stupide, une entraîneuse qui a la voix d’Arletty, une bigote illuminée, un épicier chafouin et radin, un général de pacotille, et un superbe étalon blanc…
Les dialogues, très modernes, sont à l’image des personnages : abrupts et peu châtiés avec, ça et là, quelques savoureuses fulgurances : « J’en ai marre de cette bicoque, Hickock », « La montée du désordre, c’est le déclin du bordel », « Moi, j’ ferre les ch’vaux, pas les hommes ! »…
Ecrite avant la pièce à succès Les Palmes de Monsieur Schutz, Calamity Jane nous propose un western pas terne, mais un peu inégal. On y passe en un clin d’œil du trot au galop. C’est une pièce un peu cavalière qui désarçonne parfois. J’y ai vu, ça et là, quelques longueurs, comme cette scène où Calamity nous livre ses états d’âme et s’attarde sur son inadaptation à se muer en femme au foyer et en maman. On n’a pas besoin qu’elle nous l’explique aussi longuement, on a tout compris de sa philosophie de vie… A côté de scènes truculentes et drolatiques, nous avons droit à deux-trois moments d’une réelle émotion : l’abandon de Jenny, le repas à Richmond, les retrouvailles avec sa fille, une fin à la fois tendre et onirique... Clémentine Célarié y est poignante. Nous avons quand même beaucoup plus de rires que de larmes tout au long de ce spectacle. C’est l’histoire d’une vie. Et dans la vie tout n’est pas noir ni blanc, tout n’est pas parfait… Mais quelle sacrée bonne femme que cette Calamity Jane !
On se saurait terminer cette critique sans évoquer la qualité et le réalisme des costumes, ainsi que l’efficacité des décors, simples mais explicites.