Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau
Une pièce de David Mamet
Adaptée et mise en scène par Pierre Laville
Décor de Jacques Gabel
Avec Yvan Attal (Jack Lawson), Alex Descas (Harry Brown), Sara Martins (Susan), Thibault de Montalembert (Strickland)
David Mamet : « Dans ma pièce, un bureau d’affaires tenu par trois avocats, deux noirs et un blanc, est sollicité pour défendre un blanc accusé de tentative de viol sur une jeune femme noire. Tout repose sur des mensonges. Lorsque le mensonge est avéré, la pièce est finie… »
Mon avis : Toute l’action va se dérouler dans le cabinet de deux avocats associés, Jack Lawson, qui est blanc et Harry Brown, qui est noir. Strickland, jeune homme fortuné, est accusé du viol d’une jeune femme noire dans un hôtel. Après avoir tenté de se faire défendre par un cabinet très huppé, il préfère demander à Lawson & Brown de prendre son affaire. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il estime que la présence d’un noir à ses côtés peut lui attirer la sympathie des jurés.
La pièce se divise en trois parties. La première est essentiellement consacrée à l’exposition de l’affaire et à savoir si oui ou non Lawson et Brown vont accepter de défendre Strickland. On s’aperçoit très vite que les faits qui se sont déroulés passent au second plan. Ce qui compte, c’est de sauver l’accusé, qu’il soit coupable ou non. Pris en sandwich entre les deux avocats impitoyables qui développent tour à tour toute une série de thèses, ce dernier est un peu décontenancé. Mais il sent que les deux hommes sont des pros et qu’ils ont de solides arguments. Nous avons alors droit à une sorte de ping-pong nous retraçant l’histoire du racisme à travers les âges. Tous les paramètres sont mis en avant : l’influence des conventions, l’importance du ressenti, le poids des préjugés… Les deux hommes balaient large, n’éludent rien. Leurs propos sont souvent techniques, parfois cyniques (« la conviction paralyse un avocat ») ou teintés d’humour (« Une fille, noire ou blanche, est un facteur de troubles »). En tout cas, ils ne sont jamais complaisants… Puis on assiste à la mise en scène d’un procès. Le texte devient très sémantique. Tout comme ce pauvre Strickland, nous sommes soûlés de mots. Les lawyers font le job.
On réalise aussi combien les grands cabinets d’avocats sont puissants aux Etats-Unis (en l’an 2000, il y en avait 3 pour 1000 habitants !). Ce sont de grosses machines. On y parle d’abord argent et, après seulement, on passe au travail… Evidemment, dans notre for intérieur, on ne cesse de mettre en parallèle l’affaire DSK, qui comporte quelques troublantes similitudes, alors que David Mamet a écrit et fait jouer sa pièce bien avant puisqu’elle a été donnée à Broadway dès novembre 2009…
Ce qui est très important, c’est que ces différents débats se déroulent en la présence d’une jeune stagiaire engagée par Lawson qui, fréquemment, se mue pour elle en pédagogue. Autre élément non négligeable, la jeune femme est très belle, très sensuelle et… elle est noire. Du coup, elle va se sentir concernée par cette affaire. D’autant qu’on lui confie quelques missions et qu’on lui demande son avis. Elle va encore ajouter à la confusion car Lawson, et aussi Strickland, sont visiblement sous le charme. Seul Brown ne veut pas être dupe. Il sait comment fonctionnent ses sœurs de couleur…
La deuxième partie est plus tournée vers la construction de la défense. Et la troisième, après avoir été agitée par deux ou trois rebondissements, sert en quelque sorte d’épilogue.
Alors que penser de cette pièce ? C’est avant tout un exercice brillant mené de main de maître (c’est le cas de le dire) par un Yvan Attal omniprésent. Il est en effet le seul à ne jamais quitter la scène. Son jeu est sobre, efficace, captivant. Il en a du texte à dire ! Et pas toujours du facile… Alex Descas lui donne une réplique façon « force tranquille ». Il est plus tempéré, moins dans la démonstration. On voit qu’il maîtrise parfaitement sa fonction… J’ai trouvé Thibault de Montalembert très naturel. Il est vraiment convaincant. Il dégage un vrai charisme, une telle apparence d’honnêteté qu’on a du mal à voir un criminel en lui. C’est très habile de la part de l’auteur de ne pas être tombé dans la caricature du yuppie arrogant… Quant à Sara Martins, comme je l’ai dit plus haut, elle est d’abord très agréable à regarder. Mais c’est aussi une fine comédienne. On ne sait jamais trop ce qu’elle pense jusqu’au moment où son esprit communautariste va prendre le dessus et la métamorphoser soudain en Black Panther. Elle a un rôle-clé et elle l’assume à merveille.
Maintenant, Race est le genre de pièce qui ne repose pratiquement que sur les mots. Même si elle est très rythmée, s’il n’y a aucun temps mort, il vaut mieux ne pas être fatigué par sa journée. Ensuite, et c’est pour moi la petite faille dans l’intrigue construite par David Mamet, les quelques rebondissements qui interviennent dans la troisième partie sont, à mon goût, un peu légers, vraiment tirés par les cheveux et c’est bien dommage. Si bien que l’on se retrouve à l’arrivée au même point qu’au début. Le serpent s’est mordu la queue, il a perdu son venin.
Reste tout de même une bonne et forte pièce. Les applaudissements nourris qui accompagnent les saluts attestent de sa qualité.