Elsa Fottorino vient de publier "Une disparition", aux éditions Rivages, son deuxième ouvrage: Un petit bijou d'écriture! Beaucoup de sobriété, de retenue dans l'élan et qui toutefois s'écarte clairement des critères minimalistes devenue prose obligée de nombre de romanciers aujourd'hui, singeant Marguerite Duras à l'envi!
Le livre commence ainsi:
" C'était un foyer de lycéennes, entre la rue du Docteur Blanche et les boulevards de ceinture. Il avait la forme d'un transatlantique, avec ses lumières traversantes et ses couloirs en coursive. Il avait aussi des hublots, de larges portes vitrées et une grande terrasse comme un pont de promenade..."
L'incipit, comme on le voit, a presque l'air d'appartenir au conte, et, d'emblée, donne le ton si particulier de l'ouvrage qui pourrait s'apparenter à celui d'un Grand Meaulnes, décliné au féminin. Car c'est une très jeune fille, Hélène, qui traverse ici les pages. Même brume de l'adolescence. Mêmes rites de passage d'un monde à cet autre, à venir, si inquiétant, appréhendé sans réels garde-fous protecteurs. Errance d'une rive à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'une ville à l'autre.
Il n'y a rien d'anodin à ce que la focalisation initiale des premières phrases soit faite sur un espace et non sur un personnage. Car les lieux, chez Elsa Fottorino, ont une importance au moins aussi grande que les silhouettes qu'elle fait évoluer. N'est-ce pas eux, en définitive qui insufflent la vie aux anti-héros de l'histoire? Et nous qui lisons, sommes-nous, comme eux, et comme au cinéma, modelés par le décor qui défile derrière nous? Le lecteur, en tout cas, entre réellement dans la boutique du chocolatier de la rue Richepin, il respire l'air mouillé de Granville, il s'installe dans le métro et les stations s'animent jusqu'à cette curieuse "station fantôme", il parcourt les rues de Paris: "Il y avait à l'angle de la rue Dauphine et du quai de Conti un magasin d'estampes...C'était à la sortie du métro Jasmin. A l'angle de la rue de l'Yvette et de la rue de la Cure. Sur le trottoir de droite, il y avait une maison avec un grillage noir..." (toujours la tonalité du conte avec la mélodie du temps décliné à l'imparfait pendant tout le récit), et s'assied dans les cafés et les brasseries . Plus loin, à l'instar de Marie Dangerais, il se projette dans Vienne à travers ses poncifs gourmands et musicaux: tafelspitz, knödel, Musikverein...Une réelle vitalité de l'écriture qui tient à l'ancrage dans le réel, à l'observation minutieuse et minutieusement relatée.
A l'opposé, les personnages (et j'ai parlé à dessein de silhouettes), semblent seulement esquissés. La plume est légère qui retrace leurs parcours. Pas de digression inutile ni d'investigations psychologisantes. L'auteur s'attache plutôt à donner à suivre les mouvements du corps, ses déplacements dans l'espace. Et le lecteur construit peu à peu sa version des faits en assemblant le puzzle. Pourquoi et comment Anne Lise a-t-elle disparu? Hélène parviendra-t-elle à résoudre le mystère de cette disparition? Que risque-t-elle à rechercher le secret qui l'entoure ? S'engage-t-elle vers sa propre disparition et métamorphose?
Ce roman singulier séduit également par ses références au 7° art: Le Cinéma Paradisio d'Hélène s'appelle Sunset Cinema
et fait passer son médiocre destin de lycéenne provinciale montée à Paris, à celui des héroïnes dont elle suit l'aventure en boucle: tour à tour madone des sleepings dans ces trains d'hier qui rejoignaient l'Orient ou Lolita insolente et cruelle, enquêtrice délurée et sagace mais aussi, au-delà de l'imaginaire et de l'invention poétique, petite fille désespérée par les difficultés rencontrées par sa mère ou amie iconoclaste, révoltée par l'hypocrisie des apparences.
Mais ce qui ajoute sous-tend le charme du roman, c'est incontestablement sa partition musicale. Je crois savoir que Elsa Fottorino est musicienne. Elle l'est en tout cas dans son livre. Belle musique des mots et du rythme de la phrase. Rigueur de l'apparente simplicité du style, sans effet, ni fioriture, mais art récurent de la répétition qui scande le phrasé. Une langue si claire et si musicale! Et jusqu'au point final qui interrompt le récit tout en laissant en suspens, comme une attente, une certaine vibration qui ne s'éteint pas tout à fait, une fois le livre refermé.
Photo de la salle du Musikverein empruntée à ce site
Affiche de Cinéma Paradisio, empruntée ici
Affiche de Sunset Boulevard empruntée ici