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Zahia, Clara et les autres

Publié le 02 février 2012 par Juval @valerieCG

Rien de tel pour moi qu’une saine colère afin de retrouver l’inspiration, qui me manque singulièrement ces temps derniers.

Il y a quelques jours, le comique Jeremie Ferrari s’est déclaré outré qu’une ancienne actrice de porno, Clara Morgane soit animatrice de télévision. Aujourd’hui un groupe féministe a écrit ce texte sur Zahia Dehar qui m’a consterné.

Précisons déjà que Clara Morgane a arrêté le X en 2002 ; il y a donc dix ans tout juste.  Entre temps, elle a fait une multitude de choses, qu’on n’apprécie ou pas, là n’est pas le souci. Il n’en demeure pas moins qu’elle est et sera toujours une actrice X, « une pute ».

Je n’emploie pas ici le terme « pute » pour ce qu’il désigne réellement (à savoir vendre du sexe contre de l’argent) mais comme le stigmate frappant les femmes ayant manqué à ce qu’on définit comme « la bonne conduite ». Je rapprocherais mon propos de ce texte de Gaëlle-Marie, même si je pense que le stigmate de « pute » est et sera toujours plus fort qu’une « carrière atypique ».

Etre considérée comme une pute, c’est considérer qu’on est prête à tout, qu’on va semer le désordre (Engager une actrice X ? Mais elle va perturber tout le monde ! ), c’est voir les gens s’autoriser à poser toutes les questions possibles simplement parce qu’on a montré son sexe à l’écran ou qu’on a dit qu’on avait vendu du sexe.

Etre une pute c’est l’être à vie. Je pense toujours à cette video de Calpernia Addams ; les questions à ne pas poser à une personne transsexelle. Et bien être pute, c’est se voir infliger les mêmes questions idiotes, offensantes et dédaigneuses. Parce que tu aurais transgressé, alors on estime qu’on peut tout te demander, tout exiger de toi (et surtout, surtout, de ne pas changer d’activité).

Nous sommes, croyons-nous, dans un monde extrêmement libéré ; pensez donc en deux clics je vois une bite !  Je le trouve au contraire extrêmement normatif et très proche, somme toute du début du 19eme siècle.

Au 19eme nous sommes dans un monde hygiéniste ; les prostituées sont nécessaires « comme les égouts » mais doivent être cachées et surtout, surtout, ne jamais se mélanger à la société « normale ». Si elles souhaitent arrêter leur métier, on les mettra dans des maisons de repentance ; mais jamais, elles ne devront se mélanger aux autres femmes, par crainte d’un phénomène de contagion.Imaginez des hordes de femmes honnêtes devenir des putes !
C’est ainsi que si Nana parvient à s’élever dans la société, elle mourra pauvre et défigurée. Boule de suif, qui sauvera ses compagnons de voyage, sera bien vite ramenée à sa condition. Marguerite Gautier mourra de phtisie abandonnée de tous mai n’aura pas épousé celui qui était d’une autre condition qu’elle.

Et cela n’est rien d’autre que je lis dans le texte des Martiennes.

Qui est fasciné par Zahia ? Pour ma part, j’ai lu des commentaires désagréables sur son physique, des commentaires sexistes et dégradants sur le fait qu’elle se soit prostituée, des moqueries sur son interview. Au passage chères Martiennes, mettez moi devant une caméra et Zahia passera pour une intellectuelle face à moi.

Qui voit Zahia comme un modèle à suivre, dites le moi ? Personnellement j’ai surtout vu des commentaires, quand Clara Morgane a fait une video contre le viol, lui souhaiter de l’être. J’ai vu des abrutis dire que Zahia jetait l’opprobre sur la « communauté ». (je traduis c’était plutôt « vas y comme tu fous la honte aux arabes sale pute« ).  J’ai plus vu les gens commenter le fait qu’elle se soit prostituée que sa collection.

Au passage, cette jeune fille est arrivée en France à dix ans ; je ne pense pas que je parlerais l’arabe comme elle parle le français.

Alors oui elle est maigre et refaite. Scoop ; son physique est son instrument de travail.
Peut-être aura-telle des séquelles de son métier ?
Je modère depuis dix ans des communautés Internet ; j’ai développé une légère paranoïa me poussant à voir à peu près partout des racistes prêts à faire des ratonnades ou rouvrir les camps ; croyez vous que j’ai des séquelles ou moi cela n’est pas pareil ?

Les Martiennes disent « Mais aussi l’idée largement diffusée dans l’inconscient collectif, qu’une escort girl se prostitue par choix, parce “qu’elle aime ça”. »

Qui dit cela ?  Une escort girl aime les 1500 euros (ou plus) que lui rapporte une nuit.

Comme tout un chacun – ou du moins 80% de la population française – les prostituées font cette activité là par besoin financier.

Bien rares sont les gens pouvant combiner un salaire et un métier qu’ils aiment.
Alors oui nous sommes conscientes que beaucoup de petits-bourgeois voient la prostitution comme un moyen rapide, simple de faire de l’argent.
Je leur proposerais d’aller au Bois de Boulogne demain matin (il fera environ – 3 degrés) ; croyez moi que vous ne trouverez pas qu’on est là face à un moyen simple et rapide de gagner sa vie.
Mais je renverrais également les autres – qui voient dans la vente de service sexuel comme une activité forcément traumatisante, forcément atroce – aux gars que j’ai croisés tout à l’heure en train de monter une charpente.

Vous dites « on n’entre pas en prostitution comme en médecine« . Scoop. On ne rentre pas au mac do comme on rentre en médecine, on ne torche pas le cul des vieux comme on rentre en médecine, on ne fait pas des ménages comme on rentre en médecine, on ne bosse pas en abattoir comme on rentre en médecine ». La prostitution est loin d’être le seul métier pouvant laisser des séquelles. Beaucoup de métiers sont éprouvants et moralement et physiquement. Rappelons d’ailleurs que ce sont souvent ceux rapportant le moins d’argent. Je vous renvoie au nettoyage de résidus de fécalome à la confrontation avec un Alzheimer en crise et on verra si vous n’aurez pas là aussi une envie d’eau de javel.

Ce qu’il y a à condamner dans toute cette non histoire, c’est le fait qu’une femme qui est, selon les critères sexistes de notre société – « sortie des rails » soit traitée comme une moins que rien, que la moindre de ses paroles, de ses actes, soit ramenée à son ancienne activité, qu’elle porte, encore et encore ce stigmate.

Qu’elle ne soit qu’un prénom, trop maigre, trop conne, trop pute, trop ceci et pas assez cela.

Et que personne ne soit apte à comprendre que le stigmate de putain dont on l’afflige touche toutes les femmes à un moment donné.

Le stigmate de pute frappera n’importe quelle femme à n’importe quel moment ; celle qui s’est effectivement adonné à la prostitution, mais celle aussi qui est « trop » indépendante, ou celle qui couche « trop » (gratuitement ou non), ou celle qui rit « trop » fort. Une femme ne doit pas être dans le « trop ».


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