Comment la France pourrait vraiment réduire sa dette

Publié le 03 février 2012 par H16

Aujourd’hui, ce sera mathématiques financières. Oh là, un peu de calme. J’en entends déjà qui grondent et qui rouspètent et qui auraient préféré une étude de la gastronomie à travers les âges, mais voilà, c’est comme ça, il y a des jours où on aurait mieux fait de rester couché. Et là, ce sera donc quelques additions et soustractions financières. Le produit manipulé ? Les dettes souveraines. Miam !

Il y a de cela sept ans, je tenais déjà ce blog et j’étais un des rares à parler dette souveraine. A l’époque, ce n’était pas vraiment trendy, la mode médiatique n’était pas encore branchée petits papiers d’État et seuls quelques illuminés s’époumonaient dans un désert aride à expliquer que les monceaux de dettes contractées par la France, par exemple, nous conduiraient droit au mur.

Quelques années, quelques crises et des douzaines de sommets européens aux farandoles de petits fours colorés plus tard, le sujet n’est plus si méconnu et on peut même commencer à s’aventurer sur le chemin scabreux des aspects plus techniques.

Les lecteurs ne fuient plus, et certains prêtent même l’oreille, sentant qu’il y va de leur portefeuille à plus ou moins long terme.

Comme vous le savez donc maintenant, les États, gros mammifères mous et griffus qui se nourrissent essentiellement de papier, passent actuellement leurs temps à déféquer de la dette. Jusque là, c’est du connu. Plus pittoresque : lorsqu’on les met ensemble, ces mêmes États s’envoient des boulettes de dettes à la figure, pour rire. Ça les amuse tant qu’ils passent d’ailleurs le plus clair de leurs temps à faire ça en agitant les bras et en se trémoussant de plaisir. Toute similitude avec certains animaux rigolos n’est pas fortuite.

Autrement dit, lorsque la France émet des dettes (chose qu’elle fait très très souvent, ce pachyderme ayant un transit intestinal particulièrement propice à leur production), ce sont d’autres États, essentiellement, qui l’achètent. Non pas parce que c’est bon. C’est très mauvais, même, mais s’ils font ça, c’est parce qu’en retour … la France achète leurs dettes.

Comme, de nos jours, les dettes servent essentiellement à financer les dépenses courantes, en bonne cavalerie typique de vieux monstres impécunieux et irresponsables, on comprend que tous nos États ont un intérêt puissant à faire perdurer le petit jeu de Je Te Tiens Par La Barbichette. Le premier qui lâche se retrouvant certes avec moins de dettes à rembourser, mais surtout plein d’Etats autour de lui qui font mine de s’effondrer, rendant immédiatement les finances du premier extrêmement tendues.

La récente panique à peine maîtrisée autour de la Grèce illustre fort à propos ce qui peut se passer lorsque ça ne passe pas : si la Grèce fait vraiment défaut, le petit jeu de chaises musicales risque de s’arrêter brutalement avec plusieurs chaises manquantes. Pour le moment, c’est le Portugal qui cherche à s’asseoir, mais rien ne dit que l’Espagne ou l’Italie trouveront elle aussi un tabouret salvateur.

Bref : tout le monde doit à tout le monde, et chaque round de nouvelle dette enferre un peu plus notre ribambelle de guignols dans leur attitude inconsciente.

Si on représente toutes ces dettes, le réseau peut se résumer à ce magnifique ouvrage ci-dessous avec de grosses flèches joufflues vertes et bleues qui partent dans tous les sens et qui font un peu peur. Surtout quand on sait que l’unité de travail, c’est le milliard d’euros. Un petit milliard par ci, un petit milliard par là, et rapidement, on en vient à parler d’autre chose que de petite monnaie.

Le lecteur habitué saura qu’il faut cliquer sur l’image pour la voir en grand. Mais même en petit, ça fiche un peu les miquettes.

Les dettes en Europe, avant netting international.

Et là, un groupe de Djeunzs qui en veulent s’est dit, tout de go : oui mais attendez là, si on faisait du « netting interbancaire » sur ces différentes sommes, quel résultat obtiendrions-nous ?

Je vous vois venir : oh là, netting interbancaire, qu’est-ce ?

C’est en réalité assez simple : lorsqu’une multinationale dispose de filiales dans différents pays, par exemple le pays A, B et C, les frais de change obligent à optimiser les flux de trésorerie entre les filiales qui, régulièrement, s’achètent et se vendent entre elles des biens et services. Plutôt que de se cogner les paiements, les transferts, leurs frais et ceux de change, la multinationale effectue un netting, c’est-à-dire une compensation interne (si A doit 10 à B et B doit 8 à A, seul A paye 2 à B). Le mécanisme est en réalité un peu plus complexe, mais le raisonnement reste simple et le but limpide : diminuer le nombre de transfert et le volume de ces derniers.

Revenons à mon groupe de djeunzs (de l’ESCP, une école de management) : partant de cette constatation et de l’image ci-dessus, ainsi que d’un paquet de données bien joufflues, il s’est alors fendu d’une simulation pour évaluer la situation finale, une fois toutes les opérations de compensation effectuées.

Et là, ô miracle dont on trouvera le détail sur le site dédié, la situation finale est beaucoup moins préoccupante.

Les dettes en Europe, après netting international

Il y a même quelques surprises. On y découvre ainsi que :

  • Les pays peuvent réduire leur dette totale de 64% par l’annulation des dettes liées les unes aux autres, amenant la dette totale de ce réseau de 40.47% du PIB à seulement 14.58%.
  • Six pays — Irlande, Italie, Espagne, Grande-Bretagne, France et Allemagne –- peuvent ainsi sucrer plus de 50% de leur dette restante.
  • Trois de ces pays — Irlande, Italie et Allemagne -– peuvent réduire leurs obligations de telle façon qu’ils doivent plus de 1 milliard d’euros à seulement deux autres pays.
  • L’Irlande peut réduire sa dette de quasiment 130% de son PIB à moins de 20%
  • La France peut quasiment faire disparaître sa dette, la réduisant à 0.06% de son PIB.

Maintenant, du calme, lecteur bondissant !

Il y a, bien évidemment, un petit truc qui doit tempérer ton ardeur. Non, à ce point du raisonnement, on ne peut pas en déduire que la France n’aurait plus rien à devoir à personne.

Addendum : suite à quelques remarques dans les commentaires, je me rends compte que l’intention du billet n’est pas claire. J’ajoute donc le paragraphe suivant.


D'abord, comme expliqué un peu plus haut, ce netting serait en réalité bien plus compliqué à faire qu'une simple soustraction. Toutes les dettes ne se valent pas, et elles sont, in fine, détenues par des particuliers. Cela complique singulièrement les annulations. Mais ces graphiques montrent de façon éclatante l'interdépendance des pays entre eux, et l'extraordinaire engouement pour le financement de la sociale-démocrassie en Europe par la dette, tous États confondus.

Et parce que la France n’a pas contracté sa dette exclusivement en Europe mais en a aussi généreusement aspergé les autres États du monde. Eh oui : quand il y en a pour 26, il y en a aussi pour 200. Ce qui se traduit par une dette « extra-européenne » de plus de 1000 milliards qui lui restent sur les bras.

Oui, c’est un peu la douche froide, mais que voulez-vous, en matière de dettes, les solutions simples et rapides sont rares et généralement fumeuses.

… Ce qui soulève un autre problème : si, du jour au lendemain, les dettes françaises redescendaient de 82% du PIB à 64%, je peux prendre le pari sans risque que nos politiciens, gagnant soudainement deux ou trois crans à leur ceinture budgétaire, rattraperaient d’un coup cette extraordinaire « embellie » et repartiraient dans la folle dépense comme jamais auparavant.