La réforme du lycée, décidée par le gouvernement en 2009 et appliquée aujourd’hui, en est un douloureux exemple. Elle a en effet supprimé l’histoire-géographie du tronc commun en Terminale scientifique qui, rappelons-le, accueille 50% des effectifs des sections générales. Cette réforme a donc nécessité une refonte du programme d’histoire-géographie en Première.
Il est devenu nécessaire de faire dans la seule année de Première ce que l’on faisait auparavant en deux ans. L’enseignement est ainsi dénaturé. La chronologie, pourtant essentielle à la compréhension de l’histoire, est rendue impossible par un nouveau programme thématique qui demande d’étudier la Shoah avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir ! Ainsi, un élève de Terminale scientifique n’étudiera plus l’histoire de la Vème République après 1962 ni les évènements ayant conduit à la situation actuelle au Proche et Moyen-Orient, ni l’histoire et la géographie des Etats-Unis au XXème siècle, ni l’Asie du Sud-est en géographie. Ce sont des outils indispensables à l’honnête-homme citoyen du XXIème siècle qui manqueront cruellement à nos élèves, nos futurs concitoyens.
Si les promoteurs de la réforme voulaient clarifier les filières au lycée, ils ont raté leurs cibles. Loin de n’être qu’une discipline littéraire, l’histoire-géographie est un outil pour comprendre le monde contemporain. Que penser en pleine crise économique, financière et sociale, celle dans laquelle nous vivons depuis 2008, de la quasi suppression de l’enseignement de la crise de 1929 dans les programmes ? C’est donc bien l’esprit critique et les humanités que l’on attaque une nouvelle fois.
Quelle incohérence d’ailleurs à supprimer en Terminale une discipline dont la maîtrise est nécessaire pour passer les concours d’entrée dans la plupart des grandes écoles en fin de Terminale ! Ne serait-ce pas une façon à peine masquée de l’Education nationale d’encourager ces élèves qui veulent passer ces concours à recourir à des écoles préparatoires privées dont les frais sont prohibitifs pour les élèves issus des couches populaires ?
Cette contre-réforme ne concerne pas que les professeurs d’histoire-géographie et leurs élèves. Je déteste tout corporatisme et n’y tomberai pas encore cette fois. De tout temps, quand un pouvoir politique attaque l’histoire-géographie ou la philosophie, c’est pour mettre au pas la société, pour empêcher le citoyen de se forger les outils qui lui permettent de rester libre, pour l’enfermer dans une complexité du monde qui le dépasserait et que seuls les « beaux esprits » pourraient percer. Le citoyen passif n’est pas le fruit d’une École républicaine. Il est donc du devoir de tous les citoyens de refuser cet assujettissement.
Cette mise au pas est d’autant plus insoutenable quand elle vient d’un pouvoir politique qui avait fait du retour à la chronologie son ambition ! Depuis, on a pu constater que, de Domrémy au plateau des Glières, l’histoire n’était en fait qu’un instrument au service d’une visibilité médiatique. L’histoire instrumentée pour convenance personnelle ou pour voter des lois mémorielles qui satisfont telle ou telle communauté n’est plus une discipline historique émancipatrice ; c’est un carcan qui enferme la pensée du sous-citoyen-téléspectateur.
Finalement, au-delà de ces considérations générales, nous le constatons chaque jour, cette réforme rend le programme moins intelligible à nos élèves et cela reste notre première préoccupation. Lors des États généraux de l’histoire et de la géographie tenus le samedi 28 février à Paris, l’association des professeurs d’histoire et de géographie a interpellé les candidats à l’élection présidentielle sur cette question. Leur position sera étudiée à la hauteur de l’enjeu.
Jean-Philippe Huelin, professeur d’histoire-géographie au lycée Jean-Michel de Lons-le-Saunier et coauteur de « Recherche le peuple désespérément » (Bourin, 2009) et « Voyage au bout de la droite » (Mille et une nuits, 2011)