« La vie crue, sans phrase,
avait été perdue. » (1990)
Des oliviers plantés avec soin devant nos yeux couvrent
comme une mer la sèche
montagne. Les hommes, ainsi, habitent,
de leur talent l’espace entier du vivable ils
façonnent un visage tenable devant
le chaos des monts : c’est
la torche qu’ils allument leur
poème – devant le tout de l’être, avec modestie,
ferveur. Cette poursuite de travaux salubres est
leur marque. Une cloche soudain taille dans le silence un
ordre On remercie, reconnaissant, de
ce qu’une musique humaine puisse
borner le silence donné – ce don
d’un monde plus grand et
meilleur
Ces signes ne sont pas sans portée. Puisses-tu
carillon matinal valoir métaphore pour
un signe vers
le tout de l’être en sa beauté terrible – d’un coup surgi depuis
attisant nos désirs ! Puisses-tu
poème comme un cri scander
à l’égal de ces notes dans l’aube – et, comme elles, d’assez de portée un chant
pur
À cette condition, la parole n’aurait pas été
chose vaine
Penser est habiter Il n’y a d’autre mesure que la parole
L’Être n’a pas de plein La vérité est son voile Chaque
possibilité nouvelle de la parole, de ce voile, un pli
nouveau. Chacun de ces plis porte
le chiffre d’un poète.
Premières heures du matin, devant la mer d’oliviers,
Delphes, 04. 08. 96
Jean-Paul Michel, « Je ne voudrais rien qui mente, dans un livre. », suivi de « Défends-toi, Beauté violente ! », édition nouvelle, Flammarion, 2010, p. 250-251.
S’il était permis à l’auteur
d’élire un rival à
son livre,
idéalement je voudrais
que, pour ce recueil, ce fut
l’inimitable musique de
ce qui est.
[…]
« Comment sauver poème qui ne sauve… »
Comment sauver poème qui ne sauve
ce qu’il aime (nomme)
le – très réellement – garde
sinon de tout oubli
– puis qu’il n’est de beautés que promises
à perte – du moins
pur
de toute atteinte méprisable &
vers « la pointe la plus fine des temps »
porte
son simulacre scintillant ?
Serions-nous si vains que puissions
de quelque façon prendre
notre parti d’échouer
quand cette tâche – seule – peut valoir
que l’on trace, incise, grave
prie ?
D’avoir été seulement nommé
dans la juste cadence d’un vers
sacre
ce qui ne doit périr.
Puissé-je assez loin nourrir non l’illusion mais
assez fort le goût de la bataille pour
à bras-le-corps saisir lutter prendre
donner forme réelle
ne manquer
à cette folie – seul devoir !
– Sauf à la honte.
Marsala, 6 août 1994.
Jean-Paul Michel, « Le plus réel est ce hasard, et ce feu... », Cérémonies et Sacrifices (1976-1996), Flammarion, 1997, p. 7, 203-204
[proposition de Matthieu Gosztola – lire l’entretien avec Jean-Paul Michel]