« Je devrais atteindre cette année le million
d’albums vendus,
toutes éditions confondues. »
Christophe Bec
© Nicolas Sénégas
Avec franchise et sans détour, Christophe Bec nous présente son
actualité et évoque un métier pas si facile que cela : auteur de bande
dessinée. Infos, précisions et confidences…
Prométhée est une série étonnante, novatrice, et fort ambitieuse.
Pouvez-vous nous en présenter la genèse, le concept et détailler vos
envies d'auteur ?
« Ambitieuse » par rapport à ma bibliographie, oui ! « Novatrice » ? je
ne pense pas… en tout cas, je n’ai pas cette prétention-là. Je me suis
peut-être simplement mis un peu plus en danger que sur d’autres séries
?... Le concept est simple, tous les jours à 13:13, un événement soit
mystérieux et totalement inexplicable ou dévastateur, souvent
planétaire… se produit ! L’humanité y est confrontée et tente de trouver
une explication à ces phénomènes qui l’accablent… Dès le départ mon
envie était d’aller vers une série feuilletonesque, le concept s’y
prêtait. Sans connaître le nombre de tomes exact, j’avais prévu un plan B
en trois volumes en cas d’échec commercial total. Aujourd’hui, les
ventes sont plutôt bonnes et surtout augmentent à chaque nouvel album,
donc j’ai le champ libre pour développer l’histoire aussi loin que je le
souhaite. Une liberté acquise grâce à la confiance des lecteurs.
J’espère ne pas la trahir.
Prométhée T6, extrait de la planche 41
© Christophe Bec - Stephano Raffaele / Soleil
Prométhée T6, projet de couverture
© Christophe Bec
Stephano Raffaele / Soleil
Combien de volumes avez-vous prévu ?
Il y a quelques temps, j’avais déclaré avoir envie d’aller jusqu’à 13
tomes, en rapport aux événements de 13 heures 13… mais ce n’était qu’un
effet d’annonce. J’ai aujourd’hui établi la trame complète de la série,
et sans bouleversement radical, elle devrait se conclure au tome 11 !
dont le titre sera
Providence. Cela n’augure pas forcément d’une fin
heureuse, mais je n’en dirai rien… J’ai stoppé le dessin aux 2/3 du tome
3 car je savais alors que je n’aurai pas la force – le dessin me pesant
beaucoup – d’aller au bout d’une longue série. Le plan B m’aurait
presque arrangé finalement quelque part… Mais j’avais cet espoir de
lancer la série sur de bons rails et de la confier ensuite à un
repreneur. J’ai cru le trouver en la personne d’Alessandro Bocci, qui a
fait du très bon travail, mais un désaccord m’a contraint à lui trouver
un successeur. J’ai désormais confié la destinée de
Prométhée à mon
fidèle et talentueux collaborateur, Stefano Raffaele. Si tout va bien,
il mènera seul le bateau jusqu’à terme. Je me réserverai peut-être la
dernière planche du dernier tome, en guise de clin d’œil et pour
refermer la boucle. Quant à la genèse, difficile à dire, cette idée
s’est construite peu à peu et la nécessité de la coucher sur le papier
également. La série a véritablement démarrée suite aux difficultés des
Humanoïdes Associés, chez qui j’avais toutes mes séries. Je n’étais plus
payé depuis 6 mois et la nécessité se faisait sentir de vitre trouver
une solution viable. Je suis allé voir Mourad Boudjellal à Toulon (mon
tout premier éditeur) et il m’a aussitôt fait une avance importante pour
me sortir de cette situation délicate. Je lui ai parlé de
Prométhée et
l’idée l’a enthousiasmé, ainsi que Jean Wacquet avec qui je travaille
étroitement sur la série aujourd’hui encore.
Prométhée T6, planche 7
© Christophe Bec
Stephano Raffaele / Soleil
Certaines de vos séries, telle Sarah, sont les victimes de choix éditoriaux difficiles, changeant d'éditeur en cours de création…
Je ne sais pas si je suis la victime sur cette affaire d’un changement
global des choses ?... Je dirais plutôt que mon cas était particulier et
que j’ai subi une sorte de règlement de compte personnel, sans que j’en
connaisse les raisons exactes. Je ne m’étendrai pas sur le sujet car je
n’ai pas les tenants réels de l’histoire… Les éditions Dupuis ont
décidé de ne pas publier 4 de mes albums que j’avais pourtant
entièrement écrits et qui m’avaient été payés. Je me suis battu sur
Sarah
car c’est la série qui me tenait le plus à cœur. Elle a récemment été
rachetée par les Humanoïdes Associés et les éditions Dupuis y ont mis
visiblement de la bonne volonté, donc tout est bien qui finit bien.
Après, la réalité est que la situation se durcit pour les auteurs.
Que se passe-t-il dans le monde de l'édition BD ?
On en connaît tous les causes : la surproduction, la baisse des ventes
moyennes, la difficulté à imposer un tome 1 dans cette masse, la
visibilité réduite des titres et le temps d’exposition sur les étals des
nouveautés de plus en plus court… Les éditeurs abusent un peu il me
semble de cet état de fait en tentant du coup de réduire les avances
faites aux auteurs. Certains dessinateurs ou scénaristes acceptent des
prix indécents, donc cela a tendance à tout tirer vers le bas. Je
n’aimerais franchement pas démarrer ma carrière actuellement ! Mon
attitude pour ma part est d’essayer de continuer à faire ce que j’aime,
c'est-à-dire de la BD plutôt distrayante, dense, tout en essayant de ne
pas être trop idiote, et parfois d’aller vers des récits plus
intimistes, plus personnels, comme
Royal Aubrac par exemple. Le problème
dans ce cas-là est que je me coupe évidemment d’une majeure partie de
mon public, mais ce n’est pas très important, j’estime que ces livres
sont nécessaires. Une des contreparties également est qu’ils n’ont pas
l’écho critique qu’ils mériteraient sans doute… en tout cas pour
l’instant. Peut-être ne sont-ils tout simplement pas à la hauteur ; ou
souffrent-ils de mon image d’auteur de récits d’aventure ? Je n’ai pas
la réponse.
Royal Aubrac T2, extrait de la planche 2
© Christophe Bec - Nicolas Sure / Soleil
De la même façon, vous avez transféré plusieurs de vos séries des
Humanos à la maison Soleil. Pouvez-vous revenir sur ces décisions et les
conditions qui les ont accompagnées ?
J’ai déjà évoqué les difficultés qu’ont dû traverser les Humanos. Ça a
été une période très difficile à vivre, car les Humanos étaient une
maison d’édition dans laquelle j’avais beaucoup de plaisir à travailler,
j’y ai connu mon premier gros succès avec
Sanctuaire et c’est Philippe Hauri, alors directeur de collection, qui m’a le premier fait confiance sur un scénario :
Carême.
J’avais engagé pas mal de choses avec eux, et je devais penser à mes
séries et surtout à mes dessinateurs, qui avaient besoin d’être
rémunérés. La solution a été d’essayer de trouver un repreneur pour ces
projets. Là aussi, Mourad Boudjellal m’a sorti une grosse épine du pied,
il a permis par exemple qu’une série comme
Pandémonium, très importante pour moi, arrive à terme. Aujourd’hui, je retravaille avec les Humanos sur
Carthago
et j’en suis ravi. Certes, ce n’est plus l’euphorie du début des années
2000, mais il me paraissait naturel de continuer à travailler avec ceux
qui m’avaient fait confiance à une époque.
Bunker T5, extrait de la planche 5
© Christophe Bec - Stéphane Betbeder - Nicola Genzianella / Dupuis
Pouvons-nous aborder votre programme éditorial de l'année 2012 ?
Tout d’abord, il y aura le tome 6 de
Prométhée intitulé
L’Arche, dessiné
entièrement par Stefano Raffaele, et qui représente un vrai coup de
booster au niveau de l’avancée de l’histoire. Stefano Raffaele avec qui
j’ai déjà travaillé sur les séries
Sarah et
Pandémonium… J’ai trouvé en
lui une sorte d’alter-égo, un dessinateur pour qui je continuerai
toujours à écrire tant qu’il le souhaitera. Il y aura la conclusion de
la série
Bunker, toujours co-écrite par Stéphane Betbeder et dessinée de
façon virtuose par Nicola Genzianella, et pour le coup chez Dupuis, un
gros album de 62 pages ! Et le tome 3 de
Ténèbres, une petite récréation pour moi, de l’heroïc-fantasy, genre que je voulais pourtant bannir de ma production.
Pourquoi ?
Ténèbres T3, extrait de la planche 21
© Chsitophe Bec - Iko / Soleil
Le marché a été saturé à une époque. Il y a malgré tout quelques très
bonnes séries, voire des chefs-d'œuvre dans le genre. Mon tout premier
album (
Dragan. Les Geôles d'Ayade, scénario Corbeyran, éd. Soleil -
ndlr) relevait de l'heroïc-fantasy et je ne m'y étais pas senti très à
l'aise. J'y suis revenu finalement car adolescent j'adorais ça, via les
jeux de rôle notamment.
Revenons à Ténèbres...
Cette série, magnifiquement mise en image par Iko, n’a pas encore trouvé
autant de public qu’on pourrait l’espérer, peut-être cela viendra-t-il
avec cet album extrêmement spectaculaire.
Quelle est la suite de votre riche programme ?
Il y aura également le tome 1 d’une nouvelle série sur la mode,
co-écrite avec Stéphane Betbeder et dessinée par Pasquale Del Vecchio,
le titre n’est pas encore trouvé… Peut-être
Royal Aubrac T2, un diptyque
dans l’écriture duquel je me suis investi à 300% et qui est
probablement ce que j’ai écrit de mieux, mais qui est malheureusement
passé un peu inaperçu pour l’instant. Je prépare aussi un one-shot avec
Patrick Dumas, racontant l’épisode du crash de Henri Guillaumet (grand
ami de Saint-Exupéry) et son calvaire dans les Andes. D’autres choses
encore, mais plutôt sur 2013, comme le tome 3 de
Carthago dessiné par Milan Jovanovic (qui reprend le dessin après Éric Henninot) ou une adaptation du
Monde perdu de
Conan Doyle. Et peut-être le passage à la réalisation, avec un court-métrage qui est en préparation…
Au-dessus de l'enfer, extrait de la planche 9
© Christophe Bec - Patrick Dumas / Soleil
Quels besoins avez-vous de raconter des histoires en images ? Savez-vous d'où vous vient cette envie de dramaturge ?
Je ne sais pas. C’est vrai que c’est un besoin fort. Je n’ai pas analysé
la chose, ni cherché à l’analyser. Je crois que je ne préfère pas… Il y
a sans doute le fait que j’ai une nature assez hyper-sensible, un rejet
aussi d’une certaine réalité, un idéalisme d’un temps révolu, un côté
utopiste doublé d’un pessimisme latent, une propension à m’enthousiasmer
sur tout ce qui reste encore mystérieux, ou qui devrait le rester. Sans
doute une peur viscérale de l’inconnu. Une peur et à la fois une
attirance… Sans doute à une époque, et toujours un peu encore, une
difficulté à communiquer avec les autres, à livrer des sentiments… C’est
un cliché, mais peut-être que j’exorcise tout cela au travers de mes BD
?...
Royal Aubrac T2, extrait de la planche 8
© Christophe Bec - Nicolas Sure / Soleil
Vous avez récemment annoncé sur un célèbre réseau social avoir atteint
un impressionnant chiffre de vente. Quel est-il, et quelle fierté ou
commentaires, en tirez-vous aujourd'hui ?
Oui, si tout va bien, je devrais atteindre cette année le million
d’albums vendus, toutes éditions confondues. Tout cela est à
relativiser, car je vais aussi fêter mes 20 ans de carrière. Et ce
chiffre global a été réalisé avec une petite cinquantaine d’albums.
Quand on fait les divisions, ce n’est pas si énorme que cela, et
totalement ridicule face à un Van Hamme ou aux 360 millions d’
Astérix
vendus. À côté des ces mastodontes du marché, je suis un misérable
puceron ! (rires) Le commentaire que cela m’inspire est que je me suis
fait sans la presse BD, je compte sur les doigts d’une seule main (et
encore amputée de deux appendices) le nombre d’articles qui m’ont été
consacrés dans la presse spécialisée. Même à l’époque de
Sanctuaire, je
n’ai eu droit à aucun papier ni aucune colonne. En proportion, je dois
être l’auteur qui vend le plus par rapport à sa couverture médiatique.
Peut-être ai-je toujours eu de mauvaises attachées de presse, je ne sais
pas… A contrario, des sites Internet m’ont vraiment soutenu, ma pseudo
notoriété s’est peut-être faite par ce biais-là, par Internet, et bien
évidemment les lecteurs, le bouche à oreille, et des éditeurs qui ont
tout de même misé sur certaines de mes séries. Je n’ai pas non plus de
reconnaissance professionnelle, je n’ai obtenu aucun prix majeur (voire
aucun prix tout court), et ma seule consolation sont les chiffres de
ventes ou certains retours de lecteurs. Je m’explique mal cette
dichotomie, mais c’est comme ça, et je fais avec. Ça changera
peut-être un jour… ? Il faut peut-être pour cela faire une œuvre
majeure, ce que je n’ai pas encore réussi à faire.
Propos recueillis par
Brieg F. Haslé le 2 février 2012
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